CHAPITRE I :
ANALYSE THÉORIQUE DE LA RELATION DETTE
EXTÉRIEURE ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
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DETTE EXTÉRIEURE ET PERFORMANCE ÉCONOMIQUE EN
AFRIQUE SUBSAHARIENNE
INTRODUCTION
L'atteinte d'une croissance économique à deux
chiffes est devenue depuis quelques années l'objectif phare des
économies africaines. Dans cette optique l'ensemble des gouvernements du
continent ont commencé à mettre en place un ensemble de
réformes pour réduire ou éliminer dans leurs pays
respectifs toutes les entraves spécifiques à l'atteinte de cet
objectif notamment à travers plusieurs mesures parmi lesquels, la lutte
contre la corruption, l'amélioration du climat des affaires,
l'élaboration d'un plan de croissance qui a été
communément appelle le document de stratégie pour la croissance
économique, la gestion de la dette extérieure. Ainsi, en ce qui
concerne la dette extérieure, ses effets sur la croissance ont fait
l'objet d'une attention particulière en ce sens que les arguments selon
lesquels l'endettement extérieur favorise la croissance impliquent
généralement que l'aide étrangère joue un
rôle complémentaire à l'épargne intérieure et
donc à la mobilisation des ressources, à l'accumulation de
capital et à l'industrialisation. En revanche, ceux suggérant une
relation négative entre l'endettement extérieur et la croissance
soulignent à quel point l'épargne intérieure est
évincée par le flux de l'aide étrangère.
Parler de la dette extérieure revient ici donc à
se focaliser sur le rôle qu'elle joue dans l'évolution des taux de
croissance des économies. Aussi, l'objectif du présent chapitre
est de mettre en évidence l'influence de la dette extérieure sur
la croissance économique. En particulier, il s'agit de montrer sur le
plan théorique les effets de la dette extérieure sur la
croissance économique. Pour ce faire, nous présenterons dans un
premier temps les effets de la solvabilité de la dette extérieure
sur la croissance économique (Section I) et dans un second temps, nous
analyserons les effets de la soutenabilité de la dette extérieure
sur la croissance économique (Section II).
SECTION I : INFLUENCE DE LA SOLVABILITÉ DE LA
DETTE EXTÉRIEURE SUR LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE
La solvabilité est source de croissance
économique. Elle vise à créer un environnement
macroéconomique, un cadre institutionnel et juridique propice à
l'investissement, à la création d'emplois, à une gestion
efficace et efficiente des ressources publiques. Cette approche, qui fonde la
vision des pays riches, des institutions financières internationales
(IFI) et des économistes orthodoxes, envisage un traitement de la dette
dont le but unique est de permettre aux créanciers de
récupérer la plus grande partie des sommes prêtées,
étant entendu que les effets de la crise d'endettement empêchent
les pays débiteurs de rembourser la totalité de leurs dettes
(Berr et Combarnous, 2005 ; Berr, Combarnous et Rougier, 2008). Dans cette
optique,
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de nombreux arguments s'élèvent en faveur de la
mise en oeuvre de réformes économiques qui doivent contribuer
à garantir la « liberté économique » puisque
celle-ci a des effets positifs sur la croissance économique (De Haan et
Sturm, 2000 ; Bengoa et Sanchez-Robles, 2003). Dès lors, cette section
se présentera comme suit : en premier lieu, nous montrerons l'impact du
stock et du service de la dette extérieure sur la croissance (I.1) ; en
second lieu, nous analyserons les effets de l'incertitude de l'endettement
extérieur sur la croissance économique (I.2).
I.1/ Les effets du stock et du service de la dette
extérieure sur la croissance économique
Réduire les coûts inhérents aux
investissements dépend fortement du « climat des affaires »
qui prévaut dans une économie. Autrement dit, plus
l'environnement économique d'un pays est stable, plus les investisseurs
étrangers seront incités à y réaliser les
activités, et à l'opposé, plus cet environnement est
instable, moins ces investisseurs y effectueront des investissements (Globerman
et Shapiro, 2002). Dans la présente sous-section, nous discuterons de la
pertinence du stock de la dette extérieure ainsi que du service de la
dette extérieure sur la croissance économique.
I.1.1. Les effets du stock de la dette
extérieure sur croissance économique
La gestion du stock de l'endettement externe est un
problème qui touche toutes les sociétés. En ce sens qu'une
accumulation de lourdes dettes a des effets pernicieux sur les performances
économiques notamment la croissance (Patillo et al, 2002). À cet
égard, il n'existe pas de consensus quant aux canaux d'influence du
stock de la dette extérieure sur le développement des pays
notamment son incidence sur la croissance. Néanmoins, les principaux
arguments pour l'une ou l'autre approche reposent sur le fardeau de la dette et
les consolidations budgétaires expansionnistes qu'elle induit.
a) Surendettement et croissance économique :
« Debt overhang theory »
Les arguments théoriques favorables à la
réduction de la dette extérieure des pays en développement
reposent sur l'idée selon laquelle ces pays font face à une
situation de surendettement « debt overhang ».
