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Dématérialisation du service public. étude du lien entre médiation numérique et l’action sociale.


par Lauriane Debaque
Université Toulouse Jean Jaurès - Master 1 Sciences de l'Education et de la Formation 2019
  

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3.2. Quand les acteurs sociaux sont face à leur propre fracture

Nous venons de mettre en évidence différentes problématiques rencontrées par les personnes, impactant leur accès, leur compréhension et leur utilisation des TIC ; celles-ci étant pourtant de plus en plus essentielles à l'accès aux droits. Nous constatons que l'injonction au numérique peut, créant bon nombres de besoins, peut rendre les citoyens dépendant d'une aide sociale. C'est ainsi que les citoyens se voient solliciter les diverses structures de l'action sociale.

Un regroupement d'associations s'alarmait en 2016, dans une tribune que
la dématérialisation constitue un facteur d'exclusion supplémentaire :

La dématérialisation des services publics fait d'Internet un passage obligé pour accéder à ses droits ; ces publics en difficulté affluent déjà vers les guichets d'aide sociale. Ils viennent chercher de l'aide pour s'inscrire [...] ou pour actualiser leurs droits. Les effectifs étant insuffisants pour traiter ces demandes croissantes d'accompagnement, ils sont redirigés vers les associations de solidarité et auprès des professionnels de l'accompagnement social » (Collectif à l'initiative d'Emmaus Connect, 2016).

Les travailleurs sociaux se retrouvent alors acteurs de première ligne face aux fractures numériques des publics. Ils se trouvent interpelés par les quelques cinq millions de Français identifiés par Emmaüs Connect comme étant à la fois en situation d'exclusion numérique et

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sociale. Cependant, ces professionnels de l'accompagnement social n'ont pas été préparés, formés à ces nouvelles demandes.

Dans son travail de recherche, Della Torre (2017, p. 32) met en évidence la dichotomie existante entre le travail social : profession de la relation humaine avec des valeurs comme l'importance du sensible, de l'intime ; et les nouvelles technologies représentées comme abstraites et désincarnées, qui connotent fortement d'une approche de la robotique et donc d'une forme de déshumanisation. Cette dichotomie s'avère être un premier frein dans l'acceptation de la dématérialisation pour les acteurs sociaux.

Avec l'objectif d'étudier le sujet choisi et la volonté de prendre de la distance sur mes propres préjugés, j'ai réalisé une enquête exploratoire par questionnaires (Annexe 1). Celle-ci a été diffusée en ligne et a obtenue 320 réponses de la part de divers professionnels de l'action sociale. Etant le champs professionnel le plus impacté par la dématérialisation des démarches administratives, j'ai fait le choix d'étudier les réponses des professionnels de l'insertion (61 réponses). D'après l'échantillon sélectionné :

- 93.4 % pensent que l'accompagnement au numérique fait partie intégrante de l'accompagnement social

- 70.5 % ne sont pas formés au numérique

- 24.6% pensent ne pas avoir assez de connaissances numériques pour accompagner les usagers vers une autonomie dans la réalisation des démarches administratives en ligne. Cette étude exploratoire met en avant que les travailleurs sociaux, bien qu'actifs sur Internet, puisque répondant à cette étude mis en ligne sur les réseaux professionnels, sont en manque de connaissances et de formations à l'accompagnement numérique.

Les travailleurs sociaux, par le manque de compétences numériques cumulé aux difficultés de la personne, peuvent se retrouver en difficulté dans leur propre domaine de compétence et peuvent être amenés à faire « à la place ». Ayant pour objectif l'autonomie des usagers, les pratiques d'accompagnement au numérique peuvent questionner les professionnels qui sont amenés à faire à la place et non avec (Chrétien, Gilson, Janssen, & Picavet, 2018). Avec son questionnaire (484 questionnaires exploités) en ligne diffusé au niveau national en 2015 auprès d'intervenants sociaux, l'étude « Connexions Solidaires » d'Emmaüs Connect (Davenel, 2016) indique que 75% des professionnels affirment faire les démarches numériques à la place de l'usager. Nous constatons, par cette étude, que la dématérialisation du service public peut entrainer un retour à l'assistance : le pouvoir d'agir des usagers est altéré. Effectivement,

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bien que les intervenant sociaux privilégient en général l'accompagnement avec, ils constatent, en matière de numérique, une perte d'autonomie des personnes :

La non-prise en compte des niveaux de compétences numériques des usagers les rend de plus en plus dépendants d'un accompagnement par un travailleur social. Ce qui va à l'encontre de la mission première du travailleur social, qui est de permettre usagers de s'autonomiser dans leurs démarches et leurs parcours socio-professionnels. (Emmaüs Connect, 2017, p. 72).

Synthèse du chapitre 3

Les études abordées ici permettent de mettre en évidence la présence prégnante de la fracture numérique. Bien qu'étant, il y a quelques années, une fracture numérique basée sur l'accès au numérique en raison d'un équipement trop coûteux ou complexe, il conviendra de dire que cette fracture semble se réduire. D'après l'INSEE (2019), l'équipement des ménages en tablette tactile serait passé de 2% en 2011 à 42% en 2017. Elle reste néanmoins belle et bien présente, nous avons pu le voir lors de la crise sanitaire. En effet, nombre de structures n'étaient pas équipées pour le travail, nombre de jeunes n'étaient pas équipées pour les cours à la maison. Une autre fracture numérique est progressivement apparue : celle liées aux usages. Comme nous venons de le voir, l'illectronisme touche 17% de la population (INSEE). Ces difficultés numériques peuvent engendrer un non-recours aux droits et alors impacter négativement l'empowerment des citoyens. Ces derniers se retrouvent dépendants des guichets d'aide sociale qui ferment peu à peu leurs portes. Les citoyens se retrouvent à interpeller les travailleurs sociaux.

Cependant les professionnels de l'action sociale se trouvent eux-mêmes en fracture quant aux usages. Mettant en avant une déshumanisation de leur métier, ils peuvent rejeter les changements induits par la transition numérique. En manque de compétences numériques, ils se retrouvent en difficulté dans leurs accompagnements et sont amenés à faire à la place des usagers. Cette difficulté peut donc engendrer un retour à l'assistance. Les citoyens ne sont ainsi pas encouragés à se débarrasser du lien de dépendance afin de gagner en autonomie.

Suite à ces difficultés repérées, des dispositifs d'accompagnement au numérique émergent sur les territoires. C'est le cas au sein des médiathèques, des centres sociaux ou bien encore au coeur d'associations. Nous entendons parler de médiation numérique.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery