La place des états membres de l’UE dans les négociations sur les échanges agricoles à l’organisation mondiale du commerce. Le cas de l’influence de la France et de l’Allemagne sur la politique commerciale commune.par Florian Ouillades Université de Strasbourg - Master de Relations Internationales (Etudes Européennes) 2008 |
2.2. La Francecentralisée et unieLa France n'a pas la même tradition que sa voisine allemande car l'histoire de son unité territoriale démocratiquement gouvernée est beaucoup plus ancienne. Il y a ainsi une plus grande présence de traditions de culture politique, certaines ayant même traversé les siècles. La dichotomie fédéralisme/centralisme, constante de l'analyse du franco-allemand, s'applique également à la coordination de la politique du commerce extérieur. Le type de coordination à la française respecte par exemple moins le principe de 82 Pour ce paragraphe: Cf. Lütticken Florian, 2005, Die europäische Handelspolitik in GATT/WTO. Nationale Außenpolitiken und ihr Einfluss auf die Handelspolitik der Europäischen Kommission am Beispiel der Verhandlungen zur Uruguay-Runde, Nomos, Baden-Baden, p. 106. 83 attachement excessif à la lettre de la loi. Cf. http://www.cnrtl.fr/definition/ Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, consulté le 24/06/08. 84 L'attitude qui consiste à apprendre de ses erreurs est très présente dans la culture politique allemande. Cf. Op. cit. , p. 106. 25 subsidiarité, ce que l'on induit à la structure centralisée du pays. On note en effet que les décisions concernant une même question seront très souvent prises en Allemagne à un niveau hiérarchique inférieur par rapport à la France. Les ministères ont davantage de responsabilités dans le processus de la coordination de la PCC outre-Rhin, alors qu'en France, le chef d'Etat ou son premier ministre garde un pouvoir de décision sur quasiment toutes les affaires des négociations sur l'agriculture à l'OMC. Jean-Marie Paugam expose85 quelques caractéristiques de la coordination nationale française. Sa première remarque concerne l'attribution des compétences. Le domaine des affaires du commerce extérieur, partie inhérente de la politique étrangère, est en France dirigé principalement par le président de la République. Si la constitution ne lui confère pas davantage de pouvoir que son gouvernement dans ce domaine, l'usage a consacré les affaires étrangères comme un domaine réservé86 du Président. La seconde entité administrative qui influence la politique commerciale extérieure est la Direction des Relations Extérieures Economiques, dirigée par la secrétaire d'Etat au commerce extérieur. Cette DREE, basée au ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, est au centre d'un système de coordination dans lequel plusieurs ministères rentrent en compte. On retrouve par exemple le ministère de l'agriculture en charge de la défense des intérêts de l'agriculture française, dans le cadre des négociations multilatérales sur les échanges agricoles. Au dessus de ce niveau d'expertise technique se situe le Secrétariat Général du Comité Interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI). Il a pour mission principale de trancher la position française dans toutes les négociations à l'OMC. Bien que ce secrétariat soit dirigé par le cabinet du premier ministre, le Président de la république garde son influence ; c'est à lui qu'appartient la décision finale en cas de conflit entre les ministères. La France a hérité d'une tradition de prise de décision plus unilatérale que collégiale. Elle jouit par conséquent d'une très grande rapidité de réaction face aux projets de la Commission européenne. La politique extérieure française du siècle dernier se différencie aussi clairement de celle de sa voisine.87 L'élément principal qui la caractérise est sa conviction de faire partie 85 Cf. http://www.wto.org/english/res e/booksp e/casestudies e/case14 e.htm Paugam Jean-Marie, The Road to Cancún: the French Decision-Making Process and WTO Negotiations, consulté le 02/05/08, pp. 2-3. 86 Terme inventé en 1959 par Jacques Chaban-Delmas. Pour plus d'informations sur la notion de domaine réservé : Cf. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/cohabitation/domaine.shtml, La Documentation française, Le domaine réservé, consulté le 25/08/08. 87 Concernant les deux paragraphes suivant: Cf. Lütticken Florian, 2005, Die europäische Handelspolitik in GATT/WTO. Nationale Außenpolitiken und ihr Einfluss auf die Handelspolitik der Europäischen Kommission am Beispiel der Verhandlungen zur Uruguay-Runde, Nomos, Baden-Baden, pp. 158-159. 