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L'action dans l'intérêt collectif de la profession.par Slim Affes Paris Nanterre - UFR Droit Social - Master 2 droit social et relations professionnelles 2020 |
IntroductionCollectif et individuel : La summa-divisio « individuel » - « collectif » est communément admise par le législateur du code de travail ainsi que par la doctrine travailliste. Les passerelles entre les deux branches de la distinction sont évidentes, le droit ne reflète pas, malgré son ambition, une image parfaite de la complexité des liens de travail. Cette interférence a néanmoins contribué à l'originalité du droit du travail. Un droit des relations individuelles et collectives, qui a su se démarquer par les concepts et catégories développés autour du contrat individuel et du conflit.1 Il n'est d'ailleurs pas étonnant de trouver cette distinction classique au coeur des débats anciens et surtout actuels qui portent sur l'action en justice et qui questionnent les périmètres subtils entre ce qui touche au collectif, ce qui touche à l'individuel et ce qui touche à l'individuel et au collectif. Collectif et procès : Relier collectif avec procès va logiquement à l'encontre de la conception individualiste de l'action en justice. Et pourtant « Tout n'est pas individuel dans le procès individuel »2 Le collectif s'inspire souvent des cas individuels, et l'individuel fait souvent appel au collectif lorsqu'il est à court de forces. On passe ainsi du singulier au pluriel et du pluriel au collectif comme un phénomène d'osmose ou d'osmose inversée. Du reste, le droit syndical a permis, après de longues conquêtes, de prendre en compte les intérêts qui dépassent les intérêts individuels. Il s'agit en effet d'« Une réalité plurielle au-delà du format habituel c'est-à-dire individuel de l'action en justice » 3 que la doctrine et les syndicats ont investi dans leurs recherches pour « donner un sens aux litiges de travail »4. La doctrine a pu observer ces dernières années une décroissance considérable des actions individuelles exercée par les salariés devant la justice.5 L'enjeu consiste finalement à dépasser le cloisonnement entre collectif et individuel pour recevoir au mieux les actions des syndicats en défense des intérêts autres que les intérêts individuels. 1 G.Lyon-Caen, A la recherche des concepts de base du livre IV du code de travail, Mélanges Verdier, droit Syndical et droits de l'homme à l'aube du XXIe siècle, Dalloz 2000, p.81 2 E. Severin, « Fonction économique des tribunaux » Economie et institutions nov. 2005 3 Sous la Direction de Ismaël Omarjee et Laurence Sinopoli avec la contribution et la coordination de J.D, E.T, A.B.M, G.B, CD, P.G, I.O, VO, S.P, M.R, S.R, E.S, L.S et E.T, « Les actions en justice au-delà de l'intérêt personnel », CEJEC, Dalloz 2014 4 E. Severin, « donner un sens aux litiges du travail » Economie et institution, 1er semestre 2006, n°9, p 129-155 5 Il y'aurait une baisse de 10% du nombre d'action individuelles entre 2004 et 2012. V E. Severin et M. Guilleneau, l'activité des conseils de prud'hommes de 2004 à 2012, ministère de la justice, Pole d'évaluation de la justice civile, septembre 2013. 9 « Il ne s'agirait donc plus, dès lors, d'opposer mais de concilier les deux versants d'une même quête, le respect et la valorisation des droits sociaux ».6 Individuel et procès : La convergence traditionnelle entre intérêt et qualité d'agir ajoutée à la nature subordonnée de la relation de travail ont orienté les litiges au départ vers une formule de droits d'agir très rattachés à la personne du demandeur : Il y'avait une sorte de prévalence de la conception individuelle de l'action en justice. C'était la même conception qui a permis à un syndicat d'agir en justice en se substituant à un salarié, à la double condition que le syndicat ait au préalable le consentement du salarié et que ce dernier conserve la liberté de défendre tout seul ses propres intérêts.7 La première exception à cette conception individualiste a été consacrée dans la loi de 1920 après un important débat juridique auquel le fameux arrêt de 1913 a mis fin. La dimension historique de l'action dans l'intérêt collectif : L'action dans l'intérêt collectif est la doyenne des attributions conférée aux syndicats. Elle est d'ailleurs l'une des toutes premières prérogatives parmi celles qui leur sont attribuées. Elle est l'arme judiciaire par laquelle le droit a privilégié les syndicats professionnels par rapport aux autres organisations. La reconnaissance d'une telle prérogative n'était pas simple. Son avènement s'est déroulé au prix de batailles juridiques effroyables. En effet pendant longtemps, « la reconnaissance du droit d'agir des syndicats s'est heurté à des objections assez fortes. Le syndicat libre et spontané à l'origine ne paraissait pas qualifié pour représenter la profession en tant que telle »8. Pour certains auteurs, en outre, (pour ne citer que M. Planiol9) « Ce type d'action a été considéré comme radicalement incompatible avec l'ordre juridique libéral. L'action ne (pouvait) se concevoir que pour défendre les intérêts individuels »10. Malgré ces argumentations hostiles, les chambres réunies ont pu reconnaitre « officiellement » aux syndicats cette faculté d'agir dès l'arrêt du 5 avril 1913. L'intérêt en question vecteur de l'action était « celui de la profession » comme on disait à l'époque et « collectif » comme on dit aujourd'hui. Cependant, il est rare que la reconnaissance d'une prérogative juridique soit faite du jour au lendemain sans être 6 Sophie Rozez, L'action en justice, action individuelle, action collective, le Dr. Ouvrier .Novembre 2014, n°796. P734 7 Cons.Const. n°89-257 DC, 25 juillet 1989. 