L'exercice de la contrainte par l'union africaine sur ses états membres.par Aubain Wilfried NGOULOUGOU Université de Douala (Cameroun) - Master 2 recherche en droit public international 2020 |
B. L'ACTE CONSTITUTIF : UNE NORME CONTRAIGNANTE STRUCTURANT L'ORDRE JURIDIQUE DE L'UNION AFRICAINEPrincipiellement en droit interne, l'organisation et le fonctionnement des institutions ou d'un corps de personnes reposentsur des textes élaborés et adoptés par le pouvoir législatif uniquement à cet effet. Ces textes sont par nature des lois91(*) au-dessus desquelles, Hans KELSEN92(*) place la Constitutioncomme norme fondamentale de l'État. En comparantl'Acte constitutif de l'UA à la Constitution de l'État, il prend immédiatement lieu et place de la norme des normes de l'UA. L'Acte constitutif est donc contraignant tant dans l'organisation (1) que dans le fonctionnement (2) de l'UA. 1- LA CONTRAINTE ORGANISATIONNELLE DANS L'ORDRE JURIDIQUE DE L'UNION AFRICAINE La formation organique de l'UA est tacitement prévue par l'article 5(1) deson Acte constitutif eu égard des besoins existants lors de son élaboration. Et même, il est prévu en alinéa 2 du même article, une possibilité de création de nouveaux organes sur décision de la Conférence des Chefs d'État et de gouvernement en fonction des nouveaux défis.En établissant une « classification [selon l'] origine » en direction de l'ONU, Jean COMBACAU et Serge SUR écrivent : On peut distinguer les organes originels des organes dérivés : Les organes originels sont créés directement par le Traité constitutif et forment la structure de base de l'Organisation. Aux Nations Unies, ils sont qualifiés d' « organes principaux ». L'ONU comprend ainsi aux termes de l'article 7 § 1, six organes principaux (Assemblée générale ; Conseil de sécurité ; Conseil économique et social ; Conseil de tutelle ; Cour internationale de justice ; Secrétariat). Le caractère originel ne préjuge ni de leur importance effective ni de leur autorité. Les organes dérivés sont créés postérieurement par les organes originels. Aux Nations Unies, les organes principaux sont habilités à le faire en vertu de l'article 7 § 2 de la Charte. Ils sont qualifiés d'« organes subsidiaires ». La structure de l'organisation n'est donc pas définitivement figée. Il y a place pour un dynamisme institutionnel qui peut, dans une certaine mesure, compenser la rigidité des Chartes. Sans révisions formelles, on parvient en créant de nouveaux organes, à développer certaines fonctions, voire à adapter l'organisation à une nouvelle hiérarchie des objectifs.93(*) Pour ces auteurs, il ne fait aucun doute que l'Acte constitutif de toute organisation n'est pas limitatif quant à la structure organique de celle-ci. En rapportant cette vision sur l'ONU à l'UA sous pli des organisations internationales en général, il va de soi que celles-ci répondent toutes aux mêmes procédés structuraux. En revanche, ce distinguo entre organes originels et organes dérivés ou subsidiaires, parlant de la classification par l'origine, est vérifié dans l'Acte constitutif de l'UA qui le stipule dans son article 5 tel que ci-dessus mis en exergue. Au final, il faut noterque la structure organique est la charpente squelettique de l'organisation. Le fait que les États africains accordent leur reconnaissance à l'UA en y adhérant, en signant ou en ratifiant son Acte constitutif au sens de l'article 27 de celui-ci94(*), les transforme en États membres et donc en sujets contraints de se soumettre aux aspirations de cette Organisation, quelles qu'elles soient organiques ou fonctionnelles. 2- LA CONTRAINTE FONCTIONNELLE DANS L'ORDRE JURIDIQUE DE L'UNION AFRICAINE Il est de bon ton de rappeler d'entrée de jeu que toute Organisation internationale est un organisme « corporatif différent de ses composants »95(*). Ceci se justifie par le fait que l'Organisation confère à ses Organes le pouvoir de faire des actes dont les effets seront imputés non pas aux États membres individuellement mais à l'Organisation entièrement. En effet, si dans le cadre des traités synallagmatiques ou multilatéraux ce sont les intérêts personnels des États qui sont mis en jeu, tel n'est pas le caspourl'organisation internationale. A contrario, ici les actes posés vont dans le sens de l'intérêt général de l'organisation, c'est-à-dire vers l'atteinte des objectifs communs. L'UA cependant, en tant qu'Organisation internationale, est soumise au principe de spécialité d'après lequel elle ne peut statuer que dans les domaines de la mission qui lui a été confiée par l'Acte constitutif. Pour ce faire, elle est passée dès l'aube par le moyen de cet Acte pour établir certains rapports de fonctionnalité entre ses Organes tout en régulant leur mode de prise de décision. S'agissant des rapports fonctionnels, Jean COMBACAU et Serge SUR disent : Ilpeut y avoir subordination. C'est en principe la situation des Organes exerçant des fonctions administratives[...]