PARTIE III : PÉNURIE DE SALARIÉES DANS
LE
SECTEUR DE L'AIDE A DOMICILE
A) Un recrutement à la va-vite
Le travail précaire et le manque de reconnaissance
professionnel des salariées rendent le secteur de l'aide à
domicile peu attractif. Les centres de formation ont des difficultés
à attirer les jeunes. Depuis 2002, le diplôme d'État
d'auxiliaire de vie sociale (DEAVS) est créé, il est accessible
dans plusieurs établissements de formation notamment dans les instituts
régionaux des travailleurs sociaux (IRTS). En 2016, ce diplôme est
remplacé par le diplôme d'Etat d'accompagnement éducatif et
social (DEAES). Ce changement a pour objectif de rassembler trois professions :
auxiliaire de vie sociale, aide médico-psychologique(AMP), et englober
la profession d'Auxiliaire de Vie Scolaire. Ce rassemblement de formations
permet aux titulaires de ce diplôme « d'attester des
compétences requises pour exercer des activités visant à
accompagner les personnes au quotidien, que ce soit à domicile, en
structure ou dans le milieu scolaire »24. Par
conséquent, selon l'économiste François-Xavier Devetter,
« les jeunes issus de ces formations initiales ou en alternance vont
plus volontiers vers les métiers de la petite enfance ou le travail en
structure d'hébergement »25. En effet, travailler
dans un établissement (Centre médico psychopédagogique
CMPP, crèche, école,...) permet d'avoir des horaires plus stables
et de limiter les déplacements. De plus, il faut préciser que les
auxiliaires de vie sociales diplômées dans le secteur de l'aide
à domicile ont un salaire légèrement supérieur aux
autres salariées. Ainsi, certains conseils départementaux
recommandent aux organismes d'aide à la personne de ne pas avoir plus de
30 % du personnel qualifiés (Trabut, 2014).
Dans cette perspective, il y a l'idée que
l'accompagnement des personnes âgées n'exige pas de formations
spécifiques. « On propose toujours à des personnes sans
qualification, fragiles, d'occuper cette même fonction, assimilée
alors à un «petit boulot» »26.Ce constat
alarmant a d'importantes répercussions dans les prestations
réalisées auprès des personnes dépendantes. Les
structures d'aides à domicile en recherche permanente et urgentes de
personnel, sont prêtes
24 «AMP, AVS DEAES : quelles différences ?
», ADRAR Formation, Web. 15 avril 2020.
25 Langlois Géraldine, « L'aide à
domicile en recherche d'attractivité », La Gazette Santé
Social, 29 janvier 2019.
26 Bonnet Magalie, « Le métier de
l'aide à domicile : travail invisible et professionnalisation »,
Nouvelle revue de psychosociologie, vol. 1, no. 1, 2006, pp. 73-85.
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à embaucher régulièrement des individus
sans aucune expérience et sans aucun intérêt particulier
pour travailler auprès d'un public âgé. Durant cette
enquête, 3 personnes âgées sur 5 ont témoigné
de situations dramatiques pendant leur prise en charge à domicile.