8 Serge Guinchard, l'action de groupe en procédure civile française. In Revue internationale de droit comparé. Vol.42 n°2 Avril-juin 1990.Etude de droit contemporain. p.603 9 M. Planiol affirmait que « un syndicat est un instrument d'action collective sur le terrain économique, mais qu'il ne peut et ne doit pas devenir une arme de procédure forgée pour rompre l'égalité entre plaideur », in M.George-Cahen, Le droit d'ester en justice des syndicats professionnels, Extrait du bulletin de la Société d'études législatives, Arthur Rousseau, Editeur, 1911 p.4 10 Fréderic Guiomard, La mobilisation du droit dans les luttes, Syndicats : Evolutions et limites des stratégies collectives d'action juridique, Mouvements 2003/4 n°29 p49 10 précédée par des évènements. L'action dans l'intérêt collectif n'a pas échappé à cette règle : Très tôt, et avant même la date fatidique de 1913, « Les tribunaux ont autorisé successivement les syndicats à ester lorsqu'il s'agissait : 1-de faire respecter par des compagnies de transport les usages généraux de la profession, ... 2-de garantir les intérêts matériels et généraux de la profession, 3-de réprimer les actes illicites commis par des tiers au préjudice des syndiqués ou de faire constater les faits de concurrence déloyale susceptible de nuire au bon renom de la profession ..5-d'assurer l'exécution d'un contrat collectif de travail, négocié par l'entremise du syndicat ...6-d'assurer l'application des lois sur l'hygiène, la sécurité, la protection du travail ».11 L'action est née également dans un contexte agité par des troubles liés à la crise du Vin. Il y'avait une révolte au sud de la France autour de Narbonne qui a précipité les choses. Une Révolte très forte où il y'avait des dizaines de morts en 1905 et l'armée était envoyé pour calmer la rébellion.12 A cette époque révolue, la pratique de coupage du vin à l'eau s'est développée et un syndicat de viticulteurs agit contre un producteur de vin fraudeur. Le syndicat producteur de vin ne défendait pas l'action d'un de ses membres en particulier mais il agissait parce que les règles de la profession ont été bafouillées. Le syndicat agissait ainsi comme un procureur de la république défenseur de l'intérêt général. Le syndicat ne demandait pas une réparation au nom de chacun des viticulteurs lésés mais une réparation au nom du groupe. Une partie de la doctrine très hostile pensait à l'époque que le droit est individualiste et qu'il ne faut pas agir au nom d'un groupe. Et pourtant, la cour de cassation va admettre l'action de ce syndicat de viticulteurs employeurs conseillés par une autre partie de la doctrine. On voit bien que la défense des intérêts de la profession, les règles de l'art et les procédés de fabrication étaient très caractéristiques de l'esprit « corporatiste » de l'époque. Cela confirme les propos du doyen Verdier ; « L'action des syndicats de salariés dérive de l'action syndicale en défense de l'intérêt collectif de la profession initialement crée à l'adresse des syndicats de métier pour lesquels la question d'une reconnaissance institutionnelle ne devait plus se poser ».13 Intérêt collectif et syndicats de patrons : A la même époque le pas a été emboité à l'occasion d'un arrêt célèbre du Conseil d'Etat, « syndicats de patrons de coiffeurs de limoges » du 28 décembre 1906.14 Ceci montre le rôle important des tribunaux administratif pour reconnaitre l'action. 11 Pour un aperçu plus détaillé sur les actions avant 1913, V M.George-Cahen, Le droit d'ester en justice des syndicats professionnels, Préc. P 4 et 5 12 https://francearchives.fr/commemo/recueil- 2007/39688#:~:text=Le%2011%20mars%201907%2C%2087,qui%20s%C3%A9vit%20depuis%20sept%20ans. 13 J-M Verdier, Traité de droit du travail sous la direction de Camerlynck, t.5, les syndicats, n°196, éd 1987. 14 M. Long, P. Weil, G Braibant, P.Delvolé et Genevois, GAJA, 17e éd., Dalloz, 2009, n°17 ; J.-F. Lachaume et H.Pauliat, Droit administratif. Les grandes décisions de la jurisprudence, 14e éd., PUF, p.685. 11 Néanmoins, c'est avant tout grâce à la persévérance des syndicats patronaux, très protecteurs de l'intérêt de la profession et assistés par les conseils d'une doctrine militante, qu'on a pu admettre l'existence même de la notion d'intérêt collectif de la profession. Cette notion a permis effectivement aux syndicats d'agir en justice pour défendre un intérêt autre que leurs intérêts propres. Il est important de souligner ce fait lorsqu'on sait aujourd'hui que l'action est mobilisée essentiellement par les syndicats de salariés et que plusieurs employeurs lui sont hostiles. Liberté syndicale, personnalité juridique et action en justice : De façon processuelle, la recevabilité de l'action en justice est tributaire de la possession par le demandeur de la capacité juridique d'ester en justice. Une telle capacité n'est pas possible si la liberté de constitution n'est pas reconnue. Liberté, personnalité et action sont de ce fait liés. C'est donc à partir de la liberté syndicale et de la reconnaissance de la personnalité morale que s'est ouvert aux syndicats professionnels l'ensemble des prérogatives juridiques à l'instar du droit d'agir en justice. Cette liberté a permis en effet « la constitution des groupements syndicaux selon des modalités peu contraignantes, voire même réduites au minimum. ». 