4.2. Médiateur numérique : un champ
professionnel en construction ?
Nous avons pu voir que suite à la révolution
numérique et en raison de ses impacts, un nouveau métier se
manifeste : celui de médiateur numérique. Bien que pas toujours
nommé comme tel, en raison d'un probable manque de reconnaissance
vis-à-vis du métier, qui, somme toutes, est assez récent ;
les actions de médiation numérique pratiquées par les
divers professionnels sont assez semblables : accompagner citoyens dans
l'usages des TIC.
Comme l'action sociale d'avant-guerre, la médiation
numérique est pratiquée par des bénévoles, des
emplois précaires... En effet, si le recrutement d' «
emplois-jeunes » avaient pu déjà se faire pour les EPN il y
a quelques années, il s'agit, aujourd'hui encore, d'un secteur au sein
duquel il n'est pas surprenant de rencontrer des bénévoles, des
jeunes en services civiques ou bien encore des employés en contrat
à durée déterminée. Le caractère
précaire des emplois proposés au sein de ce champ professionnel
laisse à penser que ce dernier n'est pas encore reconnu.
La précarité des contrats, et les dispositifs
qui les portent : emploi-jeune, service-civique... questionnent
également sur l'existence d'une offre de formation en lien avec la
réalisation des missions spécifiques liées à la
médiation numérique. En effet, il apparait de premier aborde que
la formation de médiateur numérique n'existe pas
spécifiquement en tant que telle. Il s'agirait
29
de formations courtes (emplois-jeunes), de formation sur le
terrain à partir d'appétences ou de curiosité
(services-civiques et professionnels autodidactes). De plus, concernant la mise
en place des dispositifs précités : MSAP et France Services, la
formation est abordée comme étant une formation continue
auprès des opérateurs de services publics, il s'agirait donc
d'une formation essentiellement technique.
Un médiateur numérique a pour mission
l'accompagnement aux usages des TIC dans un objectif d'autonomisation,
d'empowerment. Il s'agit alors, comme nous l'avons vu
précédemment, d'être à côté de l'Autre,
d'éveiller ses capacités et l'émergence du
désir, moteur actif de la démarche à entreprendre,
afin de lui permettre de trouver des moyens de réaliser ses
objectifs. (Fuster & Jeanne, 2004). Chatel (2002) définit
l'enseignement comme le fait de « tenter de faire apprendre quelque chose
à autrui », en ce sens l'accompagnement mis en place par les
médiateurs numériques se rapprochent des pratiques
d'enseignement.
Néanmoins, l'accompagnement proposé par les
médiateurs numérique peut avoir certaines
limites. Dans son article, Gervais (2017, p. 25) évoque
une situation que nous pouvons prendre
comme exemple de limites rencontrées :
Magda est polonaise, logée dans un centre
d'hébergement et de réinsertion sociale pour femmes (CHRS) [et]
suivie par un travailleur social. Quand Magda vient, on lui procure un
accès à internet. Si elle désire faire une démarche
administrative, nous l'accompagnons. [...] Mais, de plus en plus, les
démarches se complexifient et l'accompagnement de l'usager relève
davantage des missions du travailleur social que de celles du
spécialiste des usages numériques. Expliquer comment envoyer un
courriel est une chose. Envoyer un courriel à la Banque de France
à propos d'un dossier de surendettement que l'on souhaite voir
réexaminé, ce n'est plus de l'ordre de la médiation
numérique.
Cet exemple nous permet de mettre en lumière la
nécessité d'un partenariat entre les acteurs de l'action sociale
et ceux de la médiation numérique. Effectivement, bien des
partenariats soit obligatoires avec les opérateurs de l'Etat, ils ne
sont pas suffisants pour l'analyse et l'accompagnement d'un besoin social dans
sa globalité et sa complexité. Les médiateurs
numériques peuvent se retrouver en difficulté face à une
situation sociale complexe tout comme les travailleurs sociaux se retrouvent en
difficultés quant à l'usage des technologies de l'information et
de la communication.
30
Un maillage territorial semble nécessaire pour la
réalisation des missions de chacun dans une cohérence qui
semble-t-il ne peut être que bénéfique aux usagers. Lors de
la mise en place des dispositifs tels que les France Services, l'Etat sembler
laisser au territoire la liberté de s'organiser, de coordonner ses
acteurs ; mais qu'en est-il réellement ? Un partenariat
s'établit-il avec les structures de l'action sociale ? Les structures
sociales sollicitent-elles ces nouveaux dispositifs ? Il conviendra dans la
suite de cette recherche d'étudier cette relation.
Synthèse du chapitre 4
La médiation numérique, ou autrement dit,
l'accès et l'acquisition de compétences numérique de base,
se pratique depuis l'apparition des TIC. Ayant connu, dans un premier temps,
des difficultés d'accès : matériel complexe,
équipement trop onéreux, connexion à Internet impossible
(zones-blanches), limitée ou trop onéreuse, ... les citoyens sont
aujourd'hui plus confrontés à des difficultés d'usages, de
pratiques. Les Espaces Publics Numériques deviennent Espace de Pratique
Numérique.
En parallèle, l'Etat, visant à réduire
les guichets uniques de services publics en unifiant les opérateurs au
sein d'un lieu unique, met en place les MSAP. Il s'agit, de surcroit, de
dispositifs avant tout pensés pour les territoires ruraux, l'objectif
étant de faciliter l'accès aux services publics. Les MSAP ont la
mission d'accompagner les citoyens aux usages numériques et aux
démarches administratives en ligne. Ce dispositif peut se
présenter comme une réponse à la
dématérialisation du service public et à la fracture
numérique que cette dernière peut accroitre.
