PARTIE IV : LE RÉCIT D'UNE JOURNÉE
ORDINAIRE
Cette enquête a pour objectif d'étudier
l'organisation du travail des auxiliaires de vie social et de
révéler ses impacts sur la qualité de l'accompagnement
social des personnes âgées à domicile. Par
conséquent, le souhait d'insérer ce récit d'observation
nous permet de nous immiscer dans le quotidien d'une AVS et de constater les
multiples problématiques développées ci-dessus. J'ai donc
suivi le jeudi 12 mars 2020 de 8h à 20h une auxiliaire de vie sociale
dans ses interventions auprès de 7 bénéficiaires. L'AVS
est employée en contrat à durée indéterminée
au Centre Communal de l'Action Social (CCAS) de Lormont. Elle travaille depuis
7 ans pour cet organisme. Elle est française d'origine malgache et elle
est âgée de la cinquantaine. C'est une mère de deux enfants
dans l'enseignement supérieur. Elle possède un véhicule
pour cheminer de domicile en domicile, cependant quand elle est certaine
qu'elle n'a pas de courses ou de sorties à effectuer avec la personne
âgée, elle préfère prendre son vélo
électrique. L'usage de ce vélo lui évite de chercher des
places pour se garer dans la ville de Lormont.
Jeudi 12 Mars 2020: Interventions chez 7
bénéficiaires
8h : Le début de la journée
commence chez un homme âgé de 75 ans. Nous nous sommes mises
d'accord avec l'auxiliaire pour prendre mon propre véhicule afin que je
puisse me rendre compte de l'essence utilisée et de la difficulté
de se garer dans la ville de Lormont. Ainsi, nous nous sommes retrouvées
devant le domicile du bénéficiaire. Je vois déjà
que la professionnelle semble fatiguée, elle a des cernes creusés
mais garde un grand sourire. Elle me raconte qu'en ce moment elle ne fait que
de grosses journées et qu'elle aurait besoin de davantage de sommeil.
Après cette courte discussion, l'auxiliaire sonne au domicile. Un vieil
homme nous ouvre la porte. C'était une maison très insalubre,
très obscure avec une odeur très forte que je ne pourrais
décrire. Dès notre arrivée, l'homme nous salue, je lui
explique ma présence dans son domicile mais il n'avait pas l'air de
comprendre. L'auxiliaire de vie me rappelle que ce monsieur présente
plusieurs déficiences cognitives. Le monsieur part s'assoir sur son
fauteuil, et le travail commence... La professionnelle a une application
téléphonique du CCAS, elle pointe son heure d'arrivée en
scannant un badge collé sur le cahier de liaison. Ensuite, elle lit
attentivement les derniers actes et tâches que ses collègues ont
inscrits afin de se tenir au courant du déroulement des interventions
chez le monsieur. Sur ce cahier, il peut y avoir quelques consignes importantes
comme des allergies alimentaires que le bénéficiaire pourrait
présenter ou diverses recommandations. L'auxiliaire n'a que trente
minutes pour que le monsieur puisse prendre son petit-déjeuner. Elle
doit préparer à manger et le temps que ça chauffe, elle
doit « passer un
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coup » sur l'évier et la table. Tout en menant ses
tâches, elle tente de discuter avec le monsieur à savoir s'il a
bien dormi, s'il souhaite quelque chose en particulier pour son petit
déjeuner,... L'auxiliaire de vie me précise que pour elle, faire
de la conversation avec les bénéficiaires est essentiel, cela lui
permet premièrement de mieux connaître les besoins de la personne
et deuxièmement, le fait de discuter lui permet de passer une
journée de travail plus distrayante et rapide. Pendant qu'elle
confectionne le petit déjeuner, je regarde l'état de la maison,
tout en relisant le cahier de liaison. J'ai tout de suite été
surprise par d'énormes insectes qui circulaient sur les meubles en bois.
J'appelle l'auxiliaire, elle m'avertit que ce sont des blattes (une
espèce de cafard). Elle me confie que c'est pour cela que les gants et
une blouse sont indispensables pour travailler chez certaines personnes qui
perdent la tête et en oublient l'hygiène total de la maison. Pour
elle, cette situation ne l'effraie pas, par contre certaines de ses
collègues ont déjà refusé d'intervenir chez le
monsieur.