15Et c'est à compter de ce fait juridique que les syndicats ont eu une existence légale. La loi du 12 mars 1920 16 a ainsi « oeuvré à la construction des collectivités de salariés par le droit du travail et a contribué à la naissance et l'identification du groupe tout autant à la défense de ses intérêts »17. C'est également cette loi qui a codifié l'action dans l'intérêt collectif. Base légale : L'action dans l'intérêt collectif, aux multiples nominations18, niche aujourd'hui dans l'article L 2132-3 C.T. Cet article est un vestige presque19 intact de son prédécesseur L'article L 41111 C.T issue de la loi du 12 mars 192020, Politiquement, il s'agit de l'une des plus importantes habilitations à agir conférée aux syndicats professionnels pour défendre l'intérêt collectif de la profession, si ce n'est la principale. Cet article, composé de deux alinéas, confère aux seuls syndicats professionnels la possibilité d'exercer la totalité des droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice que soit direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent. L'action peut être exercée devant toutes les juridictions à l'instar des juridictions répressives, civiles ou administratives. « Bien qu'indécise (« préjudice direct ou indirect ») et fuyante (« intérêt collectif ») la formule a survécu aux combats qui ont suivi son intégration dans notre droit 15 Emeric Jeansen, Lexis 360, la représentation syndicale, n°3263. 1.1 16 L'article L. 411-10 C.T (ancien) devenu L. 2132-1 C.T. 17 Cyril Wolmark, l'action dans l'intérêt collectif - Développements récents. Droit social n°7/8-juillet-Aout 2017. P.631 18 L'action est nommé tantôt l'action en défense de l'intérêt collectif, parfois l'action dans l'intérêt collectif de la profession ou l'action en justice au nom de l'intérêt collectif, ou l'action dans l'intérêt général de la profession ou l'action « syndicale » ou encore l'action de l'article 2132-3 C.T 19 A la seule différence de l'expression « relativement aux ». 20 Loi qui reproduit dans l'article L 411-11 C.T l'essentiel de la solution des chambres réunis du 5 avril 1913. 12 positif ».21 Il faut noter que la conformité de l'article 2132-3 C.T à la constitution22 a été examinée à l'occasion d'un contentieux qui a porté sur le repos dominical. La chambre sociale a décidé de ne pas renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité devant le conseil 23estimant que celle-ci « ne présente pas un caractère sérieux »24. Le conseil constitutionnel affirmait dans cette affaire, que l'article 2132-3 C.T découlant de la liberté syndicale ne porte pas atteinte à la liberté personnelle ni au droit et recours effectifs des salariés. Selon certains auteurs « La cour a agrémenté sa motivation d'une référence intrigante à la convention EDH et à la Convention internationale du travail ».25 Cette disposition de l'article L 2132-3 C.T est restée propice à l'interaction entre différents « essences » d'intérêts à vocations collectives. L'originalité de la prérogative : Selon un principe général de droit toujours en vigueur, « Nul ne plaide en France par procureur »26. Cela signifie qu'un demandeur ne peut agir que pour défendre ses intérêts personnels. Il n'a donc pas le droit ni la faculté de plaider en faveur d'autrui. L'article 2132-3 C.T constitue cependant une entorse à ce principe de droit. Cet article habilite les syndicats à agir en défense de l'intérêt « du groupe qu'ils représentent ».27 « Cette action montre une forte singularité au regard du droit procédural, dans la mesure où elle constitue un cas exceptionnel dans lequel un groupement est habilité à agir dans un intérêt qui n'est pas le sien propre »28. Ce privilège on peut le justifier par la vocation altruiste du syndicat et sa légitimité à défendre les intérêts de l'ensemble de la profession. « L'enjeu de cette action est qu'elle permet au syndicat d'agir lorsqu'un litige dépasse l'intérêt personnel du salarié et rejaillit sur la collectivité ».29 Mais qu'est-ce que c'est que cette action dans l'intérêt collectif ? L'analyse des termes qui composent cette action est nécessaire avant que nous puissions nous concentrer sur la notion même de l'intérêt collectif. L'action en justice : D'après Demolombe, l'action (en justice) est « le droit à l'état de guerre au lieu d'être à l'état de paix ».30 Elle est définie comme étant « un droit subjectif, de nature processuelle, 21 Serge Guinchard, l'action de groupe en procédure civile française. Préc. pp 603 et s 22 Particulièrement aux articles 2, 4 et 16 de la DDHC de 1789. 23 Note Bertrand Inès, Ss. Soc 5 juin 2013, FS-P+B, n°12-27.478, Action syndicale : non renvoi d'une QPC, Dalloz actualité. 24 Manuela Grévy, Ss, Soc 22 janvier 2014, n° 12-27.478. L'action en justice dans l'intérêt collectif de la profession au coeur de la « saga de l'ouverture du dimanche », RDT 2014. P484 25 Gatien Casu, La semaine juridique-2dition générale, n°36 - 2 septembre 2013 p 1580 26 « Nemo legem ignorare censetur ». 27 Sophie Rozez, préc. p.733 28 Frédéric Guiomard, « Quelle place faire aux actions de groupe en droit du travail ? » RDT 2014 p 569 29 Sophie Rozez, préc. p.737 30 C.Demolombe (1855-1866), cours de Code Napoléon, Paris, t.9, N°338 13 permettant d'obtenir d'un juge qu'il statue sur le fond d'une prétention »31 et comme étant aussi « le fondement de la recevabilité des prétentions »32. Mais l'action est avant tout un droit. Un droit « pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée »33. L'action en justice peut, soit être recevable ou être exclue au moyen d'une fin de non-recevoir. La réception de l'action par le tribunal lui ouvre la voie pour être jugée soit bien soit mal fondée 34 Une action parmi un panel d'action types : Le syndicat dispose d'un panel d'actions en justice qu'il a la possibilité de déployer au cas par cas. Il importe de bien distinguer entre l'action exercée dans l'intérêt « propre » du syndicat ( qu'ils soient patrimonial ou extrapatrimonial (Art 2261-11 C.T), l'action exercée au nom d'un salarié auquel le syndicat se substitue (Action de substitution ), A cela il faut ajouter l'action de groupe dite de discrimination (Art 1134-7 C.T et suivant ), l'action en intervention de l'article 2262-10 C.T et enfin l'action « générique » dite aussi « syndicale » exercée en défense de l'intérêt collectif de la profession (Art 2132-3.C.T). Les fonctions de l'action syndicale 35: L'action dans l'intérêt collectif est action multifonctionnelle. L'action dans l'intérêt collectif vise d'abord à défendre le respect des lois de la profession et de manière générale les textes sociaux. Une fonction de veille juridique et sociale sur l'application des règles en vigueurs. L'action a pour but aussi d'obtenir la condamnation de l'adversaire (généralement un employeur ou un concurrent) à verser des dommages et intérêts au syndicat qui sera ainsi indemnisé du préjudice direct ou indirect subi par le collectif professionnel. Ensuite l'action revêt une fonction répressive puisque le syndicat est considéré comme le procureur de l'intérêt collectif de la profession. La fonction revêt un symbolisme particulier puisqu'elle est monnayée in fine à l'euro symbolique. 