II.3.8-7 Présent
historique
Il est employé dans les récits
historiques. « Charlemagne devient empereur en l'an
800. »
Ce présent peut dans certains cas jouer un rôle
proprement narratif et commuter de façon ponctuelle avec le passé
simple. On parle alors de présenthistorique. Le recours
à ce procédé, s'il est fréquent dans la tradition
narrative, reste utilisé avec parcimonie au sein d'une constellation
où dominent par ailleurs les temps classiques du récit
(passé simple et imparfait). On le rencontre à des endroits
stratégiques, lorsqu'il s'agit d'exacerber le caractère
dramatique des actions et des événements
représentés. Ainsi Chateaubriand, dans René,
ménage soigneusement l'accès à la scène clé
de son récit (la prise de voile d'Amélie, la soeur du
héros), en faisant d'abord alterné présent et temps du
passé:
« Au lever de l'aube, j'entendis le premier son
des cloches... Vers dix heures, dans une sorte d'agonie, je me traînai au
monastère. [...] Un peuple immense remplissait l'église. On me
conduit au banc du sanctuaire; je me précipite à genoux sans
presque savoir où j'étais, ni à quoi j'étais
résolu. Déjà le prêtre attendait à l'autel;
tout à coup la grille mystérieuse s'ouvre, et Amélie
s'avance, parée de toutes les pompes du monde. »
Mais lorsque le passage atteint son sommet dramatique,
après qu'Amélie ait avoué à René sa passion
incestueuse, le présent historique s'impose seul:
À ces mots échappés du cercueil,
l'affreuse vérité m'éclaire; ma raison s'égare, je
me laisse tomber sur le linceul de la mort, je presse ma soeur dans mes bras,
je m'écrie: Chaste épouse de Jésus-Christ, reçois
mes derniers embrassements à travers les glaces du trépas et les
profondeurs de l'éternité, qui te séparent
déjà de ton frère! Ce mouvement, ce cri, ces larmes,
troublent la cérémonie: le prêtre s'interrompt, les
religieuses ferment la grille, la foule s'agite et se presse vers l'autel; on
m'emporte sans connaissance.
II.3.8-8 Présent de
narration
Une conception traditionnelle veut que le présent de
narration soit exclusivement équivalent fonctionnel du passé
simple. Or, s'il est incontestable qu'une majorité des occurrences
constituent effectivement des variantes expressives du passé simple, il
est difficile de ne pas remarquer que ce temps se substitue également
à l'imparfait, avec la même fonction expressive. Le présent
de narration porte un signifié fonctionnel profond, qui correspond
à sa charge expressive. Celle-ci est diversement modulée en
contexte, selon le type du verbe et selon la fonction qu'il assume dans le
récit :
-En tant qu'équivalent du passé simple, il
amène généralement une dramatisation de l'action;
-En tant qu'équivalent de l'imparfait, il rapproche du
premier plan des faits qui autrement resteraient confinés au fond de la
scène.
Quelles sont les propriétés du présent
narratif responsables de cette charge expressive, qui lui est inhérente?
Elles sont au nombre de deux, et elles sont, selon nous, toutes deux
fondées sur le décalage entre le sémantisme prototypique
du présent et l'emploi contextuel atypique du présent de
narration : la première propriété, stable, consiste dans
le caractère actualisant du présent, et la deuxième, qui
ne se manifeste que lorsque le présent s'érige en
équivalent fonctionnel du passé simple, est son aspect
sécant.
· Quant à l'effet d'actualisation produit par le
présent de narration, il a trait aux propriétés
systémiques et, par ce biais, prototypiques, du présent : il est
généralementsoutenu que le présent marque la concomitance
du procès-verbal avec un point d'actualité, quelle que soit la
situation chronologique de celui-ci par rapport au point d'énonciation,
thèse qui conduit parfois à refuser au présent de
narration toute spécificité stylistique. Cependant, les
théoriciens qui raisonnent ainsi semblent oublier que l'effet
actualisateur du présent est dérivé de ses emplois
prototypiques, qui en font un temps concomitant au point d'énonciation.
Il s'ensuit que, dans la structure profonde, un conflit entre
temporalités est sous-jacent à toute occurrence du présent
de narration. Ce conflit est la source de la charge expressive propreà
l'effet actualisateur du présent narratif.
· Quant à l'aspect sécant du présent
de narration, il provient également des propriétés
prototypiques du présent actuel : l'aspect sécant est
fondamentalement celui de tout présent, lequel se compose de deux
parcelles temporelles juxtaposées, appelées dans la terminologie
guillaumienne (1929 : 51-52) « chronotype alpha » et le «
chronotype oméga », le premier étant «
prélevé sur le futur », c'est-à-dire sur « le
temps qui vient..., chronotype virtuel et incident », le second
étant « prélevé sur le passé,
c'est-à-dire sur du temps qui a existé effectivement et s'en
va..., chronotyperéel et décadent.C'est cet aspect
fondamentalement inaccompli qui fait le pittoresque du présent de
narration lorsqu'il se substitue au passé simple, dont l'aspect est par
définition global, non sécant, ne permettant pas la distinction
entre inaccompli et accompli. Ce conflit entre deux aspectualités
engendre un effet stylistique complémentaire, renforçant celui de
l'actualisation expressive.
Depuis cinquante ans, le présent de narration s'est
solidement implanté dans les habitudes romanesques. Il constitue
dorénavant une alternative parfaitement reçue aux récits
construits à partir du passé simple.
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