8h30 : La demi- heure est passée
tellement vite. A peine le temps que le bénéficiaire ait fini de
manger qu'il faut déjà se préparer pour repartir !
L'auxiliaire pointe à nouveau par le biais de son application. Nous
n'avons que 15 minutes pour arriver chez l'autre usager. L'auxiliaire me
rassure en me précisant que le prochain domicile n'est pas très
éloigné de celui-ci. Pour éviter de chercher à
nouveau une place, elle me conseille de nous y rendre à pied. La
professionnelle marque sur le cahier ce qu'elle a réalisé ce
matin chez le monsieur. Il est 8h35, l'heure tourne, nous souhaitons une bonne
journée au vieil homme et quittons sa maison.
8h 45 : Nous sommes arrivées en bas de
l'immeuble de la seconde bénéficiaire. L'auxiliaire de vie sonne
à l'interphone, la porte s'ouvre, nous montons 5 étages. Il n'y a
pas d'ascenseur, j'ai trouvé cela très étonnant et
malheureux pour les personnes âgées qui doivent vivre aux
étages supérieurs de cet immeuble. Comment peuvent-elles
descendre de chez elle ? J'allais le savoir rapidement en questionnant la dame
chez qui on se rendait. L'auxiliaire me précise que c'est une dame de 75
ans qui a subi 15 opérations, elle ne peut pas lever aisément ses
bras ni ses jambes. On arrive enfin au bout de ces cinq étages ! On
toque à nouveau à la porte, une charmante petite dame nous ouvre,
beaucoup plus bavarde que le monsieur précédent. Elle
était ravie de ma présence et semblait s'entendre à
merveille avec l'auxiliaire. La petite dame me dit que cela fait plus deux ans
que l'auxiliaire de vie vient chez elle et qu'elle aime beaucoup sa
façon de travailler. On s'assoit donc toutes les trois dans sa salle
à manger, la petite dame nous invite à prendre le café.
L'auxiliaire de vie me raconte qu'elle prend régulièrement le
café chez elle pour discuter et bien se réveiller pour la suite
de la journée. Pendant que la vieille dame nous prépare comme
elle peut son café (très lentement du fait de ses douleurs aux
bras). La
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professionnelle pointe son heure d'arrivée avec son
portable et insiste sur le fait de ne pas aider la dame à
préparer le café. Je lui demande alors la raison. L'auxiliaire de
vie me dit que son métier a pour but d'assister mais également
d'accompagner la personne âgée pour préserver un minimum
d'autonomie. Après avoir pris le café, la professionnelle met
à nouveau sa blouse et ses gants. Elle lit le cahier de liaison et
remarque que le salon n'a pas été
dépoussiéré depuis longtemps. Elle sait où prendre
l'aspirateur et les différents produits. Elle intervient chez la petite
dame tous les jeudis matin pendant deux heures. Je constate que la
professionnelle connait très bien l'appartement. Elle me dit qu'à
force on y prend ses repères et ses habitudes. La petite dame continue
toujours de papoter avec nous pendant que l'auxiliaire range le domicilie. Elle
semble très enjouée de nous raconter la vie de ses
petits-enfants, de ce qu'elle a regardé hier à la
télévision,... Ensuite, elle décide de me montrer avec
grande fierté toutes les pièces de son bel appartement. Elle aime
avoir une hygiène irréprochable, cela pouvait être
confirmé par sa manière de se coiffer et de s'habiller. La petite
dame était très soignée. Après la visite de
l'appartement, je lui demande tout de même comment elle fait pour sortir
à l'extérieur de chez elle. Elle me dit que le fait d'habiter au
cinquième étage ne lui permet pas de sortir. Ce sont les
auxiliaires et sa famille qui lui font les courses. Elle m'annonce que cela
fait bientôt 2 ans qu'elle n'est pas sortie. L'auxiliaire de vie
intervient alors dans la conversation, en disant qu'elle a déjà
envoyé un courrier au propriétaire de cet immeuble avec les
différentes signatures des personnes âgées bloquées
aux étages supérieurs ! Cependant l'immeuble ne cesse de changer
de propriétaires. Les courriers et pétitions restent
malheureusement sans réponse. J'ai pu ainsi constater que l'auxiliaire
de vie n'intervient pas seulement pour l'entretien du domicile et pour faire la
conversation. Elle accompagne les bénéficiaires dans leurs
démarches administratives. Après les deux heures de ménage
terminées et mes discussions avec la vieille dame, l'auxiliaire part se
laver à chaque fin d'intervention même si elle porte des gants.
