2- Les enjeux iraniens de la prise des otages
En Iran, l'enthousiasme révolutionnaire qui
était retombé semble ravivé par cette prise d'otage. En
effet, certains dirigeants de la révolution n'étaient pas pour
cette prise des otages. C'est d'ailleurs ce qui explique le professeur
d'histoire américaine moderne, David Farber. Pour lui, pendant cette
période postrévolutionnaire, l'Iran se trouve dans
124Josette ALIA et Pierre BLANCHET « Pourquoi
Khomeiny défie Carter » Le Nouvel Observateur, 12 novembre
1979, p. 56.
« un état de chaos révolutionnaire ou le
pouvoir n'était pas encore sécurisé125. C'est
donc autour de l'affaire des otages que s'organise la lutte entre radicaux et
modérés, religieux et laïcs, donc entre le conseil de la
Révolution126et le gouvernement. Alors que les
modérés, tels que le Premier ministre Medhi Bazargan et le
ministre des Affaires étrangères Ibrahim Yazdi, étaient
opposés à la prise d'otage, ils se résignent face à
la pression des radicaux. Ainsi, le radical Ayatollah Behesti, membre du
conseil de la Révolution, met en évidence la
nécessité d'épurer l'administration des
modérés.
L'un des arguments principaux de la prise étant les
documents découverts à l'Ambassade américaine justifiant
des liens entre des iraniens modérés et les Etats-Unis
d'Amérique. La lutte feutrée entre le gouvernement
modéré de Téhéran et le conseil de la
révolution à Qom prend fin avec la résolution de la crise.
Le pouvoir du clergé radical, dorénavant sans partage,
débute le 21 juin 1981 avec la destitution du président
modéré de la République islamique, BaniSadr.
En effet, la prise d'otage permet de mettre en évidence
que le pouvoir iranien provient de Dieu et non du gouvernement
américain. La forte critique de l'impérialisme occidental sert de
pilier unificateur et s'accentue lorsqu'un plan américain visant
à la déstabilisation de l'Iran est découvert dans les
documents trouvés dans l'Ambassade.
Le guide est sans détour sur la question de la prise
des otages, pour l'Ayatollah Khomeiny: « le grand Satan, c'est
l'Amérique... Le centre que nos jeunes ont pris était un centre
d'espionnage et de complots127 ». En effet, selon Bheza
Nabavi, responsable Iranien lors des négociations qui mettent fin
à la crise, « la prise d'otages du nid d'espions avait comme
signification symbolique de démontrer la faiblesse des Etats-Unis et de
dévoiler au monde entier leur vulnérabilité en envoyant
des espions à la place des
125Iran was in a state of revolutionary chaos in which
power was a prize not yet secured by anyone » in David Farber, The
Iran hostage crisis and America's first encounter with radical Islam : taken
Hostage, p141
126Le conseil de la Révolution ou conseil des
gardiens de la Révolution se trouve sous la direction du guide
suprême. Il détermine la direction politique du pays en consacrant
la prédominance du religieux sur le politique.
82
127Journal iranien Kayhan, 6 novembre 1979
83
diplomates128». Cette crise permet
ainsi à l'Iran de faire plier les Etats-Unis d'Amérique et de
leur « faire payer » leur soutien au régime du Shah. Elle a
également pour conséquence d'isoler diplomatiquement le pays.
Cette prise d'otages des Américains dans leur «
nid d'espions », comme disaient les khomeynistes ; une Ambassade
protégée telle une véritable forteresse dans un pays
ennemi, apparut comme un défi spectaculaire. La crise, qui se prolongea
pendant l'année 1980, vit des grandes manifestations
anti-américaines à travers l'Iran. Par conséquent les
groupes démocratiques, progressistes, de gauche, refirent acte
d'allégeance à Khomeiny, sous le prétexte que la crise
était l'expression de l'anti-impérialisme.
Pour leur part, les Etats-Unis d'Amérique comprennent
tout d'abord difficilement l'insistance iranienne à mettre en
évidence des actions passées et selon eux dénuées
de pertinence. De plus, le président Carter ne souhaitait pas que la
crise mette en lumière le soutien de la Maison blanche au régime
du Shah d'Iran. C'est ainsi que « l'incompréhension est totale
entre le peuple américain agressé et le peuple iranien
persuadé de la justesse de sa cause 129» analyse
Nouchine Yavari-d'Hellencourt. Ce conflit politique est en outre vécu
comme une humiliation, les Américains ayant dût se soumettre aux
conditions iraniennes. La crise a également pour conséquence la
rupture des relations diplomatiques et la fermeture de l'Ambassade
américaine en Iran. Enfin, sur le plan énergétique, les
importations de pétrole en provenance d'Iran vers les Etats unis
d'Amérique cessent.
128Pierre SALINGER, Otages, les
négociations secrètes de Téhéran, Paris,
Buchet/Chastel, 1981, p125.
129Nouchine YAVARI-D'HELLENCOURT, Les otages
américains à Téhéran, Paris, La Documentation
Française, 1992, p.24.
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