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Le phénomène migratoire en mer méditerranée depuis 2013. Enjeux d'une frontière meurtrière aux portes de l'Europe.


par AnaàƒÂ«lle TOUTOUNJI
Ecole Supérieure de Commerce et Développement 3A Paris - Master 2 Manager de projets internationaux, parcours Coopération et Action Humanitaire 2019
  

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C) Les îles grecques : l'accueil dans les hotspots

Depuis 2015, le nombre des traversées de la Méditerranée a considérablement augmenté et les statistiques et témoignages de survivants ont démontré que les embarcations n'arrivaient jamais à destination : les migrants sont soit interceptés par les garde-côtes libyens et ramenés de force dans les centres de détention en Libye, soit sauvés par les ONG de sauvetage et emmenés sur les îles à proximité. Géographiquement, la Méditerranée est divisée en trois zones : la Méditerranée orientale bordée par les îles grecques comme Lesbos, Chios, Samos, Kos, Leros et Évros ; la Méditerranée centrale bordée par les îles italiennes telles que Lampedusa, Pozzallo et le canal de Sicile ; et enfin la Méditerranée occidentale dont le passage le plus emprunté, et le plus surveillé, fut le détroit de Gibraltar il y a quelques années de cela. Si les îles sur lesquelles sont débarqués la plupart des migrants sont des îles européennes, cela ne veut pas dire que les migrants ont atteint leur objectif d'entrer en Europe. En effet, si le dispositif des hotspots, instauré en 2015 par l'Union européenne afin de différencier les migrants éligibles au statut de réfugié de ceux ne l'étant pas, donne l'illusion d'une dernière étape à franchir pour les migrants afin d'accéder au sol européen, il s'agit en réalité d'un moyen de les contrôler et de les mettre à distance. La création des hotspots fut une réponse à l'afflux soudain de demandeurs d'asile venus chercher protection en Europe en 2015. Il s'agit de centres implantés sur les îles grecques et italiennes, premiers lieux d'arrivée des migrants où ils sont identifiés puis enregistrés en donnant leurs empreintes. Le cas des migrants est traité selon l'étude de leur situation : s'il est estimé que la personne est éligible au statut de réfugié, elle est orientée vers des procédures d'asile afin de formuler sa demande, dans le cas contraire, elle est renvoyée. Lors de l'élaboration de l'Agenda européen en matière de migration en 2015, la Commission européenne a proposé un mécanisme de relocalisation dans la continuité du passage par les hotspots : si les migrants sont considérés comme ayant besoin d'une protection, ils sont répartis entre plusieurs États européens afin qu'ils ne soient pas tous accueillis et pris en charge par la Grèce ou l'Italie. La gestion des hotspots et des migrants est assurée par trois entités que sont : Frontex qui gère les arrivées des migrants sur l'île, s'assure qu'ils donnent bien leurs empreintes digitales et coordonne les retours programmés pour ceux devant être renvoyée, le Bureau européen d'appui en matière d'asile (BEAA) qui les enregistre et prépare leur dossier, et Europol et Eurojust qui coopèrent afin de démanteler les réseaux de passeurs. Il y aurait actuellement 9 hotspots dont 5 en Grèce et 4 en Italie.

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Si les hotspots ont été imaginés et perçus comme une solution idéale en réponse à la « crise migratoire » de 2015, ils cachent une toute autre réalité bien moins efficace et solidaire qu'elle n'y parait. La capacité d'accueil des hotspots s'est révélée être bien sous-estimée par rapport aux arrivées quotidienne de centaines, voire de milliers, de migrants et les conditions de vie y sont terribles selon le porte-parole du HCR. Véritables prisons à ciel ouvert où l'attente d'une réponse peut prendre jusqu'à 7 mois pour certains migrants, les hotspots ne constituent finalement pas une solution élaborée pour la prise en charge des migrants mais bien pour les intérêts politiques d'une grande partie des États européens qui y voient un moyen de contrôler et de refouler massivement les flux migratoires. De nombreux dysfonctionnements ont été relevés par des ONG, organisations internationales, médias et autres au sein des hotspots en Grèce et en Italie ainsi que des cas de maltraitance envers les migrants et le manque de prise en charge des personnes vulnérables (femmes enceintes, enfants, etc.).