Dans cette période de pandémie, les « gestes barrière
» sont à répéter plusieurs fois. La professionnelle
inscrit les tâches effectuées chez la bénéficiaire
et bippe à nouveau avec son application. On part de chez la dame un peu
après 10h45 car nous avons toutes les trois beaucoup
plaisanté.
Passage au bureau : Après avoir
quitté le logement de la petite dame, l'auxiliaire de vie sociale
m'avertit qu'il lui faut à tout prix de nouveaux gants et qu'elle doit
poser un jour de congé le mois prochain. Ainsi on part en direction du
CCAS. Je lui demande alors si nous ne risquons pas d'arriver en retard pour la
prochaine intervention. Elle me répond qu'il est fort probable que nous
prenions du retard mais qu'elle ne veut pas se rendre au bureau en dehors de
ses
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horaires de travail ! Ses journées se terminent tard,
elle ne peut pas faire autrement. Ainsi, après 10 minutes de marche
à pied on arrive aux bureaux. Je laisse l'auxiliaire de vie parler avec
ses responsables, je me mets cependant à la porte pour essayer
d'écouter. Je constate que les conversations sont très froides et
tendues. L'auxiliaire de vie fait de nombreux reproches aux responsables de
secteur par rapport à son planning. Elle demande également des
gants, la responsable lui demande combien elle souhaite en avoir. Elle lui
répond sèchement « Autant de gants pour m'occuper de tous
les bénéficiaires ! ». L'auxiliaire sort du bureau
agacée et m'explique qu'il ne faut pas se laisser faire. Pour elle, ces
« femmes » sont derrière leur bureau et ne connaissent pas les
conditions véritables des employées. En constatant
l'énervement de l'auxiliaire, j'ai décidé de changer
volontairement de sujet afin de calmer l'atmosphère. Je lui demande
alors quels sont nos prochains bénéficiaires. Elle m'explique que
nous allons arriver avec 15 minutes de retard chez un vieux couple de
réfugiés syriens. Ainsi, on part chercher mon véhicule
pour se mettre à nouveau en route.
11h 45 : On arrive enfin devant la maison du
couple. Effectivement, nous avons 15 minutes de retard, trouver une place
n'était pas du tout évident ! Le fils du couple syrien nous ouvre
la porte et nous demande la raison pour laquelle on est en retard. Puis il nous
dit que c'est une blague, que l'importance c'est que l'auxiliaire de vie soit
là. Je n'ai pas eu le temps de me présenter que le fils
était déjà parti de la maison. Nous entrons donc dans le
salon avec des chaussons en papier. La famille syrienne tient à ce que
les personnes ne marchent pas dans la maison avec les chaussures. L'auxiliaire
de vie avait pensé à ma venue, elle m'avait préparé
une paire. Elle me dit que c'est important de respecter les habitudes des
bénéficiaires. Ensuite, elle pointe le cahier de liaison avec le
badge accolé, et je fais la connaissance du couple syrien. La femme a la
sclérose en plaques et l'homme a des problèmes aux reins. Les
deux étaient déjà malades en Syrie, mais la prise en
charge de leurs pathologies a été quasiment inexistante dans leur
Etat en guerre. Pendant que le couple me raconte avec beaucoup
d'émotions leurs histoires, l'auxiliaire de vie fait la vaisselle, leur
prépare les plateaux repas et vide les pots de chambres. L'intervention
dure 30 minutes, la professionnelle se dépêche, nous sommes
déjà en retard pour la prochaine intervention. On repart chercher
la voiture, cette fois-ci nous avons quasiment 10 minutes de route.