26 des grandes puissances. L'idée d'une troisième force européenne88, contre-pouvoir face à l'Amérique et la Russie, a accompagné la pensée politique française depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Il en est de même pour ce qui est du désir de préserver la France en tant qu'Etat-nation-patrie. Il existe deux discours opposés qui veulent maintenir la France au rang des grandes nations et qui donnent pour cela un rôle à l'Allemagne. D'un côté, les partisans de l'intégration Européenne prônent le recours à l'alliance (principalement avec l'Allemagne) en tout point salutaire. D'autres pensent en revanche que l'Europe fait perdre son intégrité à la France. On remarque ici que la conviction d'être une grande nation française va de pair avec un constat de menace du rayonnement national. On comprend alors mieux pourquoi la volonté d'auto préservation est l'une des caractéristiques de l'attitude française sur la scène internationale. L'idée d'une troisième force mondiale européenne, plus récente, est née au sortir de la deuxième guerre mondiale. Dans une atmosphère de guerre froide, la France, comme d'autres nations européennes, a vu dans l'Europe un rempart à l'expansionnisme américain et soviétique. Après la chute du mur de Berlin, cette conception ne s'applique bien sûr plus qu'aux Etats-Unis. Enfin le combat pour la préservation de la France, en tant qu'élément identitaire, se retrouve dans plusieurs champs politiques. Cette argumentation peut être en effet utilisée dans un contexte économique, culturel ou encore juridique. L'idée de défense de l'identité nationale se traduit le plus souvent par un refus d'abandon de souveraineté nationale. L'inverse, c'est-à-dire un transfert de souveraineté nationale vers le niveau communautaire, n'est pas exclu par ses défenseurs de la France, mais il doit toujours se faire dans un but de garantir les intérêts de la France, ici européenne89. Les considérations sur le comportement de la France et l'Allemagne en matière de politique extérieure permettent de mieux comprendre les positions des deux pays dans les négociations sur les échanges agricoles à l'OMC. L'élément de la préservation de l'identité française exposé par Florian Lütticken90 s'applique également aux négociations de l'OMC. Ainsi, l'un des grands débats du dernier cycle a opposé les Etats-Unis et l'UE (principalement la France). Ce différend dans le domaine des services trouvait son origine dans la volonté du maintien d'une exception culturelle française. Parallèlement, au niveau agricole, il a toujours été question de préserver l'agriculture authentique et historique d'une 88 Pour plus de détails sur cette notion: Cf. Blum Léon, La Troisième Force européenne in Le Populaire, 6 janvier 1948. 89 Cf. Lütticken Florian, 2005, Die europäische Handelspolitik in GATT/WTO. Nationale Außenpolitiken und ihr Einfluss auf die Handelspolitik der Europäischen Kommission am Beispiel der Verhandlungen zur Uruguay-Runde, Nomos, Baden-Baden, p.159. 90 Dans le texte: die Bewahrung Frankreichs; pour le paragraphe suivant également: Cf. Ibid., pp. 158-161. 27 France nommée profonde. Ce concept jouit d'une longue tradition en France et donne à penser que le commerce des biens agricoles ne doit pas être considéré comme celui des biens industriels. A ce sujet, Jacques Chirac, alors président de la République française, fit la remarque suivante en juin 2003: « il est essentiel de rappeler que l'agriculture ne se réduit pas au cadre commercial dans lequel les négociations internationales prétendent trop souvent l'enfermer »91. On identifie ici une constante de la politique de la France qui se décline dans le secteur primaire comme dans le tertiaire. Il existe cependant un argument économique qui conforte la position conservatrice de la France. L'agriculture y est incontestablement plus importante qu'en Allemagne. En termes de produit national brut par exemple, l'agriculture représente 2,2 %, contre 0,8% pour l'Allemagne et en termes d'emplois, les agriculteurs représentent 4,1% de la population active pour seulement 2,2% outre-Rhin.92 Le secteur primaire a donc beaucoup plus de poids et de défenseurs dans l'hexagone. Tant au niveau Européen avec la réforme de la PAC qu'au niveau mondial avec les négociations du cycle de Doha, l'enjeu est la réduction du soutien financier porté aux agriculteurs. C'est alors pour soutenir un secteur significatif de son économie que la France adopte une position conservatrice dans les forums internationaux. Son but est souvent de conserver un statu quo qui lui est favorable. ...dans son combat contre le « libéralisme anglo-saxon » Enfin, l'attitude de la France et de l'Allemagne face au libéralisme permet de mieux comprendre leur position respective. Le protectionnisme en tant que pensée économique peut compter en France sur un soutien populaire plus important que dans les autres grandes économies nationales.93 Ce protectionnisme économique rencontre une très forte volonté de préserver l'Etat, la nation et la patrie française. On peut effectivement faire le parallèle entre le conservatisme dans le domaine économique et le domaine social ou encore culturel. Florian Lütticken explique que le concept de protectionnisme rejoint celui de l'anti-américanisme. Les trois éléments identitaires de la France en matière de relations 91 http://www.elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais archives/interventions/discours et declarations/2003/juin/all ocution du president de la republique devant le congres mondial des jeunes agriculteurs.3343.html , Archives de la présidence de la république française de M. Jacques Chirac, Allocution du Président de la République devant le Congrès mondial des jeunes agriculteurs, 13 juin 2003, consulté le 11 juillet 2008. 