31 Benjamin Rottier, Lexis Nexis, L'action en justice n°3247.p2 32 Nicolas Cayrol, Action en justice Dalloz Collection, Dalloz Corpus 2019 ISBN p.13 n°3 33 L'article 30 du CPC. 34 La signification de la recevabilité nous invite à examiner la définition de l'action prévue à l'article 30 CPC. Cette définition nous enseigne que « une prétention est recevable, c'est-à-dire (basée sur une action) est une prétention qui doit faire l'objet d'un examen de fond de la part du juge. Pour autant cette prétention soit recevable ne signifie pas qu'elle sera reconnue bien fondée. Une prétention peut être recevable et, après examen au fond, mal fondée. » In Nicolas Cayrol, Action en justice Dalloz Collection, Dalloz Corpus 2019 ISBN n°5 p.14 35 Sur les fonctions de l'action syndicale V. Marc Richeveaux, « l'action en justice des syndicats et l'intérêt général » https://www.u-picardie.fr/curapp-revues/root/10/richevaux.pdf p.96 14 « L'action est susceptible d'être d'avantage offensives « tribunicienne », l'action peut avoir pour objet principal de constituer un précèdent afin de protéger l'intérêt collectif ou de résoudre une question de principe ou de portée générale intéressant l'ensemble de la collectivité professionnelle »36 Elle permet ainsi aux syndicats d'affirmer leurs positions juridiques vis-à-vis d'une question qui intéresse la profession entière.37. L'exercice de cette action exige deux conditions : d'abord le syndicat doit agir dans l'intérêt collectif de la profession et le préjudice subi doit affecter les intérêts collectifs de la profession.38 Qu'est-ce qu'une profession ? La profession : La « profession » est une notion très liée à l'histoire du droit de travail et à ses « enjeux contemporains »39 mais dont on n'a pas de définition juridique propre.40 On a souvent tendance à confondre « profession »41 et « métier » bien que l'usage des deux notions puisse être différencié42. Le terme profession remonte en effet à l'édit de Turgot de 1776 qui a anéanti une première fois « les corporations »43 avant qu'elles ne soient définitivement abolis44 par la loi Le Chapelier de 179145. C'est à partir de cette date que les professions ont perdu leur existence juridique et que la revendication au nom d'elles ont été réprimés 46. La profession va être rééditée à la fin de l'empire libéral (second empire) notamment avec l'abrogation de la loi Le Chapelier en 1864 et la promulgation de la loi relative à la création des syndicats professionnels du 21 mars 1884. Cependant, 36 Cyril Wolmark, l'action dans l'intérêt collectif - Développements récents. Préc. P.631 37 Marc Richevaux, l'action en justice des syndicats et l'intérêt général (référence incomplète) p 97 38 Serge Guinchard, Frédérique Ferrand, Cécile Chainais et Lucie Mayer, « Procédure Civile », Hyper cours, 6éme édition, Dalloz 2019 n°116 p.61 39 Des enjeux de liberté, d'identité et de sécurité selon Pascal Caillaud, Droit social n°2 février 2016, déclin ou renouveau des professions ? p 100. 41 Une partie de la doctrine s'accorde à définir les professions comme étant« des métiers auxquels est associé un statut, procurant des avantages en terme d'autonomie, de pouvoir, de rémunération, et de prestige », F.champy, la sociologie des professions, Coll. « Quadrige Manuels », PUF, 2009. 31 s. 42 La profession « désigne aussi bien les activités manuelles que les activités intellectuelles ; elle est employée spécifiquement pour désigner les activités libérales » alors que le métier « renvoie à des considérations matérielles et techniques et est employé pour désigner l'activité des ouvriers et des artisans », Pour mieux saisir la nuance, V Jean-Pierre Le Crom, La profession dans la construction du droit de travail, Droit social n°2 février 2016 p 105 43 Ce sont des communautés de métiers, appelés aussi Jurandes qui décidait des règles d'entrée dans le métier. 44 C'est une Loi célèbre qui a « mis fin au monopole des communautés d'art et métiers et qui a démantelé également « tout un maillage de solidarité professionnelles qui s'est érigé au point de former une constitution politique », in Patrick Legros, L'intervention sociale d'intérêt collectif entre action collective et management, Cairn.info pour ERES, Vie sociale- n°/2012 .p 148. 45 S. L. Kaplan, la fin des corporations, Fayard, 2001, 740 p. 46 P.Minard, le métier sans institution : les lois d'Allarde, Le Chapelier de 1791 et leur impact au début du XIXe siècle, in S. Kaplan et P.Minard, La France malade de corporatisme ?, Belin, 2004.81-95 15 la base de regroupent des salariés et employeurs va rester imprécise parce qu'elle pourrait concerner la profession, les métiers similaires ou les professions connexes47. On va le voir mais c'est exactement cette notion de connexité qui va amorcer la mutation du syndicalisme en France, d'un syndicat de métier à un syndicalisme de profession. La notion de profession va d'ailleurs être la source de l'une des plus importantes discussions conduisant à la promulgation de la loi relatives à la création des syndicats de 188448. La question se posait à l'époque de savoir si les syndicats étaient aptes ou non à défendre en plus de leurs intérêts propres, les intérêts généraux