Selon J.Sachs (1989), le surendettement est analogue à
la situation d'une entreprise insolvable non protégée par les
lois de la faillite. Dans ce cas, les créanciers prennent des actions
antagoniques pour se servir sur la valeur restante des actifs,
préjudiciables à la survie de l'entreprise. Ainsi, le service de
la dette agit comme une taxe désincitative à la production.
À cet effet, il existe un seuil optimal d'endettement pour lequel tout
supplément marginal
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d'endettement conduit à une réduction importante
de l'investissement et le débiteur aurait intérêt à
ne pas rembourser la dette. Cela signifie que les emprunts
supplémentaires vont décroître la probabilité de
rembourser. D'où la notion de « debt overhang » (le fardeau
virtuel de la dette). La théorie du surendettement considère
qu'une dette élevée qui se révèle difficile ou
impossible à rembourser exerce des effets désincitatifs sur le
pays débiteur à entreprendre des réformes favorables
à l'investissement et/ou à la croissance économique.
À cet égard, le surendettement désigne
couramment l'existence d'un encours important de dette extérieure ayant
des conséquences négatives sur l'investissement et la croissance.
Les investisseurs s'attendront à une hausse des impôts actuels et
futurs pour permettre le nécessaire transfert des ressources à
l'étranger. La réduction anticipée du rendement
après impôts des investissements privés et l'utilisation
d'une part croissante de l'épargne intérieure aux fins du service
de la dette ont pour effet d'évincer l'investissement intérieur
et de décourager l'investissement étranger. Ces effets peuvent
également motiver la fuite des capitaux, les propriétaires
cherchant à protéger la valeur de leurs avoirs en profitant
d'occasions d'investissement plus alléchantes à l'étranger
(Deppler et Williamson, 1987).
Cependant, Corden (1988) démontre qu'un
allègement décidé de façon exogène par les
créanciers peut, dans certaines circonstances, augmenter les incitations
du débiteur à entreprendre des réformes, et évite
la possibilité qu'il recoure à un défaut de remboursement,
qu'il assimile à un « allègement endogène »,
c'est-à-dire décidé par le débiteur. Cette
même idée a été développée par Krugman
(1988) qui démontre qu'en augmentant l'incitation d'un pays
surendetté à entreprendre des réformes économiques,
les créanciers pourront voir la valeur de leurs créances sur le
marché secondaire s'améliorer, car les perspectives de
remboursement du débiteur auront augmenté. En ce sens, l'effet
possible d'une désincitation en termes de réformes
économiques risque d'être plus sérieux pour les pays
à faible revenu et très endettés où les distorsions
structurelles profondes et la gestion macroéconomique inadéquate
(combinées à un accès limité aux marchés
étrangers des capitaux privés) font déjà obstacle
à une réforme soutenue (Elbadawi, Ndulu et Ndung'u, 1997). Il est
ainsi possible d'affirmer qu'au-delà d'un certain niveau, l'accumulation
des dettes extérieures décourage l'investissement et ralentit la
croissance.
Au regard, des effets du surendettement sur la croissance,
mais aussi sur les capacités de remboursement des pays à faible
revenu, certains soutiennent l'idée de la nécessité des
allègements de la dette, la pertinence d'une telle stratégie a
été relativisée par certains auteurs
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qui voient que l'accumulation de la dette n'est pas la cause,
mais la conséquence d'une faible croissance (Bulow et Rogoff, 1990), ou
que la réduction de la dette ne serait pas suffisante pour
rétablir l'investissement et la croissance (Easterly et Levine, 2003 ;
Asiedu, 2003). Ainsi, une dette élevée est un symptôme
plutôt qu'une cause d'une faible croissance, cette dernière
étant le résultat d'une mauvaise gestion macroéconomique
(Bulow et Rogoff, 1990). Pour Easterly et Levine (2002), cette
possibilité est encore plus forte dans les pays en développement
caractérisés par une forte préférence pour le
présent. En effet, de son modèle, l'auteur conclut que les
gouvernements de ces pays chercheront à accumuler de nouvelles dettes
une fois que des réductions ont été obtenues dans l'espoir
d'être éligibles à de nouvelles initiatives en
matière d'allègement. L'échec des schémas dits
traditionnels à réduire les ratios d'endettement dans les pays
à faible revenu est une illustration pour l'auteur de l'existence de ce
problème d'aléa moral et du fait que les allègements
accordés n'ont pas réussi à changer le comportement de
certains pays hautement endettés.
b) La neutralité de la dette extérieure et
la croissance économique : « l'équivalence ricardienne
»
La Proposition d'Équivalence de Ricardo soutient la
thèse d'un effet neutre de l'endettement public sur les agrégats
macroéconomiques. En ce sens qu'un titre d'État représente
pour son détenteur certes, un avoir (un actif), mais constitue pour le
contribuable une créance (un passif). Ainsi, en rendant son
détenteur plus riche, tout titre d'État rend simultanément
le contribuable plus pauvre (Barro, 1974). En conséquence, l'effet net
de la détention de ce titre sur la richesse est neutre puisque
globalement les contribuables ne sont ni plus riches ni plus pauvres.