Néanmoins, la formation des professionnels reste
à questionner. Celle-ci n'est pas réellement identifiable. De
plus, les médiateurs numériques ne semblent pas formés
à l'accompagnement de personnes en difficultés sociales diverses.
Ils peuvent se retrouver en difficulté dans l'accompagnement d'une
situation complexe nécessitant une orientation vers un professionnel de
l'action sociale.
31
Conclusion de la partie 2
Nous nous demandions précédemment si la
dématérialisation du service public pouvait inaugurer d'une
évolution positive en faveur de l'empowerment des citoyens ou
préfigurer d'un retour à une logique d'assistance.
L'apport d'éléments théoriques a permis de
problématiser cette question de départ.
Nous avons vu qu'au même titre que l'injonction à
l'autonomie mis en place au travers de dispositifs tel que le contrat RMI
(maintenant appelé RSA), la dématérialisation du service
public laissait place à une injonction au numérique. Cette
dernière est cachée derrière un communication positive en
faveur de l'empowerment. Mis en avant par le programme Action Publique 2022 et
le déploiement de dispositifs tels que les MSAP et France Services,
l'empowerment est plus que recherché : c'est un but à atteindre.
La médiation numérique permettrait d'atteindre cette objectif. La
dématérialisation du service public se présente, à
première vue, comme étant en faveur de l'empowerment.
Néanmoins, l'injonction au numérique provoquée par cette
dématérialisation est à questionner. Les citoyens ayant
acquis un certain pouvoir d'agir n'auraient-ils pas le droit, le pouvoir de
refuser le développement des TIC dans leurs vies ? Le libre-choix en
serait-il pas vecteur d'empowerment ?
La fracture numérique est prégnante au sein de
la population française. En effet, l'illectronisme touche 17% de la
population (INSEE). Cette fracture s'avère être un frein à
l'empowerment des citoyens qui, se retrouvant en difficulté, peuvent
renoncer à leurs droits ou solliciter les dispositifs existants. Il est
alors question de solliciter les dispositifs de l'action sociale ou bien,
lorsque qu'ils sont connus et repérés, les dispositifs de
médiation numérique.
Dans le premier cas, les professionnels de l'action sociale
peuvent être en difficulté face à ces nouvelles demandes.
Nous avons vu qu'ils pouvaient, eux aussi, se trouver fracture
numérique. Les encombres qu'ils rencontrent risquent donc de les
encourager à retourner à une posture d'assistance et ainsi de ne
pas favoriser l'empowerment des citoyens.
Dans le second cas, les acteurs de la médiation
numérique, peu voire pas formés aux problématiques
sociales, peuvent se retrouver en difficulté avec des personnes parfois
très éloignées du numérique, qui n'ont pas
forcément l'envie d'apprendre. Ils peuvent donc répondent aux
besoins exprimés, par l'assistance, afin de rassurer la personnes quant
aux usages du numérique et dans l'objectif que celle-ci ne renonce pas
à ses droits.
32
Dans les deux premiers cas, la dématérialisation
du service public préfigure d'un retour à l'assistance. Celle-ci
renvoie à des pratiques non professionnalisées et met en avant un
risque d'accroissement de la dépendance des citoyens, ce qui est en
inadéquation avec le souhait de dynamiser l'empowerment.
Cependant, ces deux entités, que sont la
médiation numérique et le travail social, ont pour objectif
commun d'agir en faveur de l'empowerment. Elles ont pour mission d'accompagner
à l'autonomie. De plus, les difficultés que chacune rencontre
apparaissent comme pouvant être réduites par l'autre. Une
complémentarité entre le travail social et la médiation
numérique se dessine.
Les éléments de cette recherche nous
amènent à problématiser la question de départ et
à nous demander : en quoi une relation entre la médiation
numérique et l'action sociale réduirait le risque de retour
à l'assistance et agirait en faveur de l'empowerment des citoyens
?
Une première hypothèse consisterait à
essayer de réduire le risque de non-recours aux droits. Il conviendrait,
comme le préconise diverses études, de maintenir une
possibilité de réaliser les démarches administratives en
version matérialisée. De plus, les professionnels de l'action
sociale, souvent premiers acteurs sollicités, pourraient accompagner les
citoyens les plus éloignés à « aller vers » les
lieux de médiation numérique.
Une deuxième hypothèse serait de construire le
réseau médiation numérique ainsi que la formation. La
reconnaissance du métier, sa professionnalisation, la mise en place de
formation pourrait offrir, en plus d'un certaine légitimité, la
possibilité aux médiateurs numériques d'être
formés à l'accompagnement de publics divers.
Enfin une troisième hypothèse, liée aux
précédentes, serait de structurer le partenariat entre les
acteurs de l'action sociale et ceux de la médiation numérique par
territoire. Les professionnels de l'action sociale pourraient agir en
complémentarité lorsque les médiateurs numériques
se retrouvent en difficulté avec situation sociale complexe et
inversement les médiateurs numériques seraient un soutien aux
travailleurs sociaux quand ils sont en difficulté avec l'utilisation du
numérique.
Une collaboration entre ces deux entités serait
favorable à l'empowerment des citoyens dans la mesure où les
freins rencontrés par ces derniers seraient réduits.
33
|