92 Source CIA: https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/xx.html Central Intelligence Agency, The World FactBook, consulté le 11 juillet 2008. 93 Pour ce paragraphe: Cf. Lütticken Florian, 2005, Die europäische Handelspolitik in GATT/WTO. Nationale Außenpolitiken und ihr Einfluss auf die Handelspolitik der Europäischen Kommission am Beispiel der Verhandlungen zur Uruguay-Runde, Nomos, Baden-Baden, p. 162-163. 28 internationales sont quelque part liés l'un à l'autre. La préservation de la nation, la perception de la France comme une grande puissance et la vision de l'Europe comme une troisième puissance mondiale se retrouvent dans la lutte contre une mondialisation anglo-saxonne94. Ce scepticisme français à l'égard de la mondialisation dans les négociations à l'OMC est soutenu par une majorité d'électeurs français qui pensent qu'il en va d'une atteinte à l'identité nationale. La position française reflète ainsi davantage une volonté populaire de défense nationale que des intérêts sectoriels réels de l'économie nationale. Par rapport à la France, l'Allemagne apparaît relativement moins conservatrice dans les négociations à l'OMC sur l'agriculture. Il y a plusieurs explications à cela. La première est que l'Allemagne a développé une méfiance du protectionnisme économique, sans pour autant se ranger du côté du groupe des northern liberals (groupe des libéraux du nord qui comprend principalement le Royaume-Uni, les pays scandinaves, et quelques nouveaux Etats membres de l'UE). Toujours d'après Florian Lütticken95, ce scepticisme à l'égard du protectionnisme a avant tout une explication morale. En effet, l'Allemagne a la certitude que le protectionnisme économique est très nuisible aux économies du tiers-monde ainsi qu'aux pays voisins de l'UE. S'ajoute à cela un argument historique déjà mentionné ici : le poids représenté par le passé, dont il faut en permanence se démarquer. Le protectionnisme européen des années vingt-trente est perçu en Allemagne comme l'une des causes du troisième Reich et de la deuxième guerre mondiale. On pourrait aller jusqu'à dire que l'Allemagne a autant peur du protectionnisme que la France a peur du libre-échange. Pour finir, la structure économique de l'Allemagne est telle que son secteur secondaire est très développé. L'Allemagne, qui n'est plus le premier exportateur mondial que depuis peu, voit la libéralisation des échanges d'une manière positive. Elle a beaucoup d'intérêts offensifs dans les négociations à l'OMC. Plus les marchés s'ouvrent, plus elle a de possibilités pour vendre ses automobiles ou ses fromages96. Pour conclure, l'une des principales différences entre l'Allemagne et la France est l'importance qui est donnée à l'opinion des puissances étrangères alliées dans la formation de la volonté politique nationale. De la même façon, une des grandes 94 Eine Angelsächsische Globalisierung: in Lütticken Florian, 2005, Die europäische Handelspolitik in GATT/WTO. Nationale Außenpolitiken und ihr Einfluss auf die Handelspolitik der Europäischen Kommission am Beispiel der Verhandlungen zur Uruguay-Runde, Nomos, Baden-Baden,p. 162. 95Cf. Ibid. p. 110. 96 L'Allemagne est, contrairement à la pensée commune, le premier exportateur mondial de fromage. Cf. http://www.bmelv.de/cln 044/nn 754188/DE/12-Presse/Pressemitteilungen/2008/113-MUE-Kaeseexport. html nnn=true Müller Gerd, secrétaire d'Etat parlementaire du Ministère fédéral allemand de l'alimentation, de l'agriculture et de la protection des consommateurs, communiqué de presse No. 113, consulté le 11 juillet 2008. 29 divergences se matérialise dans la relation avec les Etats-Unis.97 La France fait preuve de beaucoup plus d'anti-américanisme que l'Allemagne. La perception de l'Europe comme troisième puissance, beaucoup plus présente dans l'hexagone, permet d'expliquer cette méfiance. La France, qui adopte très souvent une position radicale face aux Etats-Unis dans les négociations à l'OMC, cherche à obtenir également l'approbation d'une majorité d'Etats membres au niveau Européen. L'Europe a donc une fonction équivoque dans l'argumentation française. Elle représente d'un côté une menace pour l'intégrité de la France mais est également perçue comme un rempart à l'américanisme et une réponse aux menaces qu'il représente. Cet anti-américanisme, qui rassemble les différentes tendances politiques, a été notamment partagé par l'ancien président de la république française François Mitterrand. Dans une adresse au président Bush, il clarifiait que : « La France n'est prête ni à s'incliner devant les demandes américaines ni à se soumettre aux intérêts de quel pays que ce soit, elle ne cèdera pas »98. La France développe donc deux argumentations concurrentes vis-à-vis de l'Allemagne. Si les défenseurs de l'intégration Européenne voient dans la recherche de consensus avec le voisin germanique une solution aux menaces pesant sur la France, les eurosceptiques considèrent toute influence étrangère comme une menace pour les intérêts nationaux. |
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