I.1.2. Les effets du service de la dette
extérieure et croissance économique
Le financement de l'investissement fait le plus souvent
l'objet de vifs débats au sein de la communauté scientifique,
surtout lorsqu'il s'agit de l'Etat. On distingue deux principales sources de
financement : la mobilisation de l'épargne intérieure et celle de
l'épargne extérieure. Généralement, l'Etat fait
recours au deuxième mode de financement lorsqu'il est impossible pour
lui de lever tous les fonds nécessaires à la réalisation
de ses projets par la seule épargne intérieure. En ce sens, la
dette extérieure contribue à la croissance économique :
telle est la conception des keynésiens.
Cependant, plusieurs auteurs ont montré que la dette
extérieure est néfaste à la fois pour les investissements
(privés et publics) et pour la croissance. En effet, s'endetter
aujourd'hui implique un remboursement demain. Dès lors, l'Etat devra
consacrer une partie plus ou moins importante de ses ressources pour
éponger le service et/ou le principal de sa dette. Toutefois, il peut
arriver que ce dernier soit dans l'incapacité d'honorer à ses
engagements : Krugman (1988) parle de « Debt overhang » qui
correspond à la situation pour laquelle la capacité de
remboursement de la dette extérieure tombe en deçà de la
valeur contractuelle de la dette. Selon Cohen (1993), la relation entre la
valeur faciale de la dette et la croissance économique peut être
représentée comme une sorte de « courbe de Laffer » :
il existe un seuil en deçà duquel toute augmentation de la dette
est bénéfique pour l'économie et une fois ce seuil
dépassé, à mesure que la dette augmente, les
capacités de remboursement de ladite dette diminuent fortement, ce qui
limite le volume des investissements futurs.
a) Structure des dépenses publiques externes et
croissance économiques
Le débat sur la relation entre les dépenses
publiques externes et la croissance économique n'est pas nouveau. Il a
été au centre des préoccupations des économistes
classiques qui voyaient l'intervention de l'Etat dans l'économie par le
biais des dépenses publiques comme une source
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de déséquilibre du marché. Pour eux,
l'Etat doit se cantonner à ses fonctions régaliennes de
défense, de justice et de diplomatie et prendre en charge la fourniture
des services publics indispensables à la communauté et qui ne
pourraient pas être fournis par les opérateurs privés.
Cette vision restrictive de l'Etat est aux antipodes de la
pensée keynésienne. Les keynésiens accordent à
l'Etat un rôle prépondérant dans le processus de la
croissance économique par le moyen des dépenses publiques. Ils
insistent sur les effets multiplicateurs associés à
l'augmentation des dépenses publiques ou à la réduction du
taux d'imposition. Ainsi, lorsque le revenu national baisse et que les
dépenses privées diminuent, l'Etat doit soutenir
l'économie en augmentant les dépenses publiques. Cette
augmentation va booster la demande effective, ce qui impacte le niveau de
production et donc de l'emploi. Par contre, lorsque l'Économie est en
surchauffe, l'Etat doit réduire la pression en limitant ses
dépenses.
Les nouvelles théories de la croissance sont
nées avec les travaux précurseurs de Romer (1986) qui insistent
sur le fait que l'accumulation du capital physique dans une entreprise provoque
des effets positifs sur les autres firmes. Par la suite, Romer (1990) va mettre
en évidence l'importance de la recherche et développement qui
provoque des externalités positives sur le reste de l'économie.
Les travaux de Lucas (1988) permettent de soutenir le rôle de
l'investissement en capital humain dans le processus de croissance
économique. À cet égard, l'Etat doit financer les
dépenses d'éducation quand « la productivité sociale
est supérieure à la productivité privée d'une
dépense d'éducation ». En outre, l'Etat doit financer les
infrastructures publiques (Barro et Sala, 1990).
Ces nouvelles théories intègrent
désormais une analyse explicite des déterminants à long
terme de l'augmentation de la productivité qui était
jusque-là ignorée par le modèle de base de Solow (1956).
La gamme des facteurs de production traditionnels prise en compte dans la
formalisation a été élargie à l'effet
d'apprentissage, du capital humain, aux infrastructures publiques ... Les
conditions techniques d'obtention d'une croissance véritablement
endogène n'ont pas été sous-estimées4
ainsi que les effets externes positifs liés à l'investissement
dans les facteurs de production et le rôle de la connaissance dans la
croissance de la productivité. Ainsi, les modèles de croissance
endogène intègrent les externalités positives ou
négatives liées à l'accumulation des connaissances ou de
l'innovation (Helpman, 1992).
Par ailleurs, Sala-i-Martin, X et Barro (1995) distinguent les
dépenses publiques productives (défense, éducation,
santé, transports et communication) des dépenses
4 Lorsque les rendements constants sur les facteurs de
production sont acumulables.
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improductives (sécurité sociale, loisirs,
services économiques). À cet égard, beaucoup de travaux
sont faits de nos jours pour comprendre si la composition des dépenses
publiques pourrait alimenter la croissance
b) Défauts de solvabilité de la dette
extérieure et croissance économique.
Un défaut partiel ou total de remboursement de la dette
publique externe, qu'il soit explicite (refus de rembourser les obligations et
réduction subséquente de l'encours de la dette) ou implicite (par
le biais de taux d'inflation élevés, voire d'une hyperinflation
qui diminue sensiblement la valeur de la dette publique réelle) est un
événement extrême influencé également par la
situation financière et politique générale ainsi que par
les comportements et attentes des agents. La défaillance peut être
inattendue, anticipée ou même autogénérée par
les créanciers ; chaque cas a son propre impact spécifique sur
l'économie.
Le défaut de paiement est un choix politique du
gouvernement qui concilie les coûts du défaut avec ceux de la
solvabilité (Gros, 2012 ; Buiter et Rahbari, 2013). Les
conséquences économiques d'un défaut de paiement peuvent
être graves, mais concentrées dans le temps, alors que les
avantages de libérer l'économie du fardeau de la dette peuvent se
faire sentir avec le temps. Les aspects comportementaux peuvent jouer un
rôle en termes de croyance des agents à l'égard de
l'efficience passée de la dette, de leurs attentes quant à la
viabilité actuelle et de leur niveau de confiance quant aux
remboursements futurs de la dette, bien qu'ils ne soient pas toujours
considérés comme fondés. En particulier, ils peuvent
s'autoréaliser, ce qui conduit à la défaillance
réelle qui aurait pu être évitée autrement.
Ainsi, la relation entre le niveau (ou le taux de croissance)
de la dette publique externe, l'augmentation des primes de risque et les
attaques spéculatives est de nature douteuse. Certains chercheurs ont
souligné que la véritable variable explicative est le montant de
la dette extérieure générée par les déficits
importants et persistants de la balance courante (Gros, 2012). La dette
extérieure est souvent considérée comme
l'élément le plus pertinent, car elle implique un transfert
réel du débiteur vers le pays créancier. Selon Karagol
(2002), la dette extérieure agit comme une taxe lorsque la situation de
la dette est telle qu'une amélioration de la performance
économique du pays endetté a pour effet secondaire un
remboursement plus élevé de la dette, ainsi le service de la
dette extérieure a un impact négatif à court terme sur la
croissance économique.
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