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Dématérialisation du service public. étude du lien entre médiation numérique et l’action sociale.


par Lauriane Debaque
Université Toulouse Jean Jaurès - Master 1 Sciences de l'Education et de la Formation 2019
  

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Partie 2. Eléments de problématisation

Chapitre 3. L'inclusion numérique : des fractures multiples

Nous avons pu voir que la révolution numérique avait conduit à la dématérialisation dans un bon nombre de secteur d'activité et qu'il en était de même pour le service public.

Par cette dématérialisation, l'Etat a pour objectif de dynamiser le pouvoir d'agir des citoyens. Néanmoins, la fracture numérique déjà présente pourrait s'étendre en raison de l'injonction au numérique que la dématérialisation provoque. Les publics en situation de précarité en raison de leurs situations sociales, financières mais aussi leurs handicaps ou leurs déficiences ne risqueraient-ils pas d'être poussés vers les portes de l'exclusion ? Quel impact la dématérialisation a-t-elle sur l'accompagnement social effectué par professionnels de l'action sociale ?

3.1. Quand la fracture numérique se cumule avec la fracture sociale

L'enquête Capacity (GIS M@ARSOUIN, 2017) nous indique que la population éloignée du numérique compte environ 14 millions de personnes et représente 28 % de la population française des plus de 18 ans. Cette enquête nous précise que 16% de la population française de plus de 18 ans est considérée comme non-internaute, 99% d'entre eux ont plus de 50 ans. Quant au 84% d'internautes, qui ont utilisé Internet au moins une fois dans les trois derniers mois, elle distingue quatre groupes de population en fonction de leur rapport au numérique :

· Les hyperconnectés (31%). Ils ont de bonnes compétences numériques, ils se déclarent à l'aise avec l'utilisation d'Internet. Ces personnes utilisent Internet de manière diversifié, pour l'apprentissage et l'information, mais aussi pour le divertissement et la consommation.

· Les utilitaristes (38%). Ils ont des compétences numériques, ils sont plutôt à l'aise sur Internet. Il s'en serve pour se divertir s'informer ou communiquer, pour consommer... mais de manière moins intensive et systématique que les hyperconnectés.

· Les internautes traditionnels (17%). Ils ont de faibles compétences numériques mais se sentent à l'aise sur Internet. Leurs usages sont moins diversifiés que les profils précédents.

· Les distants (14%). Ils manquent de compétences numériques de base, ils ne se sentent pas à l'aise dans leurs usages sur Internet. Ils s'en servent pour se divertir.

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Lorsque nous prenons en considération la diversité de la population ainsi que les problématiques sociales comme les situations de handicap et/ou de déficience, d'illettrisme, de précarité ; l'accessibilité au numérique pour tous est à questionner. Ces publics, pouvant être relativement autonome dans leurs démarches administratives matérialisées peuvent facilement être fragilisés par la dématérialisation du service public. Leur capacité à agir pour eux même peut être impactée par le manque d'accessibilité que cela soit par le manque de matériel et/ou de connaissances et compétences.

L'illectronisme, autrement dit l'illettrisme numérique, découle de l'illettrisme ; il désigne l'absence de connaissances clés en matière de numérique. Les résultats de l'enquête sur l'illectronisme (CSA Research, 2018) indiquent que 15 % de la population française (âgée de 18 ans et plus) rencontrent des difficultés avec les nouvelles technologies. La simplification des démarches offerte par la dématérialisation et annoncée par l'Etat ne semble pas réaliste. Selon le rapport Baromètre du numérique 2017 (CREDOC, 2017), cela concerne aussi les jeunes, car un quart des 18/25 ans déclarent craindre les démarches administratives en ligne. En effet, bien que possédant un smartphone et surfant sur les réseaux sociaux, les jeunes peuvent se retrouver en difficulté pour ouvrir des droits à la sécurité sociale ou au RSA, ces démarches peuvent nécessiter d'un apprentissage spécifique. La fermeture des guichets d'accueil ne semble pas être en adéquation avec la volonté de l'Etat de dynamiser le pouvoir d'agir.

L'enquête réalisée par le Défenseur des droits (2019) montre que la dématérialisation des services publics viendrait simplifier l'accès aux droits de la majorité des personnes mais que des difficultés fréquentes, qui touchent 12 % des usagers, se concentrent sur un public jeune, vulnérable et/ou en situation de précarité, peu à l'aise dans les démarches administratives. Ce public fragilisé est aussi le plus susceptible d'abandonner les démarches à la suite de difficultés. Le risque est que la dématérialisation des démarches administratives s'accompagne d'une augmentation du non-recours aux droits contrairement à ce qui peut être souhaité par l'Etat.

Le non-recours renvoie à « toute personne éligible à une prestation sociale qui ne la perçoit pas » (Warin, 2016). Les chercheurs de l'Observatoire des non-recours aux droits et aux services (Dewez, 2018) précisent que la dématérialisation de l'administration publique peut accentuer deux sortes de non-recours :

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- la non-réception des prestations par une personne qui va connaître un incident en remplissant en ligne un formulaire pour l'ouverture de ses droits, et dont la démarche va s'arrêter net, faute de dialogue avec un agent.

- la non-demande pour certaines personnes qui refusent le principe même de la dématérialisation ou qui n'ont pas confiance et qui expriment leur désaccord avec le système en ne demandant pas le service ou la prestation auxquels elles ont droit.

Enfin, Meyer et Delahaye (2017, p. 16) mettent l'accent sur un élément non négligeable de cette fracture numérique en demandant « pourquoi [les personnes éloignées du numérique] devraient-elles subir l'exploitation de leurs données là où les personnes les plus incluses en limiteront les accès ». En effet, les publics les moins aguerris dans les usages sont également ceux qui auront le plus de difficultés à protéger leur données. Cela montre bien que leur capacité à agir pour eux-mêmes est restreinte par le manque de connaissances et compétences numériques.

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