Les relations politiques Iran-USA 1979-2002.par Doumbia ALI Université Félix Houphouet Boigny d'Abidjan - Master d'histoire contemporaine 2017 |
2- La révolution populaireLes incriminations faites à l'endroit du pouvoir impérial sont nombreuses et le pays présente de vraies contradictions sociales. L'envol du prix du pétrole eut des retombées en Iran mais aucune répercussion sur la condition de vie de la masse populaire. Autour de l'État, des cadres de l'armée, bien placés auprès des multinationales, des hautes administrations censées répartir la manne pétrolière sont complètement corrompus. La famille du Shah provoquait en quelque sorte cette révolution populaire : elle amassa une fortune énorme. Lorsque le Shah fut chassé, en 1979, on a parlé de vingt milliards de dollars86. Une importante partie des revenus du pétrole, par exemple, avait ainsi disparu des comptes de la trésorerie de l'État pour les comptes personnels. Par la même occasion, ce fut une époque prospère pour les industriels des pays occidentaux. L'Iran devenait un centre propice d'échange et de coopération, voire un « paradis » d'affaire. Fort de tout cela, la capitale Téhéran, présentait pourtant des contradictions sociales très importantes. Au nord, à l'ombre d'un pouvoir mégalomane qui cultivait la nostalgie impériale et imposait le culte du Shah, des palais, des villas somptueuses, des voitures et des vêtements de luxe. On se transportait pour une réception de Noël à Nice, ou pour un déjeuner à Munich. Pour les Iraniens, le bon sens aurait voulu qu'on n'exhibe pas sa richesse et qu'on ne rivalise pas avec ostentation dans l'imitation du mode de vie et des moeurs de la grande bourgeoisie occidentale. Mais toute cette bourgeoisie se faisait dans un pays socialement fragile. Depuis l'année 1950, la population totale de l'Iran avait doublé, dont la moitié désormais dans les villes. Téhéran, avec environ cinq million d'habitants, avait pratiquement quintuplé sa 86Claude JULIEN, « La démocratie et l'argent », Le Monde Diplomatique, avril 1986, p. 6. 52 population en vingt ans. Les paysans chassés des campagnes par la misère, l'endettement ou l'absence de tout travail y avaient massivement afflué. Et le sud, c'était d'abord des zones de logements précaires pour les plus favorisés, des zones entières de bidonvilles proliférant jusque sur le désert, sans eau, sans électricité, où survivait dans l'espoir d'un emploi occasionnel une population déracinée. De ce que les dirigeants appelaient la modernisation de l'Iran, les masses populaires ne pouvaient voir que le mépris et l'arrogance des privilégiés, quand ce n'était pas la brutalité et la contrainte. L'Occident et le Shah se retrouvent ainsi associés dans la même haine, ainsi que, tous ceux qui se réclamaient du modernisme. Le 7 janvier 1978, le quotidien pro-gouvernemental Ettela'at publie un article d'insultes contre Khomeiny. Cela met le feu aux poudres dans la ville religieuse de Qom, où les étudiants en théologie sont souvent persécutés. Ces événements sanglants de Qom marquent le début d'un cycle de soulèvements et de répression rythmée par les cérémonies commémoratives particulières au culte chiite. En 1978, ces rituels se transforment en actes de protestation politique. Des manifestations secouent plusieurs villes, notamment Tabriz. L'armée tire et de nouveau les morts se comptent par dizaines. Mais la foule n'a cessé de crier « A bas le Shah ! ». Jusqu'au milieu de 1978, les manifestations de rue rassemblent surtout les étudiants, les bazaris87, les séminaristes, et d'autres mouvements de soutien. Désormais la population pauvre des villes entre en scène, y compris les ouvriers d'usines et du bâtiment, et les manifestations deviennent massives. Les 10 et 11 août, Ispahan se soulève. Malgré la loi martiale instaurée, on déplorait une centaine de morts, il a fallu deux jours à l'armée pour en reprendre le contrôle. . 87Bazar, poumon économique de la capitale, n'a pas suivi. Véritable poumon de l'activité économique iranienne, le grand bazar de Téhéran demeure un acteur clef de la République islamique, que personne ne peut ignorer. « Quand le bazar gronde, le pouvoir tremble » 53 Le 19 Aout 1978, eut lieu le drame d'Abadan, capitale de l'industrie du pétrole. L'incendie d'un cinéma en pleine après-midi fait cinq cents morts. Le Shah accuse les religieux intégristes. Mais toute la population attribue cette horreur à la police locale et au régime de Téhéran88. Dans l'émoi général, le gouvernement affiche quelques concessions en direction des milieux religieux et promet des élections libres pour l'année suivante. Mais cela ne pourra empêcher les manifestations. Désormais, les manifestations sont dominées par un cri unanime : « Mort au Shah ! ». Les 11 et 12 décembre 1978, trois millions de personnes défilent à Téhéran avec le même slogan « à bas le Shah ». La dictature de Pahlavi a perdu toute assise. Même si l'ambassadeur soviétique s'empresse d'affirmer que son pays préfère le Shah au chaos89. De son côté, la Chine, dont le dirigeant Hua Kuo Feng (Maréchal YeJianying 1976-1983) a rendu visite au Shah en août, ne ménage pas son soutien au régime. Les tentatives d'aller vers une monarchie constitutionnelle se multiplient, en vain. Le peuple reste ferme sur sa position, pour lui, plus de chance ni de temps supplémentaire au Shah. De son exil, Khomeiny exige le départ du Shah. Le Tudeh 90 qui, jusque-là restait« constitutionnaliste » réclame, lui aussi, la fin de la monarchie. En décembre 1978, Bakhtiar est nommé premier ministre91. Le bilan fut lourd, plus de 17 000 personnes sont tuées et 50 000 sont blessées ou torturées. Les émeutes et manifestations populaires vont introduire une étape décisive dans cette crise : c'est celle de la chute du Shah. 88 Grand article publié par Encyclopédisa Universalis France 2016 « l'histoire de l'Iran moderne » p 1976-1982 89Denis COLLIN, « La chute du Shah. Révolution et contre-révolution » http://www.gauchemip.org, consulté le 15/ 10/2014 90 Le Tudehtraduit par « Parti des Masses d'Iran » est un parti communiste iranien fondé en 1941. Il a eu des relations étroites avec le Parti communiste de l'Union soviétique. C'était un parti politique majeur en Iran avant les purges ayant eu lieu au début de l'existence de la République islamique d'Iran sous la direction de Khomeini. 91À la fin de l'année 1978, alors que le pouvoir du chah s'effondrait, et parce que Bakhtiar avait été un dirigeant de la dissidence, il fut choisi pour aider à la création d'un gouvernement civil à la place du gouvernement de salut public qui avait existé jusqu'alors. Il fut nommé Premier ministre par le chah, faisant ainsi une concession à ses opposants, Il a été le dernier Premier ministre d'Iran sous le ShahMohammad Reza Pahlavi. 54 |
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