« Y'a des cas, on peut recevoir n'importe qui. L'APF
nous trouve n'importe qui. Avant de trouver des auxiliaires de vie
compétentes. Y'a eu des cas avant. [...] Elles sont gentilles, mais bon
il y en a qui arrivait ivres (rires). »
(Personne âgée, 72 ans, bénéficiaire
de l'APF)
« Ah oui ! Y'en a une qui a essayé de me taper
et elle mangeait dans mon frigo ! Je pense que l'association embauche n'importe
qui. Je me le demande bien. Mon mari l'a vue se servir ! »
(Personne âgée, 70 ans, bénéficiaire
de l'APF)
« Non c'est parce qu'elle ne rangeait pas bien les
affaires. Comme je n'étais pas très très bien. Je pouvais
pas surveiller. Alors, elles ne faisaient pas le ménage. Elles fumaient
et buvaient mes jus de fruit. Oui des choses comme ça. Jusqu'à
que mes enfants rouspettent. Et voilà, elles ne devaient plus venir
celles-là. Et là avec celles que j'ai tout va bien. Ca c'est bien
mis en place.[...] Elles arrivaient les casseroles étaient encore dans
levier. Ou tout un tas de choses comme ça. Le linge n'était pas
accroché. »
(Personne âgée, 77ans, bénéficiaire
de l'ADHM)
Outre ces situations d'une extrême gravité, le
manque de formation des aides à domiciles engendre de nombreux risques
dans la prise en charge des bénéficiaires. Avec le vieillissement
de la population et la mise en place de différentes allocations pour
l'autonomie, les missions des auxiliaires de vie sociales se sont
complexifiées. Les salariées peuvent avoir à s'occuper
d'un public avec de lourdes pathologies (Parkinson, Alzheimer...) et des
handicaps (paralysie) qui demandent des compétences
particulières. Aujourd'hui, la vision du secteur de l'aide à
domicile ne peut plus partir « du principe qu'il n'est nul besoin
d'avoir des compétences spécifiques pour exercer ces
activités »27. En effet, le manque de formation est
à l'origine de multiples accidents au travail. Les 3
auxiliaires de vie sociales interrogées sur 6 n'étant titulaires
d'aucun diplôme et ayant une légère expérience
auprès des personnes âgées avant d'exercer, ont chacune
raconté une situation où leur manque de savoir a eu un impact
dans leur travail.
27 André, Lætitia. «
Évolution des métiers du prendre soin à domicile : enjeux
professionnels ? enjeux de société ? »,
Gérontologie et société, vol. vol. 35 / 142, no.
3, 2012, pp. 157-167.
27
« AVS . · Elle était
tétraplégique. Donc la deuxième fois, elle veut uriner, je
lui mets son urinoir. Ce que je n'avais jamais mis avant. Et c'était pas
du tout facile à mettre. La dame ne m'expliquait pas du tout comment le
mettre. Elle été agacée. Pourtant je lui avais averti que
c'était la première fois que je faisais ça. Donc c'est son
compagnon qui a dû m'expliquer.
Question . · Ah oui donc dans cette situation
c'est ton manque d'expérience qui a fait une grosse histoire.
AVS . · Complètement, mon manque
d'expérience a fait que pour beaucoup d'actes à réaliser
j'étais perdue. »
(AVS, 26 ans, APF)
« Ah beh moi elle a failli tomber, en plus je me suis
fait mal au dos et tout. On m'a dit vous la levez et vous la tournez. Mais
comme j'ai pas été formé sûrement aux bons gestes et
aux bonnes techniques. J'ai d'importantes douleurs au dos à 22ans. C'est
fou. J'ai des douleurs aux dos toujours pendant les transferts. »
(AVS, 23 ans, ADHM)
« Oui oui, c'est arrivé. Il y a un mois, on
m'a contacté pour intervenir chez une personne qui était à
Pessac. C'est une personne qui est sourde, qui est tétraplégique.
Donc, il fallait la soulever. Et c'est un homme ! Un homme qui ne parle pas,
qui ne comprends pas ce que tu dis et en plus de ça... il y avait sa
mère qui était à côté de lui, sachant que
c'est un homme qui à la soixantaine. [...] Je leurs ai dit . ·
c'est pas possible ! C'est pas possible ! et en plus il fallait que je fasse
encore une fois la toilette au monsieur. En plus ça peut être
très dangereux très dangereux de soulever à moi toute
seule une personne de la cinquantaine, un monsieur, sans que je connaisse la
méthode appropriée. »
(AVS, 21 ans, APF)
Ainsi, ces témoignages montrent combien le manque de
formation a un impact négatif sur la qualité de l'accompagnement
de la personne dépendante. En effet, il engendre de nombreux risques
d'accident pour l'employée (épuisement professionnel, troubles
musculo-squelettiques) et pour l'usager (risque de chute). Le secteur de l'aide
à domicile est le secteur qui connaît un nombre impressionnant
d'arrêts maladie et de salariées qui partent en raison
d'incapacités permanentes de travail (Trabut, 2014). Le métier
est difficile, les organismes de l'aide à la personne sont en
pénurie de personnel et n'arrivent plus à répondre
à la demande du nombre de personnes dépendantes croissant.
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