V-4 Le bruit :
La voix porte en elle de façon intrinsèque des
représentations imaginaire. Aristote écrit : « Pour qu'il y
ait voix, il faut que l'être qui produit le choc mette en oeuvre quelque
représentation (meta phantasias), car la voix est assurément un
son chargé de signification (sèmantikos) et non pas un bruit
produit simplement par l'air inspiré, comme la toux »84
Les craquements qu'entend Schreiber au début de sa
maladie, et qui épouvantent parfois les phobiques révèlent
l'indifférenciation du bruit et de la voix. Il ne s'agit pas seulement
du bruit de la pensée entendue, il est aussi le bruit de l'autre, et
révèle aussi la présence de l'être, car il marque
une présence. Même si nous ne voyons pas les fantômes par
exemple, nous sentons leur présence en ne nous fiant par exemple
qu'à des bruits. Avant le mot, l'entendu n'est que du bruit, avant que
la voix ne donne une forme au mot, l'entendu n'est que du bruit. Oswald
84 Aristote De anima, 420b.
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relève l'affaiblissement consonantique du discours des
schizophrènes, les voyelles dominent largement. Il interprète ce
phénomène comme une régression au stade
pré-linguistique ramenant à l'absence de contrôle
sphinctérien correspondant à une vocalisation pure proche de la
cacophonie. 85
La voix pulsion invocante est la seule qui ait besoin de deux
orifices l'oreille et la boucle audio phonatoire de la nôtre et de
l'autre c'est pour cela qu'elle est prise dans le désir à
l'autre. La voix est l'objet (a) soumis à la perte « Il faudra que
la voix soit séparée de la jouissance et définitivement
exclue du cri. Ce qui est exclu, c'est ce qui constitue les choses « sache
» les petits bouts de voix, les hurlements, chus de la chose (das ding) de
cette jouissance hors la loi instauratrice aboutissant au langage.
Malgré tout dans la psychose le bruitage de l'autre de la jouissance,
est en rapport avec le pulsionnel sonore faisant retour dans le réel des
signifiants forclos. Cependant il reste une trace de plaisir ou de
déplaisir. Pour devenir conscients, faits, traces mnésiques il
faut passer par l'entendu. Dans la psychose l'intraduit est
véhiculé par des représentations de mots. Ce sont des
représentations de la chose qui est (das ding) reflet de quelque chose
qui a été entendu. Il s'agit donc de la chose voix.
»86 Les pensées sont perçues effectivement comme
venant de l'extérieur et sont tenus pour vraies. Il y a confusion entre
la chose voix et le mot entendu. La symbolique du mot n'est pas distincte de la
chose-voix. C'est un souvenir cru, de mot articulé qui s'entend,
souvenir que le sujet a reçu de l'Autre, mais qui est n'est plus
lisible, il s'entend mais ne se lit pas. Halluciner c'est entendre des paroles
véhiculant et du sens qui reviennent au sujet, sans lui apparaître
comme siennes. Il y a une discordance entre le corps et le langage. La voix
à déserté les mots hors sens de la vocalité. Hors
sens, mais aussi hors lettre car il n'y a pas d'adresse. En fait ce qui compte,
ce n'est pas ce que du dis c'est la voix. La voix devient donc pulsionnelle en
discorde avec le signifiant. « Je m'entends parler avec la voix de ma
mère, je m'entends parler de vive voix. Rien n'arrête cette voix,
elle n'habite pas le corps. Toute signification a déserté
l'énoncé par exemple : je suis platonique avec ma mère,
/j'ai mis un bonnet pour retenir mes pensées. Si le signifiant est
absent du langage, j'entends le signifié et j'y crois.
La voix s'entend dans le réel et souligne le
caractère réel de l'énoncé. Elles peuvent arriver
comme des injonctions par exemple : prend un couteau et tue- le. »87
85 Yan Fonagy « La vive voix » Ed. Payot
86 Solal Rabinovith « Les voix » Solal
Rabinovitch » Ed. Eéres op cit.