12h30 : Après avoir tourné en
rond quelques minutes, nous n'avons toujours pas trouvé de place dans
Lormont centre. Par conséquent, je propose à l'auxiliaire de vie
de la déposer chez la prochaine personne et que pendant ce temps je pars
chercher à nouveau une place. Cette proposition fut acceptée.
J'ai cherché une place pendant 5 minutes encore. J'ai eu la chance
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qu'un jeune homme quitte sa place à deux rues du
domicile. Après être arrivée devant la porte de la maison,
je sonne et l'auxiliaire m'ouvre. J'entre alors dans une maison propre mais
très mal rangée. Je fais la connaissance d'une dame
âgée de 86 ans atteinte d'Alzheimer. J'ai à peine eu le
temps de me présenter qu'elle voulait que je mange avec elle. Cela m'a
fait sourire, elle devait me prendre pour quelqu'un d'autre. J'ai
décliné gentiment son invitation en lui demandant ce qu'elle
souhaitait manger ce midi. L'auxiliaire de vie me demande de vérifier
les dates de péremption dans le frigidaire. Je regarde attentivement et
lui donne les produits en dates courtes. Quant à la vieille dame, elle
semblait totalement désorientée. La professionnelle me dit de la
laisser dire ses « bêtises » et de la « rassurer »,
il ne faut surtout pas inquiéter une personne atteinte d'Alzheimer. J'ai
compris ainsi, qu'il fallait tout de même avoir une certaine
expérience pour s'occuper de ces personnes ayant cette pathologie, il y
a une attitude à adopter. La vieille dame malgré sa maladie
était d'une grande gentillesse et générosité.
L'auxiliaire de vie me dit qu'elle mange avec elle 2 fois par semaine (en
apportant sa propre alimentation). La vielle dame est ravie lorsque l'on
partage un repas avec elle. Même si la direction du CCAS interdit
formellement de manger avec les personnes âgées, l'auxiliaire de
vie déroge à la règle. Le fait de pouvoir manger chez
l'usager, lui permet d'avoir un peu plus de temps pour déjeuner sinon sa
pause serait seulement de 30 minutes. De mon côté, je suis partie
dans une boulangerie proche pour prendre un sandwich et envoyer quelques mails
le temps de la fin de leur repas. L'auxiliaire de vie me dit de revenir
à 13h45, de prendre mon temps.
13h45 : Je viens récupérer en
voiture la professionnelle. Cependant, la vieille dame atteinte de l'Alzheimer
a fait tomber plusieurs ustensiles de cuisine. L'auxiliaire de vie qui
était au bas de la porte repart l'aider. Par conséquent, j'allume
les warnings de ma voiture pour signaler aux autres conducteurs mon arrêt
de quelques minutes. La prochaine intervention est à 14h, il est 13h55
et l'auxiliaire de vie sort enfin de chez la dame. La professionnelle me donne
la prochaine adresse, et nous voilà à nouveau reparties. Elle me
signale qu'elle a eu changement de planning de dernière minute. Nous
n'allons pas chez la dame habituelle mais chez un couple d'espagnols. Le
changement s'opère par cette application téléphonique
qu'elle utilise à chaque fois pour pointer ses heures. Ainsi, je
constate qu'elle doit toujours être vigilante sur cette application.
14h 15 : Nous arrivons enfin au domicile du
couple espagnol avec 15 minutes de retard. On s'est garé sur un parking
à 200 mètres. On entre dans cet appartement grâce à
une boite à clefs sur le côté droit de la porte.
L'auxiliaire de vie connaît le code pour ouvrir la boîte et en
sortir les clefs. Nous entrons dans un grand logement. Un vieil homme assis
autour de la table regarde la télévision, nous salue rapidement
et nous dit d'aller voir sa femme dans la chambre. Par
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conséquent, on s'exécute et on aperçoit
une dame âgée allongée sur un lit qui avait elle aussi la
télévision allumée. L'auxiliaire de vie avait
déjà travaillé trois ou quatre fois auparavant. Je me
présente auprès de la dame qui semblait assez agacée.
Pendant ce temps l'auxiliaire part pointer avec son téléphone et
lit le cahier de liaison. Elle décide de faire la salle de bain, les
sanitaires et l'aspirateur dans tout l'appartement en demandant l'accord de la
vieille personne. De mon côté, je demande à la dame si
c'est possible d'avoir un petit entretien avec elle pour connaître son
avis sur les prestations des auxiliaires de vie sociale chez elle. A ma grande
surprise, celle-ci accepte aussitôt malgré son air irrité.
