C) « Un travail invisible »18
Le secteur de l'aide à domicile souffre d'un manque de
reconnaissance professionnelle permanent. 98% des salariées sont des
femmes19. La moyenne d'âge de celles employées par un
prestataire est de 43 ans.20 Leurs tâches sont bien souvent
qualifiées comme « ingrates », exercées
quasi-exclusivement par des femmes dans le cadre de l'espace domestique, les
résumant ainsi au seul rôle d'aide-ménagère (Bricka,
2017). En effet, sur les 6 auxiliaires de vie sociale interrogées, 4 se
plaignent de l'image négative de leur métier renvoyée
à l'unique rôle de femme d'entretien.
« Oui c'est plus le ménage, les gens ne voient
pas le côté ``je viens en aide'Ç c'est plus ``tu fais de la
bouffe et tu laves''. »
(AVS, 21 ans, APF)
« Mais comment ça se fait que tu veux faire ce
métier ? Il y a quand même mieux que du ménage !
»
(AVS, 24 ans, ADHAP)
« Ma grand-mère m'a dit : ``tu fais un sous
métier'' »
(AVS, 23 ans, ADHM)
« On me dit : `` Ah mais tu fais ça ?
Ça veut dire il faut que tu laves les gens ? En fait tu es comme une
aide-ménagère qui fait des extras ?'' »
(AVS, 26 ans, APF)
Cette considération péjorative est
renforcée par la limitation des temps d'intervention qui conduit les
aides à domicile à ne répondre qu'aux besoins vitaux des
personnes âgées en limitant leur rôle social. Ce constat
s'illustre également à travers la photo prise du cahier de
liaison durant la journée d'observation de l'auxiliaire de vie
embauchée au CCAS de Lormont.
18 - Bonnet Magalie, « Le métier de
l'aide à domicile : travail invisible et professionnalisation »,
Nouvelle revue de psychosociologie, vol. 1, no. 1, 2006, pp. 73-85.
19 Données issues du rapport de l'UNA (Union
Nationale de l'Aide,
des Soins et des Services aux Domiciles ) 2017 : «Aide
à domicile, des emplois pas que pour les femmes ! »
20 DARES - Rapport d'analyses : « Les
salariés des services à la personne : comment évoluent
leurs conditions de travail et d'emploi » aout 2018.
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L'analyse de ce tableau montre que l'intervention de
l'auxiliaire de vie sociale ne s'évalue que par des tâches
techniques : poussière, vaisselle, sols,... Dans cette perspective,
l'auxiliaire est considérée comme un robot ménager qui
doit cocher cette grille à la fin de chaque prestation. Pourtant, une
aide à domicile réalise bien plus que ces tâches
quadrillées ! Les auxiliaires de vie exercent un rôle social
très important dans le quotidien d'une personne dépendante. En
effet, elles développent de multiples compétences : elles
veillent à contribuer à la qualité de vie de la personne,
au développement ou au maintien de ses capacités à vivre
dans son domicile. Ainsi, elles permettent aux personnes âgées de
rester chez elles et de respecter leurs choix. De surcroît, elles luttent
contre le vieillissement solitaire. De nombreuses personnes âgées
sont victimes d'isolement. Le passage de l'aide à domicile est parfois
la seule visite dans la journée du bénéficiaire.
L'auxiliaire de vie sociale embauchée à l'ADHM (Aide à
Domicile du Haut Médoc) déclare : « Je me lève
tous les matins en me disant que j'ai plusieurs objectifs ! Surtout celui de
rendre les gens heureux ! Et surtout l'objectif de ne pas laisser seul des
gens, de ne pas les laisser sombrer dans la dépression ou la solitude !
». Par conséquent, rien qu'une discussion ou un sourire peut
changer le quotidien d'une personne dépendante. Il manque à ce
cahier de liaison toute une colonne nommée « relationnel ».
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Par ailleurs, l'invisibilité du travail des aides
à domicile est favorisée par leur environnement professionnel.
Elles cheminent seules de foyer en foyer cachées de la scène
publique. Ainsi, cet isolement professionnel conduit à l'absence de
mobilisation. Dans le secteur de l'aide à domicile trop peu est le
nombre de salariées syndiquées. Toutes les contraintes
liées à l'organisation du travail constituent des obstacles
à des actions de militantisme. En effet, faire grève laisserait
dans une grande détresse les personnes dépendantes et s'engager
dans un syndicat signifierait y accorder du temps, du temps qu'elles n'ont pas.
Il faut préciser que le plus souvent les salariées du secteur de
l'aide à domicile sont déjà des
femmes dans des situations fragiles économiquement et
socialement. « Pôle emploi ou les
Maisons de l'emploi continuent d'y orienter les
chômeuses peu qualifiées »21. 44 %
ne disposent
d'aucun diplôme et 14,5 % des aides à domiciles sont
nées à l'étranger22 (cette part est
surreprésentée pour les salariés du
secteur). Ce profil sociologique des aides à domiciles s'illustre
également à travers l'échantillon d'enquêtées
: 3 auxiliaires de vie sociale sur 6 ne sont titulaires d'aucun diplôme
et 1 AVS sur 6 est étrangère. Par conséquent, la
précarité de ces femmes joue un rôle important dans
l'invisibilité de leur métier.
Enfin, les droits des aides à domicile sont garantis
par la convention collective de la branche de l'aide, de l'accompagnement, des
soins et des services à domicile entrée en vigueur depuis le
1er janvier 2012. Cependant, les conditions de travail se
dégradant continuellement conduisent à négliger le respect
de certains de leurs droits. Par exemple, depuis mars 2020, le début du
confinement pour lutter contre la pandémie du Covid-19, de multiples
cris d'alarme se sont fait retentir dans les médias. Les aides à
domicile sont dans l'obligation de continuer le travail pour contribuer au
bien-être de la personne âgée, mais elles ne sont pas toutes
protégées contre les infections. Elles ont très peu de
masques et de gants. Elles passent de personne âgée en personne
âgée au risque de se faire contaminer ou de les contaminer. Les
aides à domiciles travaillent avec un public fragile et
vulnérable au même titre que le personnel soignant. Par
conséquent, elles se sentent encore une fois isolées et
considérées comme « la dernière roue de la
charrette »23.
21 Eychenne, Alexia. « Aide à domicile: la
face cachée d'un "eldorado" », L'Express, décembre
2013.
22 DARES - Rapport d'analyses : « Les
salariés des services à la personne : comment évoluent
leurs conditions de travail et d'emploi » aout 2018.
23 Jérôme Béatrice, « La
grande détresse des auxiliaires de vie face à
l'épidémie causée par le coronavirus », Le
Monde, 20 mars 2020.
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