Introduction
L'écriture inclusive « née de la
volonté de faire changer les mentalités sur
l'égalité homme /femme par le langage » (Bruno, 2017)
« désigne l'ensemble des attentions graphiques et syntaxiques
permettant d'assurer une égalité des représentants entre
les femmes et les hommes » (Haddad, 2016).
Le débat sur l'écriture inclusive, qui remonte
au 17e siècle (Cerquiglini, 2018), est revenue sur le devant
de la scène suite à la parution en 2017 d'un manuel scolaire en
écriture inclusive. Dans « Questionner le monde », des
élèves de CE2 découvrent l'écriture inclusive
définie par son auteur Raphael Haddad (2016) comme "un ensemble de
manières de faire progresser l'égalité entre les hommes et
les femmes dans l'écriture". Ce manuel « fait
apparaître les noms de métiers, de titres, de grades et de
fonctions avec une orthographe dite inclusive, qui fait figurer le masculin et
le féminin, en les distinguant par un point ou un point médian
». A cette définition nous retiendrons plutôt celle
d'Arbogast (2017) qui postule que l'écriture inclusive «
n'exclue pas, même involontairement, des personnes censées
être incluses dans les propos ».
Cette réforme de l'écriture est bien
reçue dans les pays fervents défenseurs de la francophonie
(Arbour et al., 2014). Ainsi, le Québec a été
précurseur pour ce qui a trait à la féminisation des noms
de métiers. Dès 1976, une terminologue est engagée par le
gouvernement pour « officialiser la féminisation des titres en
position d'autorité comme celui de ministre » (Jobin, 2019).
La réforme se généralise trois années plus tard
lorsque « la Gazette officielle du Québec préconise pour
la première fois la féminisation des titres professionnels : on
parle alors d'une avocate, d'une ministre ou d'une architecte »
(Groussin, 2019, p.2). La féminisation des noms de métiers
devient un sujet de première importance à cette époque
dans la mesure où « l'accessibilité de nouvelles
clientèles aux études universitaires, a vu son effectif
d'étudiantes passer, depuis les années 70, de 45 % à 60
% » (Lamothe et al., 1992, p.3). Cette augmentation de la part
d'étudiantes au sein des universités favorise une
féminisation de la langue et plus précisément des noms de
métiers. Le conseil d'administration québécois s'empare du
sujet et « reconnaissait officiellement, en 1980, l'utilisation des
titres féminins pour désigner les femmes (...). Celui-ci s'est vu
confier le mandat d'établir une liste féminisée de tous
les titres de fonctions » (Lamothe et al., 1992, p.3).
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La commission publia en 1992 un document de travail qui donna
lieu à la coexistence des titres féminins et masculins et
à l'insertion des noms féminins dans la phrase. Cette nouvelle
réforme de la langue a bien progressé au Québec suite
à l'adoption des chartes des droits de la personne, des lois et
réglementations sur l'équité en emploi.
Cette tentative de réforme provoquera en France une
violente levée de bouclier. Il est pourtant illusoire de penser que les
règles linguistiques sont immuables. La langue est une mémoire,
certes, mais ne se doit-elle pas d'évoluer et de s'enrichir au
gré de l'histoire, de ses histoires ?
Malgré les réfractaires, une évolution
apparaît néanmoins dans le discours politique, définit
comme « un discours d'influence produit dans un monde social »,
et dont le but est d' « agir sur l'autre pour le faire agir, le
faire penser, le faire croire » (Giglione, 1989, p. 9). Ce type de
discours consacre une importance à la féminisation qui ne date
cependant pas d'aujourd'hui. Le discours de général Charles de
Gaulle et ce célèbre « Françaises,
français » en est une représentation significative,
bien que remis en cause par les Académiciens dans les années 1980
(Winock, 1998).