Elle me fait part tout de suite de son mécontentement face aux retards
des auxiliaires de vie. Je constate qu'elle me fait cette confession dès
lors que la professionnelle est sortie de la pièce. Je lui demande alors
si cela un phénomène régulier. Elle me répond que
toutes les deux semaines les auxiliaires ne font pas leurs heures
complètes et que pourtant elle paye pour un nombre d'heures
précis. Je lui fais signe que je comprends son mécontentement
tout en lui expliquant notre petit incident chez la bénéficiaire
précédente qui a fait tomber ses ustensiles de cuisine. Je lui
explique que les interventions sont tellement rapprochées les unes des
autres que les auxiliaires de vie ne peuvent pas malheureusement être
toujours ponctuelles malgré leur bonne volonté. La vieille dame
m'explique que pour elle, c'est de l'argent qu'on lui vole. Afin d'apaiser le
climat, je pose à la vieille dame des questions sur sa propre vie, son
handicap, sa famille,... (cet entretien a été retranscrit pour
mes données qualitatives). Au fil des minutes, la dame âgée
commence à sourire et plaisanter avec moi, on parle de son pays
d'origine. Elle me parle en espagnol de temps en temps, j'essaye de comprendre
tant bien que mal. Nous avons beaucoup discuté, même l'auxiliaire
et le vieil homme se sont joints à nous. J'ai réalisé que
pour l'auxiliaire de vie, le fait de nous retrouver pour discuter un peau lui a
permis de faire une pause dans son ménage intensif. La professionnelle a
beaucoup de sueur sur son front. A la fin de l'intervention, je remercie la
dame espagnole de m'avoir accordé cet entretien. La réponse en
retour de la vieille dame m'a beaucoup touchée : « C'est moi qui
vous remercie, grâce à vous mon après-midi est
passée vite ! ». Quant à l'auxiliaire de vie, elle retire
ses gants et sa blouse, bippe à nouveau le badge et boit un peu d'eau
à l'évier de la cuisine. Elle note également sur le cahier
ce qu'elle a effectué chez le couple espagnol. C'est le même
rituel à chaque début et fin d'intervention ! Nous quittons les
bénéficiaires, la professionnelle remet les clefs du domicile
dans la boîte noire. On reprend ma voiture garée à 5
minutes. L'auxiliaire de vie m'indique que le prochain domicile n'est
qu'à 10 minutes en voiture. Je lui demande durant le trajet comment elle
se sent. Elle me répond en souriant qu'elle a chaud à cause du
ménage mais qu'elle ne se sent pas trop fatiguée pour le
moment.
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16h 30 : Nous arrivons devant le domicile de
la personne âgée, par chance, nous avons trouvé une place
devant l'immeuble. Cependant, nous n'avons toujours pas réussi à
rattraper le retard accumulé au fil de la journée. Nous avons
encore dû monter 4 étages à pieds, l'ascenseur
n'étant pas en état de marche. On sonne alors toutes les deux
essoufflées à la porte de la bénéficiaire. Une
petite dame âgée très coquette nous ouvre avec un grand
sourire. Elle a souhaité faire la bise à l'auxiliaire de vie,
mais pendant les périodes d'épidémie les deux se sont
résolues à ne pas effectuer cette embrassade. Je salue à
mon tour la jolie petite dame en lui expliquant mon statut
d'étudiant-chercheur. Elle répond que ça lui fait toujours
plaisir de voir du monde. La petite dame nous accueille de manière
très chaleureuse, elle nous demande de nous assoir et de prendre un
café. L'appartement était d'une propreté
irréprochable, chaque meuble, chaque bibelot était soigneusement
dépoussiéré. Elle nous annonce qu'aujourd'hui, elle n'a
pas de ménage à demander à l'auxiliaire de vie mais
qu'elle aimerait qu'on s'installe toutes les trois pour discuter et pour
l'aider sur l'ordinateur. L'auxiliaire accepte et me chuchote à
l'oreille : « Yes pas de ménage ! ». La vieille dame me pose
des questions sur mes études, sur mon projet de recherche pendant que la
professionnelle pointe à nouveau son heure d'arrivée sur le badge
du cahier de liaison. Après être toutes les trois
installées autour de sa table avec nos boissons, la petite dame nous
demande des conseils pour faire son dossier CAF en ligne. Elle utilise depuis
peu son ordinateur dont elle est très fière et souhaiterait
davantage d'enseignement pour connaître son fonctionnement. Par
conséquent, elle s'empresse de mettre sur la table son ordinateur
portable, l'auxiliaire de vie sort ses lunettes de vue et les deux se mettent
attentivement sur le site de la CAF. J'observe que la vieille dame
écoute attentivement les instructions de l'auxiliaire, elle note tout
sur un calepin. Je constate alors que la professionnelle est très
présente pour la petite dame pour ses démarches administratives
et qu'en retour la petite dame accorde une confiance importante à
l'auxiliaire. En effet la professionnelle a accès à ses mots de
passe et ses différents codes (de la CAF, du Gaz, d'EDF, des
impôts,...).
