B)Stratégies mises en place par les personnes
dépendantes pour pallier à l'insuffisance des services à
domicile
En 2015, selon les premiers résultats de
l'enquête « Care » de la Dress28, on comptait entre
0,4 et 1,5 million de personnes âgées de 60 ans ou plus
dépendantes au sens du groupe iso-ressources (GIR) vivant à
domicile. Ces chiffres ne vont pas cesser de croître car d'après
l'Insee, les seniors en perte de capacités vont augmenter de plus de 60
% en 2050 par rapport au recensement de 2015 (qui comptait déjà
2.5 millions de personnes dépendantes). De plus, cette hausse du nombre
de personnes dépendantes vivant à domicile s'explique par le
souhait majoritaire des personnes âgées à vouloir vieillir
« chez elles ». Elles désirent rester dans leur propre
environnement loin des maisons de retraites claquemurées aux prix
onéreux. En effet, le prix en EHPAD29 est un frein au
départ de son domicile : l'hébergement journalier peut varier
entre 45 € et 150 € par jour30. « Seule une
minorité privilégiée peut s'offrir une prise en charge en
établissement »31. Sur les 5 personnes
dépendantes interrogées tout au long de l'enquête, une
seule envisage sa fin de vie en maison de retraite.
Quand on parle de personne âgée «
dépendante », il faut connaître la signification de ce terme.
Celui-ci est un adjectif qualificatif pour désigner les personnes
âgées atteintes d'incapacité dans les actes essentiels de
la vie quotidienne et ayant besoin de l'action d'une tierce personne pour les
réaliser (Ennuyer, 2013). En 2017, il y a 2.8 millions d'aidants
familiaux qui apportent un soutien quotidien à une personne
âgée vivant à domicile32. L'aidant familial est
le plus souvent un proche de la personne dépendante dont il s'occupe
régulièrement. Quand son statut est déclaré
celui-ci peut bénéficier d'une allocation financière des
conseils départementaux ou des maisons départementales des
personnes handicapées (MDPH) en complément de son salaire. Il a
également droit à une baisse de l'impôt sur le revenu et un
droit au répit. Ce dernier s'exprime par la possibilité de placer
leur proche temporairement dans un établissement d'accueil
spécialisé. De plus, l'aidant familial peut interrompre son
activité professionnelle pendant 3 mois notamment pour accompagner la
fin de vie de la personne dépendante. Cependant, ce congé n'est
pas rémunéré par l'employeur et non indemnisé par
la
28 DREES - Premiers résultats de
l'enquête « Care » : « Les personnes âgées
dépendantes vivant à domicile en 2015 », Septembre 2017,
numéro 1029.
29 Etablissement Hospitalier pour Personnes
Agées Dépendantes
30 Masson Chantale, « Combien coute un
séjour en maison de retraite ? », Le Figaro, Février
2017.
31 Bricka Blandine, Un métier (presque)
ordinaire: Paroles d'aides à domicile, Les Editions de l'Atelier/
Edition ouvrières, Ivry-Sur-Seine, 2017.
32 Rapport du ministère de la Santé et
des Solidarités 2018 : « Personnes âgées : les
chiffres clés »
29
Sécurité sociale. Ainsi, le gouvernement a
lancé depuis octobre 2019, la stratégie de mobilisation et de
soutien en faveur des aidants. Cette stratégie a pour projet
d'améliorer la reconnaissance du statut d'aidant-familial et de
valoriser leurs droits. Ces différentes réformes doivent
être appliquées durant l'année 2020.
Dans le cadre de cette enquête, 3 personnes
âgées sur 5 ont recours au soutien d'aidant(s) informel(s) issu(s)
de l'entourage. Cet aidant peut-être un enfant, un voisin ou un proche de
la famille qui apporte une aide ponctuelle ou régulière en
complément des services à domicile. Lorsque les auxiliaires de
vie sociale s'absentent ou que l'association manque de personnel pour
intervenir chez la personne âgée, cette dernière mobilise
les aides de son entourage autant qu'elle le peut :
« Mais il y'a eu une période où je n'ai
eu personne ! Aucune aide à domicile ! [...] Mais j'ai eu un coup de
chance à chaque fois, grâce à la famille que j'ai à
côté. [...]. Si je suis en état de détresse ils
arrivent. »
(Personne âgée, 72 ans, APF)
« Mon auxiliaire est partie en arrêt maladie.