de la profession. La règle d'interdiction de plaider par procureur invoquée initialement par la chambre criminelle pour refuser cette compétence aux syndicats a été neutralisée plus tard par les chambres réunis de la cour de cassation par le fameux arrêt du 5 avril 1913. Un arrêt précurseur dont l'esprit va être repris par la suite par la loi du 20 mars 1920. L'intérêt collectif, une notion complexe : Il est difficile d'avoir une définition qui vaut dans toutes les hypothèses de l'intérêt collectif. La fugacité de la notion et son « évanescence »49 a laissé perplexe plus qu'un auteur. L'expression change un peu de sens selon qu'on l'utilise pour définir des espaces de représentation ou selon qu'on s'en sert pour voir quelles sont les conditions de recevabilité de l'action dans l'intérêt collectif. Il n'y pas une notion qui vaut tout le temps de l'intérêt collectif ; Par exemple, l'intérêt collectif qui s'incarne dans des communautés de travail (Etablissement, UES . . . etc.) n'a pas d'effet sur l'action dans l'intérêt collectif. L'intérêt collectif au sens des espaces de représentation se distingue donc de l'intérêt collectif au sens de l'action en justice dans l'intérêt collectif. L'action dans l'intérêt collectif se joue donc sur un autre niveau qu'on exposera ultérieurement. La notion d'intérêt collectif est également différente de l'intérêt à agir qui est une condition de recevabilité de l'action en général. Décidément il s'agit d'une notion balise qui sert à plein de choses. Certains auteurs ont à propos pu affirmer que c'est une notion qui « se dérobe à toute définition essentialiste ».50 Une notion qui se conjugue tantôt avec l'intérêt général, tantôt avec l'intérêt individuel. C'est à travers l'examen des obstacles qui se dressent devant elle qu'il nous sera possible d'approfondir son sens précis. La complexité de la notion se matérialise également dans la faculté qu'a l'action dans l'intérêt collectif à couvrir des atteintes indirectes, potentielles et même prospectives. Tout l'intérêt de l'analyse est de réussir à circonscrire cet intérêt dans un cadre perso-spatial qu'on pourra rattacher à un préjudice déterminé. L'analyse de cet intérêt passe donc par une limitation de 47 Article 2 de la loi 1884. 48 A propos de la loi de 1884, V : Denis Bardet, Retour sur la loi de 1884 : La production des frontières du syndicat et du politique, Persée, in : Genèses, 3, 1991. La construction du syndicalisme.pp.5-30 49 F.Guiomard, quelle place faire aux actions de groupe en droit du travail ? , préc, .568 50 Cyril Wolmark, l'action dans l'intérêt collectif, préc. p.632 16 voisinage avec les autres intérêts à savoir ceux de la société (l'intérêt général), ceux du travailleur (l'intérêt individuel), ceux de l'entreprise (l'intérêt sociétal) et ceux de l'institution élus. Cette lecture est brouillée par une mutation récente des intérêts, laquelle est amorcée par la mutation même du droit du travail. La mutation des intérêts : La mutation des intérêts a contribué à rendre l'action plus difficile à circonscrire. Les intérêts s'additionnent parfois et leur consistance se confond parfois et se superpose. L'intérêt général mute et détecte des nouvelles fonctions influencées par les nouvelles politiques sociales et législatives51. L'intérêt social (de la société) boussole de l'entreprise présage une évolution subtile et multidirectionnelle amorcée par des nouvelles lois sociales52. L'intérêt individuel, fort de son caractère « égoïste » se cristallise aujourd'hui dans de nouvelles configurations altruistes. L'action dans l'intérêt collectif s'adapte et se réarticule autours de ces nouveaux paramètres. Cette dynamique nous convie à se focaliser sur le périmètre de ces intérêts ainsi que leurs interactions. La notion d'intérêt collectif : Cette notion d'intérêt collectif n'a pas été définie par le législateur. Elle est pour-autant primordiale parce qu'elle vectorise l'action exercée dans l'intérêt collectif et conditionne par conséquence sa recevabilité. L'intérêt53 collectif, s'analyse comme « un trouble susceptible d'être ressenti par chacun des membres des syndicats et de nuire à la profession entière ».54 L'atteinte à l'intérêt collectif de la profession « De façon synthétique, sera reconnue ... en cas de violation d'une règle causant un préjudice à l'ensemble des salariés ou à une partie d'entre eux ».55 Cet intérêt collectif peut se définir à la fois par un aspect positif et un aspect négatif. On a pu affirmer à propos de cette notion que « Négativement, (elle) ne se confond ni avec l'intérêt général, ni avec les intérêts particuliers de ses membres ou de la victime directe. Pour autant, il peut se cumuler avec eux dès lors que, par définition, toute infraction porte atteinte à l'ordre public, et que toute personne subissant un préjudice personnel en lien direct avec l'infraction peut se constituer partie civile. Positivement, on peut y voir (dans l'intérêt collectif de la profession) une sorte de sous-ensemble de l'intérêt général, plus étroit que ce dernier. En effet, il ne concerne que la collectivité des personnes exerçant la profession pour la défense de laquelle le syndicat est constitué. Par ailleurs, il est plus large que l'intérêt individuel, car il peut exister même si la victime 51 Cet intérêt général « trouve un nouveau visage sous les traits du bien commun que constitue l'emploi, favorisé par la sécurisation des décisions d'une des parties du contrat de travail », T.Sachs, Quand la sécurité juridique se perd dans l'analyse économique.Dr.soc.2015.1019 in Cyril Wolmark, l'action dans l'intérêt collectif, préc. P.631 et s 52 Exemple : La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 (Connue sous le nom de Loi Pacte). 53 Malgré une connotation négative. 