Après avoir passé plus de 30 min sur
l'ordinateur, la petite dame retire le pc de la table et commence à nous
parler du livre qu'elle est en train d'écrire. Elle nous a parlé
un long moment, de l'amour qu'elle portait et portera toujours à son
fils défunt. Elle nous raconte qu'il est parti à 22 ans, et
qu'elle continue tous les soirs à faire des prières pour lui en
espérant qu'il les entende. Il y a beaucoup d'émotions dans sa
manière de nous parler. Ses yeux s'humidifient au fur et à mesure
qu'elle avance dans son récit. L'auxiliaire de vie et moi-même
écoutons avec beaucoup d'intérêt les histoires de sa vie.
Nous n'avons même pas vu l'heure passer, qu'il était
déjà 18h ! L'heure de pointer, l'heure de partir pour une autre
intervention. La vieille dame nous a énormément remerciées
de l'avoir écoutée et d'avoir pris le temps de discuter avec
elle.
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Elle ajoute qu'elle ne voit pas beaucoup de monde, alors quand
elle peut, elle aime parler. Après cette intervention pleine
d'émotions, on quitte la petite dame, on remonte dans la voiture,... En
conduisant, je demande à l'auxiliaire si elle avait l'habitude de
discuter de longs moments pendant ses prestations chez les personnes
âgées. Elle me répond que cela arrive
régulièrement qu'un bénéficiaire ait le besoin de
discuter sur diverses sujets ou de se confier. Elle me précise que
certaines personnes âgées sont tellement isolées qu'elles
ne voient que les auxiliaires de vie dans leur quotidien.
18h10 : Nous sommes en train de sortir du
lotissement et la professionnelle m'avertit que l'on a environ 40 minutes de
pause. Par conséquent, elle me propose que l'on en profite pour aller au
supermarché faire quelques courses. L'auxiliaire rajoute qu'elle n'a pas
eu le temps de faire de grosses courses alimentaires cette semaine à
cause de son planning très chargé. On se gare donc au Carrefour
de Lormont, on prend un caddie et nous voilà parties pendant 30 minutes
à faire les courses ! Après avoir rangé les aliments dans
le coffre, on s'assoit 5 minutes dans la voiture. Elle me confie qu'elle
commence à sentir la fatigue de la journée mais qu'il lui reste
à faire souper un dernier monsieur. Mais malgré cette fatigue,
l'auxiliaire de vie garde toujours le sourire.
19h : Pour la dernière intervention,
nous sommes exactement à l'heure précise. L'auxiliaire de vie
avait calculé que le logement du dernier bénéficiaire
n'était pas très loin du carrefour. On descend de la voiture, on
passe un petit portillon pour sonner à la porte d'une maison en pierre.
