Conclusion
« De tous les liens qui nouent les hommes dans la
cité, le lien de la langue est le plus fort, parce qu'il fonde le
sentiment d'appartenance à une communauté » (North,
2007, p. 2). Ce lien qui unie les hommes est certainement aussi vieux que
l'humanité, mais ses origines, son fonctionnement et ses
finalités demeurent hypothétiques.
La langue est un vecteur de communication ; c'est la
transcription écrite du langage parlé. Le propre d'une langue est
d'être vivante. Aussi, elle s'adapte aux évolutions historiques et
sociétales et ses adaptations s'imprègnent dans le verbe, dans
les mots et concepts ! Si une majorité des usagers d'une langue
intègre telle ou telle forme dans leur parlé, alors, cette forme
doit être acceptée, même si elle va à l'encontre des
dogmes linguistiques car « Tous les moyens de l'esprit sont
enfermés dans le langage, et qui n'a point réfléchi sur le
langage n'a point réfléchi du tout. » (Alain, 1932).
La féminisation de certains vocables relèverait
de l'évolution de la langue dans une société en
perpétuelle mutation. Jusqu'au XVIIe siècle, le
français, comme le latin dont il est issu, distinguait féminin et
masculin. La question de genre n'était pas évoquée et
l'usage de la règle de proximité n'imposait pas au féminin
de « s'incliner » devant le masculin lors de l'accord des genres. La
période du classicisme, dont l'impact sera spectaculaire par les
changements sociétaux qui en découleront, marquera un tournant
dans le monde politique, culturel, littéraire, et de manière plus
générale, dans la société de l'époque - et
jusqu'à ce jour certains ajouteront. Il en découlera peu à
peu une masculinisation de la langue, et une prévalence du masculin sur
le féminin : l'accord de proximité disparaît peu à
peu entre le XVIIe et le XIXe siècle au profit du
genre masculin qualifié de genre noble (Nameche, 2018). Le masculin
considéré comme neutre l'emporte au pluriel, et beaucoup de mots
utilisés au féminin, comme par exemple peinteresse, sont
condamnés (Viennot, 2014, p.46). Bien que certains philosophes et
écrivains luttent pour la féminisation de la langue dès le
XVIIIe siècle, les grammairiens continuent à
préconiser l'emploi du masculin, considéré comme genre le
plus noble. Ainsi, « dans l'édition de 1847, Bescherelle
précisera avec fierté que la langue française s'est mise
en opposition avec toutes les autres langues, en laissant au masculin tous ces
noms auteur, docteur, géomètre, général, graveur,
professeur, philosophe, poète etc, lors même que ces noms
désignent des femmes » (Viennot, 2018, p. 52).
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Il aura fallu cinq siècles à l'Académie
française, qui refusa le recours à l'écriture inclusive et
la féminisation des noms de métiers dès 1689, pour adopter
le 28 février 2019 « à une large majorité un
rapport sur la féminisation des noms de métiers, soulignant qu'il
n'existait aucun obstacle de principe à la féminisation des noms
de métiers et de professions » (Perrin, 2019, p. 1).
La seconde partie de notre mémoire visait
l'étude de l'adoption de l'écriture inclusive dans les discours
politiques contemporains. Nous avons analysé les discours des trois
présidents de la Ve République suivants : Emmanuel Macron,
François Hollande et Jacques Chirac. L'analyse des discours de l'actuel
Président de la République laisse transparaître un homme au
féminisme convaincu. Bien que seul son discours de l'automne 2017 soit
très inclusif (du fait du thème, mais également des
manifestations féministes de cette année) ; ses engagements en
faveurs des femmes transparaissent dans ses actions. Tout comme Emmanuel
Macron, François Hollande revendique son féminisme. Il ira
jusqu'à déclarer « Parce que je suis féministe,
je m'inscris dans ce mouvement de progrès ». Ce
féminisme n'apparait pas de manière constante dans ses discours
politiques car l'écriture inclusive y est parfois absente. En effet,
sorti des discours de circonstance, son choix se porte plus vers l'utilisation
de termes génériques. François Hollande demeure
néanmoins très impliqué dans la lutte contre
l'inégalité des sexes et l'amélioration des droits de la
femme. Quant à Jacques Chirac (époque oblige ?), ses discours
laissent peu de place à l'écriture inclusive. Tout comme ses
discours, ses actes seront ambivalents : tantôt en faveur d'une
émancipation franche de la femme tantôt enclin à la
renvoyer derrière les fourneaux. Il n'en demeure pas moins le premier
Président à avoir encouragé la parité au sein de
son gouvernement et ce, dès les années 70.
Ce mémoire nous a permis de démontrer que les
discours évoluent avec la société et contribuent à
l'actualisation de la langue. Les discours semblent néanmoins
évoluer moins vite que la société comme l'indique le
faible degré de féminisation des discours de Présidents
qui clament haut et fort leur féminisme. Ce mémoire traduit
également l'importance du choix des mots dans un discours car «
ne pas reproduire dans le langage la non-mixité des dominants, c'est
rendre possible une plus grande mixité sur place en évitant que
seuls des hommes se sentent légitimes à être
présents. Il s'agit d'amorcer une prise de conscience sur le fait que le
soi-disant universalisme de notre langue (mais pas que, et pas que sur le plan
du genre) laisse de côté une partie de l'humanité »
(Pourquoi féminiser notre langage est important, 2017).
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Et s'il n'y avait pas que les mots... Quand l'iniquité
se trouve aussi dans une tenue jugée trop féminine ! Comment
accepter de légiférer sur la féminisation des mots quand
dans l'enceinte même de l'Assemblée Nationale, lieux dominé
par les hommes, certains députés hommes s'appuyaient sur un
règlement intérieur (rédigé par des hommes) pour
contester les vêtements portés par une femme - vêtements
jugés trop féminins pour l'hémicycle ! Au final on demande
aux femmes de s'habiller comme les hommes, tout comme on demande à la
langue qu'un mot féminin soit écrit au masculin. Rappelons-nous
la mémorable passe d'armes de juillet 2012 entre Cécile Duflot,
ministre de l'Ecologie et un groupe de députés hostiles qui
moquaient les fleurs sur sa robe un peu courte. Gageons qui si elle avait
porté un tailleur sobre et sombre, comme celui porté par les
hommes, l'incident n'aurait pas eu lieu. Malheureusement le combat qui consiste
à reconnaître l'identité féminine ne se situe pas
que dans les mots. On comprend que le combat s'annonce difficile et que
légiférer dans une Assemblée dominée par des hommes
n'est pas gagné d'avance, et que le discours politique qui introduit
l'écriture inclusive ainsi que toutes formes langagières
féminisées risque de ne pas avoir que des adeptes. La
féminisation des mots est aussi et surtout une question de pouvoir. Et
pourtant cela n'a aucun sens d'un point de vue juridique ou grammatical, mais
cela montre que l'état est masculin, et par extension que le
français est une langue de pouvoir.
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