Je suis restée tous les mercredis de la semaine pendant 3 semaines sans
intervention. Heureusement, j'ai ma fille qui habite à Pessac qui passe
souvent me voir. [...] J'ai des petits voisins très gentils aussi qui me
rendent des petits services. On va me chercher le courrier ou on me sort les
poubelles. »
(Personne âgée, 77 ans, ADHM)
« Mon fils me fait les courses quand les auxiliaires ne
viennent pas. »
(Personne âgée, 87 ans, CCAS Lormont)
Cependant, toutes les personnes âgées n'ont pas
la chance d'avoir une aide régulière de leur entourage familial.
Le chômage et la division du travail contribuent à
l'éloignement familial. Les enfants sont parfois dans l'obligation de
changer de région afin de trouver un emploi. Ces
phénomènes sont des facteurs qui accentuent l'isolement des
personnes âgées. Ainsi pour les deux personnes dépendantes
interrogées n'ayant pas la possibilité de recourir à des
aides de l'entourage, elles se retrouvent dans des situations plus que
préoccupantes en l'absence de leurs aides à domicile. Elles
essayent de mettre en place des stratégies de « commodités
» pour répondre à leurs besoins vitaux tout en prenant des
risques au sein de leur domicile.
30
Dans le premier cas, la dame est hémiplégique,
elle s'est retrouvée à multiples reprises sans auxiliaires de vie
sociale. Elle raconte :
« Je me débrouille toute seule. Je fais ce que
je peux. [...] Oui c'est très risqué pour moi. Quand
j'étends le linge je me lève du fauteuil pour mettre les couettes
sur la porte. Plusieurs fois j'ai cru j'allais me foutre par terre. Et
ça m'épuise, ça me tire dans les bras après je vous
dis pas. Mais bon, je vais pas laisser le linge mouillé dans la machine
! »
(Personne âgée, 70 ans, APF)
Dans le deuxième cas, la personne âgée a
subi plusieurs opérations (la hanche, le poignet, et la clavicule) lui
entrainant d'importantes douleurs articulaires. Elle vit avec son mari qui ne
peut plus marcher. Ainsi, en l'absence d'AVS, la femme témoigne :
« Enfin c'est difficile, ils (CCAS) ne m'ont pas
encore remis toutes mes heures. Apparemment, y'a des malades, des auxiliaires
de vie en congé,.... [...]PA : Oui soi-disant qu'elles (les auxiliaires
de vie) vont revenir. Cette semaine je ne les ai pas encore eues. . Ça
fait deux mois que le ménage n'a pas été fait ici à
fond. Fin vous voyez c'est moi qui est dû donner un petit coup de ballet
comme ça ce matin. Et puis je prends des plats tout prêts que je
mets au micro-onde.
IL : D'accord vous essayer de vous débrouillez
malgré tout ?
PA : Oui voilà, j'essaye avec mes douleurs.
»
(Personne âgée, 80 ans, CCAS Mérignac)
Par conséquent, lorsqu'une personne âgée
en perte d'autonomie vivant à domicile se retrouve isolée de
toutes aides, cela peut entraîner des risques majeurs d'accident et une
dégradation précipité de son état de santé.
Par ailleurs, il faut préciser que l'isolement des personnes
âgées est davantage constaté en zone rurale en raison d'une
désertification accrue des services d'accompagnement dans certains
départements. En effet, Adessadomicile et l'Union National de l'Aide et
des Services à Domicile (UNA) signalent que « l'offre
d'accompagnement est « inéquitable » selon les territoires
»33. Ce déficit de main d'oeuvre est
extrêmement préjudiciable pour les personnes
âgées.
33 « Crise des services à domicile », Le
figaro, 14 mars 2017.
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