87 Ibid
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Lorsque la voix est dégagée du langage et de
toutes significations, elle ne veut rien dire au lieu de « ne rien dire
». Ce rien dire c'est la jouissance qui se fait pur voix. Là
où il y a discorde, c'est que la conscience est confondue avec la
pulsion. La voix ne rencontre aucun obstacle, rien ne l'arrête. Il n'y a
pas de limite corporelle ni limite du monde. Mais nourrie par la pulsion elle
se fait conscient parce qu'entendue. Parce qu'elles ne sont pas
matérielles les voies dans la psychose sont l'essence même de la
voix.
C'est le délire qui opère une liaison entre la
voix et les mots qui tentent de réparer la discorde. L'hallucinée
entend ce qu'elle énonce dans le réel de façon abrupte, il
y a une impossibilité de départager ce qui s'entend du sens.
Il y a donc discorde entre le mot et la voix. Pourtant de ce
qui traduit du signifiant c'est le signifié. Forcément des
phrases entendues sont une vérité qui se fait injonction. Comment
l'analyste peut-il entendre la plainte disjointe du dire. Comment créer
un lien avec la voix en tant que soudée au corps.
Alors comment pourrait-on faire pour que le langage devienne
chaire ?
La voix de l'analyste comme du thérapeute est à
la fois le réel de sa présence sexuée. La voix du
thérapeute ou celle de l'analyse ne pourrait-elle pas représenter
le sujet pour sa propre voix ? Je me souviens en HEPAD d'une dame mutique qui
ne quittait pas du regard ma bouche comme si elle si elle était
rivée à ma voix. Elle ouvrait sa bouche à l'effet de ma
voix en émettant des petits sons de satisfaction avec un regard
gratifiant. Cela ne rappelle-t-il pas de la période enchanteresse ou la
mère chantonne des mélodies à son enfant ? Elle attendait
les moments de l'atelier chant avec impatience et son corps paraissait
s'accorder au mien comme si je lui servais de transfert vocal, créant du
lien en elle et moi. Pourrait-on prêter notre voix en prenant à
notre charge la demande vocale de l'autre empêché pour permettre
une rencontre ? L'analyste ne pourrait-il pas se glisser entre le mot et la
chose, entre la voix et le verbe ?
L'analyste ne marquerai-il pas par sa présence une
adresse. L'analyste ne pourrait-il pas répondre par le transfert au vide
du rapport à la voix de la mère en prenant conscience de l'effet
de sa voix sur l'analysant. ? « Au commencement était la voix de la
mère ! » Aussi la voix de l'analyste ou du thérapeute
permettrait-il de concourir à l'évolution de la jouissance de la
voix de la mère pour qu'elle puisse être
irrémédiablement perdue ? Faire advenir la voix comme objet
« a » à condition d'y advenir soi- même comme je. La
voix chantée permettrait de rendre
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plus lisible la voix et dans pacifier l'impact dans le
réel, en laissant la place à l'image grâce à la
modulation, la brillance et l'émotion du timbre. Jean Jean-Richard
Freymann nous donne l'exemple d'une enfant anorexique qui donne de la voix et
crie et parle constamment incapable de jouer de la présence et de
l'absence par ses silences. Elle parle mais ne s'écoute pas, elle ne se
préoccupe pas non plus de l'Autre. Ecouter sa voix du dedans c'est se
prendre comme objet d'étude et objet de transfert. Après avoir
entendu Callas elle se sent pousser des ailes de désir. Avec le chant
elle peut jouer de la voix et respecter les silences musicaux. S'adressant
à l'autre les mots peuvent trouver leur souffle en s'appuyant sur
l'écriture des notes écrites sur la
portée.»88
88 Richard Freymann « Les enjeux de la voix en
psychanalyse dans et hors cure »Jean-Michel VIVVES (dir.) Presses
Universitaires de Grenoble op.cit.
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