1.1.2. Le féminin conjugal s'impose à partir
du XVIIe siècle
Tandis qu'au XVIIe siècle, l'usage de la règle
de proximité n'imposait pas au féminin de « s'incliner
» devant le masculin lors de l'accord des genres, l'accord de
proximité disparaît peu à peu entre le XVIIe et le XIXe
siècle au profit du genre masculin qualifié de genre noble
(Nameche, 2018). Le masculin considéré comme neutre l'emporte au
pluriel, et beaucoup de mots utilisés au féminin, comme par
exemple peinteresse, sont condamnés (Viennot, 2014). Ajoutons au nom
peinteresse les noms autrice et écrivaine qui ont été
remis en question dès leur apparition. Le premier a été
accusé de laideur, bien qu'il fasse partie d'une série de noms
qui se terminent par « trice » comme actrice, traductrice ; le second
a donné lieu à la blague suivante de la part de Bertrand
Poirot-Delpech, un journaliste qui devint académicien : « dans le
mot écrivaine, on entend vaine ». Mais, comme le souligne Viennot
(2018, p. 75) « à ce compte-là, dans écrivain, on
entend non seulement vain, mais écrit vain- ce qui est bien pire
».
Cette époque est marquée par
l'implémentation de « normes classiques » qui marquent un
recul de la langue (Paveau, 2002), recul lié à une volonté
de minorer le rôle social de la femme (Wolf-Mandroux, 2019). Ainsi, dans
l'ouvrage Grammaire générale ou exposition raisonnée
des éléments nécessaires du langage (1767), nous
pouvons lire « le masculin est réputé plus noble que le
féminin à cause de la supériorité du mâle sur
la femelle ». La linguistique évolue donc pour refléter
le rôle que la société se fait de la femme. Elle est alors
considérée comme un être faible et inapte à
participer activement au développement de la société. Elle
est dépendante de ses parents jusqu'à ce que cette
dépendance soit transférée à son mari. Il
était effectivement admis que « les femmes restent largement
dominées par les hommes, l'article 213 du Code Civil imposait
l'obéissance de la femme envers son mari » (Wailly, 2004, p.
1). Intellectuellement parlant, la femme était considérée
comme un être
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ignorant, dépourvue de droits les plus
élémentaires tels que l'éducation. Ce faisant, elle se
trouvait généralement privée du droit de travailler, bien
que quelques exceptions liées à son appartenance à une
classe sociale supérieure soient à noter.
La place des femmes dans la société se
réduisant comme peau de chagrin - elles éduquent les enfants et
sont en charge de la bonne tenue du foyer - la langue du XVIIIe siècle
pose un regard ironique et condescendant sur la féminisation des noms de
métiers (Paveau, 2002). « Ainsi l'épouse se voyait
décerner le titre féminisé de son mari à une
époque où ces professions étaient fermées à
la gent féminine, ce que le linguiste Bernard Cerquiglini appelle le
féminin conjugal (...) » (De Féo, 2018).
Ce tournant linguistique majeur s'opère officiellement
en 1718 avec la publication de la deuxième édition du
Dictionnaire de l'Académie, institution créée en
1634 (et uniquement masculine jusqu'en 1981) dont la mission est de «
conserver et perfectionner la langue française » et de
rédiger le dictionnaire. La féminisation des noms de
métiers est maintenue pour désigner la femme de l'homme
exerçant le métier. Ainsi, dans la 1ère
édition, une ambassadrice désignait une « femme
chargée d'une ambassade » tandis que dans la 2e
édition, une ambassadrice désigne l'épouse d'un
ambassadeur (Wolf-Mandroux, 2019). Ce revirement est lourd de sens. La femme
est de nouveau démunie de tout statut, avec un droit à la
reconnaissance qui n'existe que par le biais d'un homme.
Certains noms de métiers, considérés
comme « non nobles », demeurent pour leur part
féminisés. C'est par exemple le cas de coiffeuse ou de
boulangère qui désigne bien les femmes chargées de coiffer
ou de faire le pain et non pas les épouses de coiffeurs ou de
boulangers. Il en est tout autre pour professeuse ou procureuse qui,
métiers plus nobles, sont féminisés certes, mais pour
désigner la femme d'un professeur ou d'un procureur (De Féo,
2018).
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