54 Brun et Galland, Traité de droit du travail, 2eme édition, 1977, t, 2, n°808 55 Marie-Cécile Amuger-Lattes, La semaine juridique Entreprise et Affaire n°50, 14 décembre 2006 La répression continue du harcèlement moral au travail, p.2808. 17 n'est pas membre du syndicat dès lors qu'elle exerce la profession ».56 Nous pensons que cet intérêt est à mi-chemin entre l'intérêt individuel d'une part et l'intérêt collectif d'autre part. Un intérêt collectif (qui) n'est pas en plus équivalent à la somme d'une addition mathématique des intérêts individuels. « La frontière tracée par la jurisprudence entre des intérêts purement individuels et l'intérêt collectif n'est pas toujours convaincante ».57 Il y'a une sorte de porosité presque normale entre intérêt collectif et intérêt individuel qui rend cette notion insaisissable. « Les spécialistes de procédure civile considèrent que cette notion d'intérêt de la profession constitue une pure abstraction dépourvue d'un contenu véritable ».58 A ce stade de réflexion, on peut dire que l'intérêt collectif est « un résultat mathématique d'une solution favorable qui dépasse virtuellement la somme de tous les intérêts individuels additionnés ». On pense que l'intérêt collectif a au moins trois caractéristiques : Il réussit bien à s'adapter, il a une grande facilité à s'identifier et enfin il se conjugue bien au pluriel. Droit et organisations syndicales : le rapport entre droit et organisations syndicales et plus précisément le rapport entre actions en justice et organisations syndicales est loin d'être simple. Les profondes évolutions que les organisations syndicales ont subies durant la dernière décennie59 sont évocatrices d'un mouvement alternatif qu'on peut brasser à grand traits. « A la méfiance que les syndicats ont longtemps montrée à l'égard du système judiciaire et de l'action devant les tribunaux, semble s'être substitué un usage relativement courant de l'action en justice, désormais intégrée aux stratégies d'action des syndicats ». 60 L'évolution est rattachable donc au contexte syndical de l'époque. D'abord « Les organisation syndicale ont très longtemps considérés avec beaucoup de méfiance l'ordre juridique »61. Dans ce contexte, il convient de rappeler que le conseil des prud'hommes62, reconnu au 19eme siècle, a été pensé comme une institution concurrente aux institutions juridictionnelles « Etatiques ». En raison de cette méfiance63, les organisations syndicales ont opté pour l'action 56 Cerf-Hollender, Infractions relevant du droit social, Dalloz, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé 2010/4 N°4, p 871. 57 Sophie Rozez, L'action en justice, action individuelle, action collective, préc. n°796 p.737 58 J.Héron et T. Le Bars, droit judiciaire privé, Montchrestien, 2002, n°74 in Fréderic Guiomard, La mobilisation du droit dans les luttes, Syndicats, préc, p50. 59 Précisément, depuis les années soixante-soixante-dix 60 Fréderic Guiomard, Droit Social 2020, préc. p.130 et s 61 Fréderic Guiomard, La mobilisation du droit dans les luttes, préc, n°29 p48 62 Les conseils de prud'hommes sont nés à Lyon en 1806. Ce sont les lois du 15 juillet 1905, 27 mars 1907 et 15 novembre 1908 qui leurs ont conféré leurs forme moderne. 63 L.Willemetz, Quand les syndicats se saisissent du droit. Invention et redéfinition d'un rôle, Sociétés contemporaines, N°52, 2003.17 18 collective 64 plutôt que pour l'action en justice. Pour témoigner de ce mouvement, un texte65 tiré de la Revue de la vie ouvrière de 1973 et republié par la suite dans la Revue pratique du droit social (écrit spécialement à l'occasion du 60éme anniversaire de la CGT ) est révélateur. L'apparence des préoccupations juridiques dans le mouvement syndical n'étaient pas en effet évidente. Cette apparition s'est opérée d'après ce texte en plusieurs phases. Elle a été initiée d'abord par une vision péjorative du droit et de la justice en général. C'était plutôt un droit qui faisait durer l'exploitation des ouvriers et qui était difficile à défendre par les ouvriers. Les lois « bourgeoises » défendaient uniquement les intérêts du patronat. D'ailleurs c'est pourquoi le texte fait référence à la théorie anarchiste66. L'auteur du texte précise en même temps que la défense juridique peut malgré tout devenir un aspect de la lutte des classes et de conquêtes de nouveaux droits. 67 Le droit n'est pas source de progrès mais il peut le devenir. 68 Cette première phase est suivie ensuite par une autre qui marque une conception défensive voir passive du recours à la justice.69 Le droit devint un outil dans la lutte des classes. Cependant, lorsque la loi est devenue une source du progrès, celle-ci risquait d'être ignorée et non appliquée par l'employeur. Les syndicats dans ce cas étaient contraints de demander l'application du droit par le biais des actions en justice La troisième étape a marqué enfin un passage d'une vision défensive à une vision plus offensive. 70 Il y'avait une prise de conscience de la nécessité d'utiliser le droit afin de faire respecter le droit et surtout afin d'obtenir des nouveaux droits pour le groupe. Le développement des stratégies judiciaires : Certaines confédérations syndicales ont commencé assez top à développer de véritables stratégies judiciaires dans l'intérêt collectif de la profession. Les confédérations qui sont à l'origine de ces stratégies sont principalement la CFTC et la CFDT ; La CFDT, depuis les années 60, a compris très vite l'intérêt que les stratégies d'action en justice pouvaient lui apporter. Ce qui lui a permis de réussir à imposer l'application de certaines conventions collectives 64 L'action collective se définit comme étant « l'ensemble des pratiques coordonnées d'un groupe pour la défense de ses valeurs et de ses intérêt », Pierre ANSART, « Action collective », in André Akoun et Pierre Ansart (dir), dictionnaire de sociologie, Paris, Le Robert/Seuil, 1999, P8 65 Ce texte est intitulé « Comment sont apparus les préoccupations juridique dans le mouvement syndical français » (introuvable) 66 L'inverse du droit étant l'absence de droit. 