Des prisons à ciel ouvert en Grèce : attente interminable et surpopulation

Le reportage de France Inter17 tourné en 2018 sur l'île de Lesbos et plus précisément sur le camp de Moria a révélé les conditions terribles dans lesquelles les migrants tentent de survivre en attendant l'examen de leur dossier. File d'attente de parfois 10 heures pour manger, installations sanitaires insalubres, bagarres entre migrants, tel est le quotidien des 8000 personnes, dont 2000 mineurs, entassées dans le camp de Moria, soit trois fois plus que la capacité d'accueil initiale. Certains migrants sont dans l'attente d'une réponse depuis 6, 7 voire 8 mois. L'ennui rythme leurs journées et le froid paralyse leurs nuits. Le terme prisons « à ciel ouvert » fut largement relayé par les médias et pour cause : des rangées de barbelés encerclent le camp et les entrées et sorties sont sans cesse surveillées et contrôlées. Privés de leur liberté et contraints de rester dans une attente indéfinie, les migrants déplorent les conditions de vie insalubres dans lesquelles ils vivent et beaucoup d'entre eux présentent des détresses psychologiques. Selon le reportage de France Inter, trois mineurs vivant dans le camp auraient tenté de se suicider. Malheureusement, Lesbos n'est pas la seule île dont les conditions de gestion des flux migratoires sont désastreuses : les îles comme Chios et Samos sont elles aussi le théâtre d'une politique de contrôle et de mise à distance qui impacte grandement la santé et

17 France inter. (2018, 8 Novembre). A Lesbos, le camp surpeuplé de Moria. Récupéré le 23 Août, 2019, sur https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-08-novembre-2018

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le moral des migrants qui se retrouvent bloqués et impuissants face à cette situation pendant des mois.

Camp de Moria sur l'île de Lesbos, 201618

(Infographie n°5 dans table des figures)

Trois facteurs pourraient expliquer la rapide saturation des hotspots depuis leur élaboration en 2015. Premièrement, le fait que les politiques aient sous-estimé l'accroissement du nombre de personnes arrivant sur les îles grecques quotidiennement. Selon l'ouvrage Méditerranée : des frontières à la dérive (2018), à l'automne 2015, plus de 197 166 personnes seraient passées par l'une des cinq îles grecques de la mer Égée. Un chiffre colossal si l'on prend en considération la capacité d'accueil des hotspots qui n'excède souvent pas les 500 places. L'exemple de l'île de Samos illustre bien la réalité du surpeuplement progressif des hotspots. En 2007, le premier centre de Réception et d'Identification (RIC) est construit sur l'île de Samos, destiné à accueillir les migrants fraîchement arrivés en Europe pour une durée maximale de 3 mois. Avec l'augmentation progressive du nombre de migrants transitant par l'île les années qui suivirent, les conditions du centre se détériorèrent : selon l'ouvrage

18 Euractiv. (2016, 9 Mai). Le défenseur des droits en France dénonce les hotspots. Récupéré le 21 Août, 2019, sur https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/le-defenseur-des-droits-en-france-denonce-les-hotspots/

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Méditerranée : des frontières à la dérive (2018 : 73), « le ministère de la Santé n'y délivrai ni services de santé primaire, ni accompagnement psychologique ou psychiatrique, les détenus ne bénéficiaient d'aucune assistance juridique et les plus vulnérables étaient laissés à l'abandon sans mesure spécifique de protection ». En 2016, l'État grec augmenta la capacité du camp, passant de 280 à 700 places, ce qui restait relativement peu étant donné l'explosion du nombre de passages et transits par Samos en 2015. De manière générale, l'Europe ne s'était pas préparée à l'afflux de migrants arrivant de plus en plus nombreux chaque année à ses frontières, même si cela était pourtant prévisible depuis quelques temps, et tous les hotspots construits en Grèce se sont retrouvés dans la même situation de devoir accueillir beaucoup plus de personnes que la capacité ne le permettait.

Le deuxième facteur qui explique cette saturation des dispositifs d'accueil découle des accords passés en mars 2016 entre l'UE et la Turquie. L'un des engagements de la Turquie consistait à ce que tous les migrants arrivant dans les hotspots des îles grecques soient identifiés mais également dans l'obligation immédiate de formuler leur demande d'asile, ce qui n'était jusqu'à maintenant pas le cas étant donné qu'ils étaient uniquement identifiés et enregistrés comme étant éligible au statut de réfugié puis redirigés vers le continent grec afin de déposer leur demande d'asile. En plus de bloquer les migrants, cette procédure de la Turquie a eu pour effet de surpeupler les hotspots étant donné la longueur que prend chaque procédure d'examen de la demande d'asile et l'arrivée continue de centaines de migrants chaque jour. Les refoulements et expulsions de migrants ont augmentés, et de nombreuses ONG ont dénoncé le fait que les demandes d'asile étaient parfois beaucoup trop rapidement étudiées, ce qui signifiait peut-être renvoyer une personne dans son pays alors que sa vie y est menacée. En rallongeant le temps d'attente des migrants et en leur imposant l'étude de leur demande sur les îles grecques, l'Europe souhaitait renvoyer le plus de migrants possible vers la Turquie et ne pas avoir à organiser elle-même des refoulements. Il faut savoir que les recours des migrants qui protestent contre la décision de rejet de leur demande d'asile rallongent encore plus leur temps au sein des hotspots. Le tout additionné d'un gros manque de sous-effectif dans le traitement et la gestion des dossiers des migrants qui contribue davantage à cette longue attente.

