3- Les tentatives de soviétisation de
l'économie et la politique iranienne.
Le revenu par habitant diminua très fortement (baisse
annuelle de 2,5 % de 1979 à 1992). L'économie connaissait une
véritable soviétisation avec nationalisation et création
de «fondations» L'Iran dérive vers l'orbite soviétique.
Alors que l'Ayatollah Ruhollah Khomeiny a souvent fustigé haut et fort
le "grand Satan", les américains, il n'a que rarement condamné
l'invasion soviétique en Afghanistan. Son soutien au maintien en
captivité des 53 otages Américains a conduit les pays occidentaux
à couper les ponts économiques avec l'Iran, poussant le pays
à dépendre davantage de ses échanges avec l'Union
soviétique.
Plusieurs observations autour de cette relation entre
Téhéran et Moscou se demandaient pourquoi Khomeiny rejette-t-il
les États-Unis d'Amérique, pour l'Union soviétique ?
Quelles valeurs pouvaient-ils avoir de cette relation ? Les Occidentaux
relativement impuissants déclarent que Khomeiny n'a pas toute sa
raison.
Du point de vue occidental, les États-Unis
d'Amérique constituent pour l'Iran une menace bien moindre que celle de
l'Union soviétique, qui partage une longue frontière commune avec
l'Iran et prône une doctrine athéiste incompatible avec l'islam et
avec de
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nombreux piliers de la vie iranienne, comme la
propriété privée ou la famille considérée
comme l'unité sociale idéale.
Mais, pour l'Ayatollah, les Américains
représentent le plus grand danger. Il croit en effet qu'après
1953, le gouvernement des États-Unis d'Amérique contrôla le
Shah, son régime et le peuple iranien. Il croit également que
Washington rêve de le renverser et de reconquérir son pouvoir
perdu. L'échec de la mission de sauvetage des otages Américains
à Téhéran a confirmé ces craintes de Khomeiny.
Ainsi si l'on essaie de comprendre Khomeiny et ses partisans,
on pourra déduire que c'est la culture américaine, et non
soviétique, qui pervertit l'Iran et horrifie l'Ayatollah Khomeiny en
menaçant le mode de vie islamique. Lui et ses partisans aspirent avec
ferveur à un Iran exempt de toute domination étrangère.
Aussi longtemps qu'ils perçoivent l'Amérique comme la pire menace
pour leur pays, rien ne les empêchent de miser sur l'Union
soviétique. Bien que partageant avec les Américains le respect
envers la religion, la propriété privée et l'unité
familiale, le régime des Ayatollahs a préféré
s'allier aux marxistes contre l'Occident.
Leur aversion instinctive contre l'Occident les unit. Le
gouvernement soviétique, tout comme Khomeiny, craint l'influence des
charmes de la culture occidentale et tente par tous les moyens de la maintenir
à distance.
Avec une similitude peu troublante, l'islam prétend
remplacer la chrétienté au rang de révélation
divine ultime comme le communisme prétend succéder au capitalisme
en tant qu'étape suprême de l'évolution économique.
Ils répondent en lui opposant un dénigrement absolu. De
même que, quelques décennies plus tôt, ils menèrent
campagne contre l'impérialisme européen, l'Union
soviétique et les membres musulmans de l'organisation des pays
exportateurs de pétrole (OPEP) constituent la principale opposition
à la puissance politique et économique de l'Occident.
L'activisme islamique et le marxisme placent la
solidarité internationale avant le nationalisme, les besoins de la
communauté avant ceux de l'individu, l'égalitarisme avant
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la liberté. Mais tous deux manipulent les masses
sociales, et c'est-là l'aspect crucial. Méprisant les objectifs
et les attentes du libéralisme, les activistes musulmans et marxistes
poursuivent des idées de société. Par exemple, l'Islam
interdit la perception d'intérêts sur les prêts et le
communisme dénonce le profit. Enfin, parce que l'Islam et le marxisme
traitent de tous les aspects de l'existence, leurs gouvernements penchent vers
le totalitarisme.
En fait, Khomeiny partage des éléments
idéologiques communs tant avec les États-Unis d'Amérique
qu'avec l'Union soviétique. Mais, en fervent Musulman, il croit en la
supériorité de son propre credo et reste méfiant.
Néanmoins, dans la pratique, les idéologies se
neutralisent et Khomeiny dirige les relations étrangères
iraniennes en fonction de ses espoirs et de ses craintes, et non sur la base
d'affinités théoriques.
Khomeiny a donc plus peur des États-Unis
d'Amérique que de l'Union soviétique: les Russes sont proches,
mais pour lui, l'Amérique se trouve déjà au coeur de
l'Iran. À son avis, c'est la culture américaine, et non celle des
Russes, qui a perverti le mode de vie des iraniens durant des décennies.
Et aussi longtemps que ces craintes restent prédominantes, il faut
s'attendre à ce que l'Ayatollah Khomeiny et ses partisans guident leur
pays plutôt vers l'Union soviétique, car son idéologie ne
leur semble pas pire que la nôtre, défendait le
soviétologue Américain Daniel Pipe111.
Trois semaines après le départ du Shah, la
presse soviétique vire soudain de bord et se met à soutenir le
mouvement révolutionnaire islamique. Le lendemain de l'insurrection du
11 février 1979, l'U.R.S.S. annonce avec une hâte tout à
fait inhabituelle qu'elle reconnaît le gouvernement provisoire de M.
Bazargan.
111Khomeiny, les
Soviétiques et les États-Unis. Pourquoi les ayatollahs craignent
l'Amérique, par Daniel Pipes NewYork Times 27 mai 1980 Version
originale anglaise: Khomeini, the Soviets and U.S. Adaptation
française: Alain Jean-Mairet.
Léonid Brejnev112 déclare en
début mars 1979: « Nous saluons le triomphe de cette
révolution qui a mis fin à un régime despotique et
d'oppression qui avait fait de l'Iran un objet d'exploitation et une base
d'appui de l'impérialisme étranger
»113.Désormais le ton est donné : la presse
du parti Toudeh. Ne manque pas une occasion de dénoncer les
"manoeuvres de l'impérialisme américain" en Iran et les
responsables soviétiques de déclarer qu'ils offrent leur soutien
aux gouvernants islamiques dans leur combat contre les Etats-Unis
d'Amérique. Mais en vain : les déclarations de Moscou ne sont que
rarement citées dans les grands organes d'information iraniens - si ce
n'est dans la presse du parti Toudeh (communiste prosoviétique) - et
l'appui qui leur est offert est accueilli par les nouvelles autorités de
Téhéran avec une franche hostilité.
Certes méfiant à l'endroit du nouveau
partenaire, l'Iran sait se souvenir de la vieille expérience de
l'hégémonisme russe, remontant à la fin du
dix-huitième siècle, lorsqu'il devint le point de mire des
rivalités russo-anglaises en Asie, Khomeiny préfère
relativement cet allié. Ils signent le 20 juin 1980avec l'U.R.S.S., un
protocole de coopération économique à Moscou. Et ce
après l'éloignement d'avec les Etats Unis d'Amérique et
les sanctions économiques décrétées par
l'Occident114.
112 Homme d'État soviétique (Kamenskoïe,
aujourd'hui Dniprodzerjynsk, 1906-Moscou 1982). L. Brejnev assume la direction
collégiale de l'État soviétique, aux côtés
d'Alekseï Kossyguine, chef du gouvernement, et de A. Mikoïan puis de
Nikolaï Podgornyï, président du Praesidium du Soviet
suprême depuis 1965. Toutefois son rôle personnel devient peu
à peu prépondérant : il préside à l'adoption
de la nouvelle Constitution de l'URSS (1977) ; fait maréchal en 1976, il
évince Podgornyï à la tête du Praesidium du Soviet
suprême en 1977. Il conclut avec le président Jimmy Carter le
traité SALT II signé à Vienne en 1979. Cependant, cette
politique de détente est compromise par l'intervention militaire
soviétique en Afghanistan en décembre 1979.
113Ahmad FAROUGHY « L'U.R.S.S. et la
révolution iranienne »,, Le Monde diplomatique, juillet
1980, p 2
67
114Idem
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