La paternité du principe d'équivalence
Ricardienne, comme son nom l'indique, revient à Ricardo, mais est
attribuée à Barro (1974). Il approfondit la thèse de
Ricardo en combinant les thèmes d'évictions et d'anticipations
rationnelles. Selon lui, si le gouvernement finance un accroissement des
dépenses publiques en ayant recours à l'emprunt, ou s'il abaisse
les impôts en laissant la dépense publique et la masse
monétaire inchangées, les agents vont anticiper les hausses
d'impôts qui seront nécessaires ultérieurement pour payer
les intérêts de la dette et pour rembourser le principal. De ce
fait, les agents savent a priori que ces deux modalités de financement
sont un recours aux impôts; ils savent aussi qu'il y aura alourdissement
de la dette publique et usage de la taxe inflationniste. L'accumulation de
l'inflation à long terme et l'augmentation des impôts finiront par
rendre peu crédible l'État. Les agents vont alors se
préparer à la purge fiscale future (Bernheim, 1987 ; Ricciuti,
2003). Ils vont accroître leur
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épargne actuelle en prévision des
alourdissements futurs des impôts et ne se considéreront pas plus
riches après la mise en oeuvre de la politique de relance. Il en
résultera que cette politique suivie par le gouvernement n'aura aucun
effet stimulant sur l'économie, quelles que soient les modalités
de financement des déficits; les effets à long terme sont
équivalents.
Cette proposition générale défend donc
l'idée de la neutralité de la dette publique à long terme.
L'idée de la neutralité de l'endettement public peut
paraître assez simple et plutôt intuitive : en effet, étant
donné que toute réduction des impôts courants (ou encore un
déficit budgétaire) implique forcément une augmentation
des impôts futurs, le financement de cette réduction d'impôt
par endettement, ne modifie pas la charge fiscale globale des ménages.
Elle ne fait que différer dans le temps une partie de cette charge.
Ainsi, si les ménages sont en mesure d'intégrer ce report partiel
de leur charge d'imposition de manière efficiente, ils percevront
l'endettement public courant, comme un prélèvement fiscal
futur.
Par ailleurs, et puisque leur charge d'imposition globale n'a
pas été modifiée, les ménages ne réagissent
pas à la politique du déficit budgétaire financé
par endettement public, par un accroissement de leurs dépenses de
consommation. Les ménages préfèrent épargner la
totalité de leur économie d'impôt pour faire face aux
prélèvements fiscaux futurs engendrés par le remboursement
de la dette. Par conséquent, la diminution de l'épargne publique
est intégralement compensée par une augmentation de
l'épargne privée. L'épargne nationale étant
inchangée, les autres agrégats macroéconomiques le restent
aussi.
En définitive, l'essence de l'argumentation de
l'équivalence ricardienne se résume dans les deux idées
fondamentales de la contrainte budgétaire inter temporelle du
gouvernement et de l'hypothèse du revenu permanent (Elmendorf et Mankiw,
1998 ; Ricciuti, 2003). La contrainte budgétaire intertemporelle du
gouvernement suppose que pour des dépenses gouvernementales
inchangées, un niveau d'imposition courant relativement bas implique des
impôts futurs plus élevés. En effet, la perception de la
part des contribuables de toute réduction de leur charge d'imposition
courante comme étant un report partiel de cette charge en
découle. Par contre, l'hypothèse du revenu permanent suppose que
les ménages déterminent leur niveau de consommation sur la base
de leur revenu permanent et non pas sur la base de leur revenu courant. Le
revenu permanent est fonction de la valeur actualisée de tous les
revenus courants nets d'impôt. Ainsi, étant donné qu'elle
n'affecte pas la valeur actualisée de la charge fiscale des
ménages, une réduction d'impôt financée par
endettement n'a d'incidence ni sur le revenu permanent ni sur la consommation
courante.
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Par ailleurs la revue des considérations
théoriques anciennes sur l'endettement, dans un second temps, montre une
grande diversité d'opinion sur les effets de l'endettement et sur son
intérêt de façon générale. Deux grandes
écoles traditionnelles ont dominé ce débat à un
certain moment. Il s'agit de l'école classique avec une vision
assimilant l'endettement à un impôt futur (anticipé par les
agents économiques) et des keynésiens qui voient l'endettement
comme favorisant l'accumulation du capital et la consommation des
générations futures ou présentes par la suite,
l'idée de la neutralité de la dette publique à long terme,
a été largement étudiée à travers le
principe d'équivalence ricardienne.
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