Le troisième facteur concerne le désengagement flagrant de certains États européens qui n'ont finalement pas accepté le mécanisme de relocalisation imposé lors de l'établissement de l'Agenda européen en 2015. Afin de « soulager » la Grèce et l'Italie et que les places se libèrent plus rapidement au sein des hotspots, la Commission européenne avait demandé aux États d'accueillir un certain nombre de migrants éligibles au statut de réfugié. Cependant, certains se sont progressivement retirés, prétextant des excuses peu fondées, renforçant davantage la vision

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d'une Europe ne souhaitant pas gérer les flux migratoires présents à ses frontières depuis des années. Sur les 160 000 migrants devant être transférés dans des pays européens d'accueil, seuls 30 000 ont pu en profiter, soit moins du cinquième total que les États s'étaient engagés à accueillir.

L'île de Chios représentait probablement l'une des portes d'entrée la plus franchie pour accéder en Europe et pour cause : elle se situe à proximité de la Turquie, faisant face à la ville côtière de Çeþme, et constitue la première « étape » pour les migrants qui tentent de rejoindre l'Europe en traversant la mer Égée. Depuis les accords passés entre l'UE et la Turquie en 2016, Chios est devenue un obstacle. La présence des autorités turques, étant dorénavant requise sur les îles grecques et au sein des hotspots afin de procéder à des refoulements de personnes considérées comme n'ayant pas besoin d'une protection, est particulièrement accrue sur Chios car le contrôle entre l'île et les côtes turques a été renforcé et une surveillance des frontières est effective 24h/24. L'agence européenne Frontex et l'OTAN sont présents en mer Égée depuis 2015 et 2016 respectivement. Cela n'empêche pourtant pas des migrants de monter à bord d'une embarcation et de tenter la traversée, le trajet ne nécessitant en principe que quelques heures.

Les camps de Vial et de Souda sur Chios ont une capacité d'accueil totale de 2000 personnes et ont été effectifs de l'été 2016 au début de 2017, période à laquelle les départs de Turquie ont drastiquement baissé suite à la signature des accords UE-Turquie. Vial est à la fois un hotspot et un centre d'hébergement, et les conditions de vie y sont plus précaires qu'à Souda. Ce dernier est caractérisé par la présence de nombreux acteurs humanitaires qui oeuvrent chaque jour pour les migrants, et prioritairement pour les plus vulnérables comme les familles, femmes enceintes, MNA, etc. Malgré cela, les deux camps restent des lieux d'enfermement où l'attente est interminable pour les migrants qui attendant parfois des mois pour voir leur demande d'asile aboutir ou non. Des fils barbelés surplombent les grillages qui entourent la zone des camps et une sécurité est sans cesse présente aux entrées.

La réalité des hotspots et des conditions de vie qui y règnent représentent une fois plus une atteinte à l'intégrité des migrants. Enfermés, livrés à eux-mêmes dans une attente interminable, le « séjour » dans ces centres représente une détresse psychologique supplémentaire à celles provoquées par les potentielles persécutions subies dans leur pays et par la traversée de la Méditerranée ou de la mer Égée et le risque d'y mourir noyé. Le contrôle et les refoulements exercés par les autorités en charge de la gestion des migrants (Frontex,

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autorités turques, etc.) sont heureusement, dans quelques cas, contrebalancés par la présence d'équipes médicales d'ONG qui prennent en charge les personnes les plus vulnérables. Cependant, les États européens doivent prendre conscience que les hotspots ne constituent pas un dispositif efficace et adapté aux milliers de migrants qui arrivent par semaine.

Si la sous-partie s'est concentrée sur les hotspots des îles grecques, les conditions n'y sont pas mieux dans ceux des îles italiennes. L'ONG Amnesty international a d'ailleurs dénoncé19 à maintes reprises les maltraitances et exclusions que subissent les migrants, un témoignage poignant fut d'ailleurs relayé sur leur site internet pour interpeller sur la gravité de la situation :

« La douleur était indescriptible... Jamais je n'aurais imaginé qu'on puisse me faire

une chose pareille en Italie » - Adam, 27 ans, originaire du Darfour.

19 Amnesty International. « Hotspots » en Italie : des réfugiés et migrants victimes de violences. Récupéré le 27 Août, 2019, sur https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2016/11/hotspot-italy/

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry