2- La révolution culturelle
Le nationalisme, la recherche d'une identité
après cette longue période de pouvoir impérial aux
couleurs culturelles occidentales, va occasionner d'importants bouleversements
en Iran. En 1979, la question du statut de la culture et de l'art en Iran a
participé de manière prépondérante à la
dynamique révolutionnaire, avec notamment les mots d'ordre d'une «
culture indépendante » et d'une « islamisation de la culture
»105. Le 21 mars 1980, l'Ayatollah Khomeiny avait
déclaré :
« Il faut briser les idoles intellectuelles qui
viennent d'ailleurs. Quand un pays veut envahir un autre pays, il commence par
la culture. [...] L'université islamique signifie qu'elle doit
être indépendante, dissociée de l'Ouest et de l'Est. Il
nous faut une nation,
une université et une culture indépendantes.
Nous n'avons pas peur d'une invasion militaire ni d'un blocus
économique, mais nous redoutons la dépendance culturelle
».106
Le mois suivant, le 18 avril 1980, la Révolution
culturelle était proclamée. L'État-major de la
Révolution culturelle (Setad-e enqelab-e farhangi) a alors
entamé une refonte des programmes et une purge des universités,
fermées de 1980 à 1983. Etant donné la difficulté
à se prononcer sur le contenu des nouveaux programmes d'enseignement
105 Agnès DEVICTOR, Politique du cinéma
iranien, CNRS Editions, Paris, 2004, p.8. 106Ruhollah KHOMEINY,
Jomhuri-e eslami, Tehran, 2 ordibehesht 1359/22 avril 1980, p.12.
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artistique, la dernière faculté à
reprendre une activité a été celle des Beaux-arts, au bout
de deux ans et demi.
De nouveaux codes vestimentaires et moraux ont
été imposés mais les matières sont restées
dans l'ensemble les mêmes sauf le dessin sur la nudité.
Centrée sur l'université dans un premier temps, la
révolution culturelle a gagné dès 1982 une part importante
du secteur culturel et social, de sorte que l'Ayatollah Khomeiny a
pérennisé l'État-major de la Révolution culturelle
en créant en 1984 le Haut Conseil de la Révolution Culturelle
(Shora-ye `ali-eenqelab-e farhangi). Ce nouvel organe institutionnel
est devenu le chef d'orchestre de la politique culturelle au sein du
régime islamique (un texte de loi fondamental intitulé «
Base de la politique culturelle du pays » a été
publié par ce Haut Conseil en 1992)107 qui a joué un
rôle important ces dix dernières années jusqu'à
entrer en concurrence avec le Musée d'Art Contemporain de
Téhéran, lieu-phare de la vie culturelle officielle iranienne
depuis 1977.
Le changement le plus important concerne cependant la
population féminine. L'abolition du Code de la famille en 1979 et
l'obligation faite aux femmes d'adopter les principes islamistes, en
particulier le port du voile, ont justement attiré l'attention sur la
contradiction qui existe entre ces règles imposées. On observe
aussi la forte dynamique de socialisation marquée par la scolarisation
massive et la chute généralisée de la
fécondité même en zone rurale.
L'ordre nouveau et la « révolution culturelle
» : l'instauration de l'ordre et de la morale islamique a
entraîné une série de mesures restrictives et
répressives: fermeture de salles de spectacles, de cinémas, de
musées ; renvoi dans les réserves des musées des
collections et installations d'art moderne et contemporain (La
République islamique s'est retrouvée détenir une des plus
importantes collections d'art contemporain du Moyen-Orient, réunie
à l'initiative de banou Farah Dibah au Musée d'art contemporain
de Téhéran, construit entre 1970 et 1977) ; interdiction des
concerts de musique profane ;
107 Agnès DEVICTOR, Politique du cinéma
iranien, CNRS Editions, Paris, 2004, p 15-16 et 40.
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interdiction du théâtre, à l'exception des
pièces classiques du tazieh 108 rappelant
annuellement le martyre d'Ali et de Hussein109 lors du mois de
muharram110; interdiction du chant féminin ;
interdiction des dessins et peinture; dans les films, interdiction de toute
apparition de femmes non voilées, et de tout contact physique entre
hommes et femmes; censure de toutes les créations artistiques et
diffusions et publications d'oeuvres littéraires, etc.
Dans la même perspective de « révolution
culturelle islamique », les universités ont été
fermées pour presque deux ans, le temps d'épurer le corps
enseignant, la communauté étudiante (très
politisée), et de réviser les programmes pour y introduire les
principes islamiques dans toutes les disciplines. Le changement fut radical et
effectif.
La promotion d'un art islamique national, dans lequel le
martyre révolutionnaire, en particulier sur le front contre l'Irak,
occupe une place centrale, donne naissance, par exemple, à de
gigantesques portraits muraux de martyrs entourés de colombes et des
tulipes de la résurrection; ou à des peintures sur pignons
stigmatisant les ennemis réels ou supposés de la
révolution et de la République islamique. Mais l'iconographie et
les thématiques du nouveau régime sont également lisibles
sur des supports de plus petite taille: timbres-poste ou billets de banque, par
exemple.
Dans ce contexte de censure, de limitation, d'oppression et de
répression, nombreux sont les artistes, les universitaires et
étudiants qui ont été contraints et forcés vers les
chemins de l'exil, pour mieux se promouvoir.
108 Le Ta'zieh désigne en Iran un
genre théâtral particulier, commémorant le martyre de
l'imam Husayn, qui est joué uniquement pendant le mois de muharram et
lors de l'Achoura.
109 La Passion d'al-Husayn est le récit du martyre en
680 à Kerbala d'Al-Hussein ibn Ali, second fils d'Ali ibn Abi Talib et
de Fatima, fille de Mahomet. Husayn fut décapité le 10 octobre
680 lors de la bataille de Kerbala, et sa tête fut rapportée au
calife omeyyade Yazîd Ier. La théologie chiite a
développé un martyrologe à partir de cet
événement qui est commémoré annuellement par une
fête le 10 mouharram. Cette fête est l'occasion de manifestations
de mortification, en particulier l'autoflagellation avec les mains, parfois
avec des chaînes ou des lames de rasoir.
110 Le mois de mouharram est le premier mois
du calendrier musulman et un des plus importants, notamment pour les chiites.
C'est l'un des quatre mois sacrés de l'islam avec rajab,
dhou al qi`da et dhou al-hijja et il n'est pas rare de lire
que c'est le plus sacré (haram voulant dire illicite).
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Certains films d'acteurs iraniens, parfois
récompensés dans les principaux festivals internationaux, n'ont
pourtant jamais été reconnus et distribués en Iran, ou ont
été sévèrement censurés. D'autres films
peuvent pratiquement être qualifiés d'oeuvres de commande du
régime : là encore parfois non distribués en Iran
même, ils tendent à montrer une réalité
édulcorée, en particulier en ce qui concerne le statut et le sort
des iraniennes.
La politique culturelle, particulièrement contraignante
jusqu'en 1989, a été mise en oeuvre par le ministère de la
Culture et de l'Orientation islamique, dont le titulaire a été le
futur président réformateur Mohammad Khatami (de 1980-1986, puis
de 19891992).
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