Nombreux sont ceux, à commencer par les cercles
féministes, qui incitent à l'intégration de
l'écriture inclusive dans les textes politiques, en accordant beaucoup
d'importance à cet acte nécessaire pour l'émancipation de
la femme et son acceptation dans la vie professionnelle et politique. En
revanche, tous ne sont pas de cet avis. Preuve en est, la consigne
donnée aux membres du gouvernement par le premier ministre actuel
Edouard Philippe, de bannir des textes officiels cette forme d'écriture.
Dans la circulaire du Journal Officiel n°0272 du 22 novembre 2017 il sera
écrit « Je vous invite, en particulier pour les textes
destinés à être publiés au Journal officiel de la
République française, à ne pas faire usage de
l'écriture dite inclusive », et de rajouter « Outre
le respect du formalisme propre aux actes de nature juridique, les
administrations relevant de l'Etat doivent se conformer aux règles
grammaticales et syntaxiques, notamment pour des raisons
d'intelligibilité et de clarté de la norme ».(
Phillippe, 2017)
Cette affirmation nie tout engagement féministe dans
l'écriture « inclusive » dans les textes politiques. Mais cela
prouve-t-il la non-neutralité des politiciens face à
l'écriture « féministe » ? Sont-ils radicalement pour
un éloignement du langage féministe ou finalement pour une
évolution modérée du langage, en faisant dans la
demi-mesure ? Car il est à noter en parallèle que le texte
défend la féminisation systématique des noms de fonctions
employées dans des textes officiels.
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Ces évolutions démontrent le degré
d'engagement féministe, ou à l'inverse le non engagement, des
hommes et femmes politiques. Connaître l'approche politique face au
débat sur l'écriture inclusive est essentiel selon nous, car un
discours politique peut marquer un changement d'ère et une impulsion
nouvelle. En revanche, un discours à lui seul ne suffit pas à
faire tomber les barrières et à amorcer un changement de
mentalité. La parité au sein des collectivités
territoriales, des établissements publics, et des entreprises de
façon plus large, est un excellent exemple. Pour tenir cette promesse
électorale, le gouvernement de François Hollande a dû
modifier la loi. Nous pouvons citer deux exemples emblématiques : la
Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité
réelle entre les femmes et les hommes et l'article 16 de la loi
du 4 août 2016 pour l'obligation des entreprises en matière
d'égalité professionnelle. Ces lois conduiront Schneider
(2012) à écrire que « c'est une première dans
l'histoire de la République Française que nous ayons un
gouvernement totalement paritaire ».
Avant de creuser la problématique de notre
mémoire « quelle adoption de l'écriture inclusive
dans la langue française et les discours politiques contemporains
? », il nous faut préciser que l'objectif du lexique
inclusif est de redonner au sexe féminin de la valeur et de
l'importance, non seulement pour une « égalité linguistique
» au niveau de langage (Mathieu et al., 2009) mais également au
sein de la société.
Notre analyse de l'écriture inclusive « dans la
pratique » abordera les questions de la féminisation de la langue
française. La première partie s'attachera à analyser
l'histoire de la féminisation de la langue et à étudier
les règles de l'écriture inclusive. Dans cette partie nous
présenterons les règles de la féminisation des noms de
métiers et les règles grammaticales dans la langue
française, qui permettent d'appréhender son histoire. La seconde
partie visera à analyser les discours politiques de certains
présidents de la république (avant et pendant leur mandat) et
plus précisément d'étudier si ces discours ont
évolué pour devenir plus inclusifs. Les discours des candidats et
notamment ceux des présidents de la République peuvent
démontrer le degré de leur engagement féministe ainsi que
l'impact du contexte socio-économique sur leurs allocutions.
Il est important de souligner pour notre étude que les
femmes représentent plus de la moitié de la population
française, et autant en termes d'électeurs inscrits sur les
principales listes électorales. Leur participation aux élections
est de fait un enjeu de société pour les candidat-e-
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s « politiques ». Si discours féminisé
il y a, est-il un discours de conviction, ou juste un discours de
séduction ? L'objectif n'est-il pas juste une conquête de
l'auditoire féminin ?
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