67 «Nous pensons aujourd'hui que la défense juridique est un aspect de la lutte des classes ». 68 Dans le quart du 20éme siècle les théories anarchisante étaient influentes dans la classe ouvrières et il y'avait peu de lois sociales à défendre. Cela explique que dans les syndicats, les lois de la bourgeoisie étaient alors globalement tenus comme suspecte voire dangereuses. 69 « L'évolution est logique, on lutte pour les revendications des travailleurs. La lutte connait des revers mais aussi des succès. Et parfois ces succès donnent lieu à des lois. Le patronat sabote l'application de ces lois. Pour lutter contre lui, il faut aussi l'obliger à respecter ces lois ». Préc. 70 Il y'avait une réelle volonté de développer une « conception offensive » de l'utilisation de lois sociales. 19 et d'améliorer l'environnement juridique de l'époque à travers des revirements de jurisprudence. Parmi ces stratégies judiciaires, on compte les arrêts Perrier71 en lesquelles la cours de cassation a déduit qu'il y'avait bien un délit d'entrave. Ces actions ont été menées donc par la CFDT mais aussi dans une moindre mesure par la CGT. Ces arrêts étaient perçus comme une grande victoire de l'action syndicale. Ces actions syndicales étaient en fait appuyées par plusieurs universitaires tel que le doyen Verdier qui a joué entre-autre un rôle important dans l'accomplissement de ces revirements. Quant à la CFTC elle avait recours à une stratégie assez particulière qui consistait en effet à aller sur le domaine du pénal. 72 L'époque était particulièrement propice au renforcement de l'arsenal des actions ainsi que les sanctions pénales susceptibles d'être prononcés à l'encontre des employeurs. Le mouvement était mal perçu par ces derniers à tel point qu'on a utilisé le terme de « Juges rouges » pour désigner les magistrats particulièrement sensibles à la question sociale. Stratégies récentes d'action dans l'intérêt collectif : Récemment encore, on voit qu'il y'a certaines thématiques qui sont au coeur de ces stratégies syndicales parfois sur le long terme73 Comme à l'occasion du contentieux sur le respect du « Contrat de nouvelle embauche », des dispositions de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail 74 ou sur la discrimination au travail. La mobilisation de la prérogative : Marque d'une exponentielle évolution, l'exercice de l'action s'est opéré sur plusieurs niveaux75. L'évolution de cette mobilisation peut se lire comme le signe d'une réelle souffrance syndicale selon certains auteurs. 76 On se demande si elle n'est pas, en fait « en trompe-l'oeil » ?77 . On se demande à notre tour si elle ne sert pas en effet à faire la promotion 71 Cass, Ch. MIXTE, du 21 juin 1974, Publiés au bulletin, arrêts dans lesquels il était question de représentants du personnel et différents employeurs. L'employeur de la société Perrier avait décidé de résilier le contrat de ces représentants- salariés mandaté, il avait fait une demande de résiliation judiciaire sans demander au préalable l'accord de l'administration. 72 Ce n'est pas pour rien qu'à l'époque on parlait de pénalisation du droit du travail, notamment par le biais du délit d'entrave. Les arrêts Perrier s'inscrivent donc dans la continuité du mouvement de pénalisation du droit du travail comme par exemple la loi de 1972 qui a modifié le régime applicable aux sanctions du droit de travail. 73 J.-P. Murcier, La stratégie judiciaire de la CFDT. Une stratégie pour les temps, Action juridique CFDT, n° 4, juillet-août 1978. 74 Soc. 1er juill. 2008, no 07-44.124, Bull. civ. V, no 146. 75 « Les actions syndicales paraissent se déployer aujourd'hui à tous les niveau, que ce soit dans l'entreprise, la branche , le niveau interprofessionnel et, de façon croissante à une échelle internationale, devant la cour européenne des droits de l'homme, le comité européen des droits sociaux ou devant l'OIT » in Fréderic Guiomard, Droit Social 2020.préc. p.130 et s 76 « La multiplication, dans la période récente, de procédures médiatisées par les confédérations syndicales pourrait même parfois laisser craindre que l'action en justice ne masque les difficultés de l'action juridique au quotidien dans l'entreprise » in Fréderic Guiomard, préc. p.130 et s 77 Fréderic Guiomard, préc, p.130 et s 20 auprès de salariés de plus en plus désintéressés par le monde syndical ? La place décadente du syndicalisme dans l'entreprise ainsi que les difficultés rencontrées par les organisations syndicales pour recruter sont susceptibles de soulever des questions sur la légitimité de cette action, et d'encourager inclusivement la recherche de nouvelles voies revendicatives. Le rôle grandissant dévolu aussi bien à la négociation collective qu'aux élections professionnelles dans l'attribution des prérogatives syndicales, permet de soulever des questions relatives aussi à la qualité des acteurs investis dans la mission de défense de l'intérêt collectif. L'intérêt du sujet : Mais pourquoi intéressons-nous à cette action ? On l'a vu, l'action dans l'intérêt collectif est la première prérogative historiquement, qui caractérise un pouvoir de représentation du syndicat qui dépasse ses membres. C'est la prérogative qui traduit un pouvoir de représentation dans un intérêt collectif. C'est la Jurisprudence qui a délimité cette action dans l'intérêt collectif et qui a donc peu à peu déterminé ce qu'est l'étendu du pouvoir de représentation des syndicats. En tant que l'un des pylônes du droit social, l'action syndicale en justice, est examinée de manière théorique et assez attentive par la doctrine travailliste. Feux J-Maurice Verdier l'avait qualifié de « vielle Lune » dans l'un de ses derniers articles. 