. Il peut y avoir coordination.C'est lorsqu'une décision dépend des positions conjointes ou parallèles, de plusieurs Organes [...].Il peut y avoir indépendance. D'abord, parce que chaque organe exerce librement le pouvoir d'auto-organisation dont il dispose (règlement intérieur, création d'Organes subsidiaires) ; ensuite, parce qu'un Organe peut avoir un domaine d'action exclusif [...] ; enfin, parce que la nature des fonctions de certains Organes exige cette indépendance (Organe judiciaire)96(*). Cette théorie se vérifie au regard del'Acte constitutif de l'UA. En effet, le Conseil exécutif est responsable devant la Conférence97(*) ; les Comités techniques spécialisés sont responsables devant le Conseil exécutif98(*)qui approuve leurs Règlements intérieurs99(*); la structure, les attributions et les règlements de la Commission sont déterminés par la Conférence100(*); les attributions, les pouvoirs, la composition et l'organisation du Conseil économique, social et culturel sont déterminés parla Conférence101(*). Cependant, la Conférence et le Conseil exécutif adoptent leurs propres Règlements intérieurs102(*). Quant à la prise des décisions, elle concerne un collège d'organes à l'instar de la Conférence et du Conseil exécutif, qui se partagent les mêmes voies décisionnelles. Ils y ont deux options : le consensus et le vote103(*). Au regard de tout ce qui précède, il va s'en dire que l'Acte constitutif de l'UA à prévu de multiples mesures au moins pour le nécessaire, pour contraindre constitutionnellement les membres. Cependant, forte est la remarque d'après laquelle cet Acte n'est pas un texte complet et donc pas exhaustif.104(*) Ceci se justifie par l'existence de textes complémentaires qui lui sont rattachés. * 91 Au Cameroun par exemple, il existe de nombreuses lois, parmi lesquelles la loi n° 2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes ; la loi n° 2004/019 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions qui sont des lois qui organisent le fonctionnement de ces Collectivités territoriales décentralisées. * 92 Le positiviste Hans KELSEN est le juriste le plus important du XXe Siècle. Il est à l'origine de la théorie du normativisme juridique. Dans son ouvrage Théorie pure du droit,il énonce le principe de la hiérarchie des normes à partir d'un classement pyramidale, au sommet de laquelle pyramide il place la Constitution. * 93 Jean COMBACAU / Serge SUR, Droit international public, 6e éd., Montchrestien, LGDJ, 2004, 809 pp. (spéc ; p. 727). * 94 Aux termes de l'article 27 de l'Acte constitutif, « 1. [Ledit] Acte est ouvert à la signature et à la ratification des États membres de l'OUA, conformément à leurs procédures constitutionnelles respectives. 2. Les instruments de ratification sont déposés auprès du Secrétaire général de l'OUA.3. Tout État membre de l'OUA peut adhérer au présent Acte, après son entrée en vigueur, en déposant ses instruments d'adhésion auprès du Président de la Commission. * 95 Voir supra Jean COMBACAU / Serge SUR, op. cit., p. 704. * 96Ibid., pp. 731-732. * 97Acte constitutif de l'UA, art. 13(2). * 98Ibid., art. 14(1). * 99Ibid., art. 16. * 100Ibid., art. 20 (3). * 101Ibid., art. 22 (2). * 102Ibid., art. 8 et 12. * 103Ibid.,art. 9 et 11 : « (1) La Conférence [/ le Conseil exécutif] prend ses décisions par consensus ou, à défaut, à la majorité des deux tiers des États membres de l'Union. Toutefois, les décisions de procédure, y compris pour déterminer si une question est de procédure ou non, sont prises à la majorité simple. (2) Le quorum est constitué des deux tiers des États membres de l'Union pour toute session de la Conférence [/ du Conseil exécutif]. * 104 La formule « [...] Sont définis dans un protocole y afférent. » contenue dans les articles 17 (2), 18 (2) et 19 de l'Acte constitutif de 2000 met en évidence des déviations textuelles dont la conséquence est la non exhaustivité du texte. |
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