On entend un bruit et la porte s'ouvre toute seule et doucement... J'observe
qu'en haut de la porte est mis en place un appareil permettant au monsieur
d'ouvrir la porte à distance. On attend que la porte s'ouvre
délicatement, et on retrouve un vieux monsieur en fauteuil roulant dans
sa salle à manger. Cet homme avait un ventre très volumineux et
beaucoup de grains de beauté sur la peau. L'auxiliaire de vie lui
signale ma présence et je m'avance vers lui pour à mon tour le
saluer. Le monsieur n'entendait pas très bien, j'ai
préféré simplifier les choses en lui disant que
j'étais une jeune fille en stage. Je pars ensuite rejoindre l'auxiliaire
de vie dans le sas d'entrée où elle pointe le badge sur le cahier
de liaison, et pour lui demander quelles sont les pathologies de ce vieux
monsieur. Elle me répond que ce vieil homme a fait un AVC il y a deux
ans, et que depuis il ne tient plus en équilibre et ne comprend pas
tout. Elle ajoute que le monsieur est toujours prêt à faire des
« blagues » et que je peux lui en faire moi aussi. Mais j'observe que
quelque chose l'intrigue dans la lecture du cahier. En effet, ses
collègues ont inscrit que le monsieur ne mange rien depuis mardi, qu'il
goute seulement et laissait l'assiette. Ce constat m'a tout de suite
étonnée face à ce vieil homme bien enrobé.
Cependant, ces remarques sont à
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prendre très au sérieux. Je vois que
l'auxiliaire de vie fronce les sourcils et part rejoindre le monsieur dans la
salle à manger. Elle lui demande sur un ton alarmant pourquoi il ne veut
plus se nourrir ! Il répond en rigolant : « J'ai des
réserves ! ». L'auxiliaire de vie et moi-même n'avons pas pu
nous empêcher de sourire. La professionnelle lui rappelle qu'avec tous
les médicaments que le vieux monsieur prend, il risque d'avoir des maux
sévères à l'estomac. Je réalise alors que
l'auxiliaire de vie social a un véritable rôle préventif
pour les personnes âgées. Cette dernière connaît bien
ce monsieur, elle intervient tous les jeudis et vendredis chez lui depuis 6
mois. Elle part dans la cuisine lui confectionner un de ses repas favoris en
remettant sa blouse et de nouveaux gants. Après avoir mis les aliments
à chauffer, elle nettoie la cuisine, lave levier et met la table.
Ensuite, elle allume la télévision, part chercher le monsieur
pour l'installer à manger. Elle met les informations et demande si cela
ne dérange pas le vieil homme. Celui-ci, lui fait signe que non, il
ajoute qu'à la télévision : « Ils
répètent toujours les mêmes choses ! ». L'auxiliaire
de vie tente de le faire parler à multiples reprises. Quelques minutes
après, le repas est prêt. La professionnelle s'installe
près du monsieur, elle lui coupe les aliments et le fait manger. Le
monsieur a une mobilité très réduite des bras qui ne lui
permettent pas de tenir ses couverts. Je remarque que l'auxiliaire de vie prend
son temps, elle ne fait aucun geste brusque. Le monsieur goûte et
recommence à ne plus vouloir se nourrir. L'auxiliaire de vie ne perd pas
espoir et reste patiente. Au final, le vieil homme n'aura pris que quatre
bouchées supplémentaires mais pour l'auxiliaire de vie «
c'est déjà ça ! ». Après le repas, elle passe
le balai sous la table et fait la vaisselle. Il est déjà 20h, il
fait nuit noire dehors. L'auxiliaire de vie retire sa blouse et pointe pour la
dernière fois de la journée. Elle met de grands verres d'eau avec
de longues pailles à la disponibilité du monsieur, son neveu ne
va pas tarder à le mettre au lit. Nous quittons le monsieur en lui
souhaitant une bonne nuit.
20h05 : Nous reprenons la route cette fois-ci
en direction du logement de l'auxiliaire. Elle est épuisée et
elle me confie en riant qu'il lui tarde de se mettre au chaud devant la
télévision. De mon côté, j'admets n'avoir fait
qu'observer, discuter et conduit mais je commence aussi à ressentir la
fatigue. En arrivant devant la maison de l'auxiliaire, je l'aide à
débarrasser le coffre de ma voiture de ses courses. Enfin, je la quitte
en la remerciant infiniment pour cette journée très enrichissante
pour mon étude. Elle me répond toujours en souriant que ça
lui a fait plaisir que l'on s'intéresse à son métier
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