78 Si l'action en justice parait protégée législativement à travers un panel non négligeable de formes79, son expansion a été ralentie ces dernières années à la fois par une collection nouvelle d'intérêts et d'acteurs et par l'émergence de nouveaux types de contentieux. La « question de la recevabilité des prétentions des groupements vindicatifs est une des plus agitées du droit d'agir »80. L'intuition nous poussera à explorer la relation entre un freinage ressenti et un mouvement global de mutation sur le point de survenir. L'action juridique demeure malgré tout un sujet fondamental dans la discipline du droit du travail. Elle constitue une voie inéluctable pour défendre les droits. La garantie des droits et la lutte sociale n'ont jamais été une tâche facile, à cause du lien sensible de subordination juridique. On s'y intéresse donc à cette action parce que son exercice est un levier important de progrès social dans un contexte mondial déconstructiviste des droits. L'action dans l'intérêt collectif est un moyen de lutte « à chaud ». 78 13-Frederic Guiomard, Droit Social 2020 « l'action en justice des syndicats dans l'entreprises : vielle lune, toujours actuelle ? p.130 et s 79 Tel que l'action dans l'intérêt collectif de la profession, l'action en substitution, l'action de groupe... etc. 80 Nicolas Cayrol, Action en justice Dalloz Collection, préc, p 191. 21 On pense que l'exercice de l'action dans l'intérêt collectif est, néanmoins, le signe de la bonne santé d'un système juridique. Du reste, L'article 2132-3 CT, très stable dans le temps a été le terrain et la base légale d'un contentieux qui a vu s'entremêler plusieurs catégories d'intérêts. L'action syndicale est l'archétype d'une représentation au contentieux de type théâtral. Une représentation qui habilite tout syndicat, représentatif ou non à défendre les intérêts supérieurs de la profession, métier ou branche. Il convient de s'interroger dans ce travail sur le régime juridique de cette action à travers les conditions qui permettent son exercice. La casuistique et les domaines de sa recevabilité devant les juridictions vont nous donner une idée précise sur la place réservée au collectif et sur la conception jurisprudentielle de la notion d'intérêt collectif. L'analyse des actions exclues par la jurisprudence se trouvant à la crête des actions admises nous permettra de s'interroger en plus sur le mouvement que cette action est en train d'emprunter. Est-il encore un mouvement d'expansion continue ou au contraire s'agit-il d'un mouvement qui tend vers le déclin ou la réinvention ? Outre le régime juridique et la tendance, il convient de s'interroger aussi sur les raisons qui ont poussé l'action dans l'intérêt collectif à évoluer voire à muter ? L'occasion sera propice par conséquence pour situer le centre de gravité de l'intérêt collectif et de déterminer le cas échéant sa consistance ? L'examen de la jurisprudence nous permet de constater que l'action « syndicale » a connu un mouvement d'extension continue et multidirectionnel depuis sa naissance en 1913. Il y'avait effectivement une longue tradition jurisprudentielle qui tendait à élargir cette action. « La cour de cassation a ces dernières années de manière remarquable donné à ce texte (2132-3C.T) une grande portée »81.Une orientation jurisprudentielle « en parfait adéquation avec le concept inédit d'action en justice résultant de la loi de 1920 ».82 Cet élargissement est perçu à travers des règles d'exercice facilité qui ont donné lieu à des hypothèses de recevabilité assez étendus. L'action est devenue tentaculaire et à la limite de l'incontrôlable d'un certain point de vu. 81 Manuela Grévy, Ss, Soc 22 janvier 2014, n° 12-27.478. L'action en justice dans l'intérêt collectif de la profession au coeur de la « saga de l'ouverture du dimanche », RDT 2014. P486 82 Obs G.Borenfreund, RDT 2007.536 22 Cependant on pressent ces dernières années une tendance jurisprudentielle et législative pour contrecarrer cette expansion et la contrarier83. Son champ d'action est méthodiquement inhibé. Sa déconstruction est perceptible à plus d'un titre. L'irrecevabilité récente de certaines prétentions concomitantes à l'entrée en jeux d'acteurs et de nouvelles actions a affaibli l'action dans l'intérêt collectif. L'ouverture de l'action aux syndicats non représentatifs dérange de plus en plus. On observe un mouvement à contrepied d'une vertu annoncée. Si la jurisprudence n'a pas changé de façon assez nette sa trajectoire, elle semble être pour-autant sur le point de prendre un virage décisif qui pressent une mutation de fond. L'essor vénéré de la négociation collective, la remise en cause de condition de représentativité, la déjudiciarisation du droit social, la dépénalisation du droit84, l'émergence de l'action de groupe, la dichromie de la représentation, la cristallisation des intérêts individuels, l'activation de nouveaux acteurs et problématiques ont contribués au freinage de l'action dans l'intérêt collectif. Le destin de l'action dans l'intérêt collectif est scellé. L'action est contrainte de muter à travers de nouvelles jonctions et articulations. Nous allons montrer dans une première partie comment cette action a été pendant longtemps en expansion tentaculaire à travers des conditions d'exercice facilitées qui ont favorisé sa recevabilité dans des domaines étendus et devant des juridictions multiples (partie première). La deuxième partie sera consacrée par contre à la démonstration du freinage ressenti qu'on voit bien à travers des cas récents d'irrecevabilités et une concurrence montante induite à la fois par des actions et acteurs rivaux (deuxième partie). 83 Cyril Wolmark, préc, p.631 84 Sur la dépénalisation V. M.Segond, A propos de la dépénalisation : pour un débat juridique et non point idéologique : RDT 2012, p.404 23 |
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