1.1.3. La révolution française : un espoir de
changement de courte durée
Le rapport Talleyrand, qui stipule que les femmes n'ont pas le
droit à l'éducation et que leur rôle se limite à
rester à la maison au service de leur famille, est publié en
1791. Il est intéressant de noter que cette même année
marque la parution de « A Vindication of the Rights of Woman »,
le premier ouvrage prônant l'égalité entre homme et
femme écrit par l'écrivaine et philosophe britannique Mary
Wollstonecraft. En réponse à la dévalorisation du sexe
féminin, Mary Wollstonecraft écrit dans son ouvrage « I
attribute [these problems] to a false
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system of education, gathered from the books written on
this subject by men, who, considering females rather as women than human
creatures, have been more anxious to make them alluring mistresses than
affectionate wives and rational mothers » (Site de British Library,
1791, p. 1).
Alors même que le rapport Talleyrand vise à
édicter des règles sociétales, des débats sur les
droits de la femme et son émancipation de l'autorité masculine
commencent à agiter l'espace public. En effet, la révolution
française, sans provoquer de changement radical, a permis à la
femme de prouver qu'elle pouvait être au moins égale à
l'homme. Cette évolution du regard que la société posait
sur elle a été rendue possible par les interventions de quelques
philosophes des lumières qui ont remis en question la place de la femme
dans la société. Ainsi « entre 1725 et 1760 une
quantité d'ouvrages favorables aux femmes, véritables apologies
des "mérites des dames" qui provoquaient le sexe masculin en
l'affrontant avec l'autre sexe dans une sorte de duel où qualités
et défauts servaient d'armes. Ces néo-féministes
cartésiens inspirés par Poulain de la Barre attribuaient aux
femmes des vertus indéniables. » (Berg Kyssing, 1985, p.
1).
Diderot, considéré comme un philosophe
féministe, critiqua le statut d'être inférieur de la femme
dans son essai de 1772. Au même titre que Diderot, Nicolas de Condorcet
lutta pour les droits des femmes et l'égalité des sexes. En
effet, « Condorcet est convaincu (il le souligne dans ses
écrits), qu'une société où cette
égalité n'est pas assurée est une société
bancale, qui se prive à terme de progrès et se condamne à
la médiocrité. » (Caritat et al., 1743, p. 20).
Voltaire, quant à lui, féminisa les métiers exercés
par les femmes en écrivant par exemple « filles du Styx,
huissière d'Atropos » (Viennot, 2017, p. 60). Au même
titre que Voltaire, « en 1763, Rousseau écrit à une amie
à propos d'un de ses portrais : « je crois que la peinteresse ne
vous a pas flattée » (Viennot, 2018, p. 54).
Les philosophes des lumières, femmes et hommes, luttent
donc contre toutes sortes de dévalorisations et
non-considérations. Pour exemple, Madame de Beaumer écrit en 1762
« il semble que les hommes aient voulu nous ravir jusqu'aux noms qui
nous sont propres. Je me propose donc, pour nous en venger, de féminiser
tous les mots qui nous conviennent » (Viennot, 2017, p. 55). Bien que
le XVIIIe siècle ait été un siècle de la
révolution, non seulement française mais aussi de la femme, il ne
restera pas dans les mémoires comme le siècle qui a su faire
plier les « normes linguistiques classiques » et ce, malgré le
dépôt d'un
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projet de loi en 10 articles visant, entre autre, à
abolir la règle selon laquelle le genre masculin équivaut au
genre noble (Rouch, 2018).
Bien que certains philosophes et écrivains luttent pour
la féminisation des noms de métiers dès le XVIIIe
siècle, les grammairiens continuent de préconiser l'emploi du
masculin, considéré comme genre le plus noble. Ainsi, «
dans l'édition de 1847, Bescherelle précisera avec fierté
que la langue française s'est mise en opposition avec toutes les autres
langues, en laissant au masculin tous ces noms auteur, docteur,
géomètre, général, graveur, professeur, philosophe,
poète etc, alors même que ces noms désignent des femmes
» (Viennot, 2018, p. 52).
Il aura fallu cinq siècles à l'académie
française, qui refusa le recourt à l'écriture inclusive et
la féminisation de noms des métiers dès 1689, pour adopter
le 28 février 2019 « à une large majorité un
rapport sur la féminisation des noms de métiers, soulignant qu'il
n'existait aucun obstacle de principe à la féminisation des noms
de métiers et de professions » (Perrin, 2019, p. 1).
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