B) Isolement professionnel
L'auxiliaire de vie sociale exerçant ses tâches
dans la sphère privée de chacun de ses différents
bénéficiaires, celle-ci se retrouve fortement isolée
professionnellement. En effet, elle effectue ses prestations de domicile en
domicile sans avoir de contacts réguliers avec ses collègues. Sur
les 6 AVS interrogées, aucune n'a le numéro de
téléphone de ses collègues. Pourtant, l'accompagnement
d'un usager se réalise souvent avec l'intervention de plusieurs
auxiliaires d'une même structure. Le cahier de liaison reste l'unique
support journalier pour laisser une trace écrite des tâches
réalisées et des éventuelles recommandations pour la
prochaine intervenante. Quant aux contacts avec les responsables des structures
tout au long de la semaine, 4 auxiliaires de vie sociale déplorent
qu'ils ne se limitent qu'à la communication d'information des
changements de planning.
« Fin c'est très courtois et professionnel,
ils (les chefs de secteurs) nous donnent les missions. [...] En
général ils demandent surtout aux personnes chez qui on
intervient comment ça s'est passé plutôt qu'aux
auxiliaires. On ne me demande pas à moi comment je le ressens.
»
(AVS, 24, ADHAP)
« Ce n'est pas très fréquent que l'on se
parle... Ils (les chefs de secteurs) m'appellent que lorsqu'ils ont des gens
à proposer et ça s'arrête là. »
(AVS, 21 ans, APF)
« J'ai souvent la directrice au
téléphone l'été parce qu'il y a beaucoup de
remplacements à faire. Mais on ne la voit pas. Et puis parfois on te
change le planning sans te téléphoner. On t'appelle pas pour
savoir si ça se passe bien. [...] Parce qu'ils (la direction) font comme
ils veulent. Nous on l'appelle « la folle » la directrice ! (rires)
[...] Elle n'est pas franche. »
(AVS, 54 ans, CCAS de Lormont)
« Je peux avoir un coup de téléphone de
l'asso, disons 5 à 6 fois par mois... En septembre j'ai eu 3 coups de
téléphone de l'association pour me proposer 3 personnes
différentes. C'est tout après tu fais ton travail. »
(AVS, 26 ans, APF)
Pour lutter contre cet isolement professionnel, les structures
mettent en place des réunions d'équipe. Ces dernières
peuvent se mettre en place, une fois par semaine comme au
20
CCAS de Lormont ou une fois par mois comme dans l'association
de l'aide à domicile du Haut Médoc. Les responsables des
différentes structures organisent la fréquence de ces
réunions. Sur les 5 structures qui emploient les AVS interrogées,
2 ont intégré la présence d'un psychologue dans les
réunions collectives. En effet, les auxiliaires de vie sociale sont
confrontées à des risques psycho-sociaux spécifiques :
« le turn-over y est très élevé: beaucoup de
femmes ne tiennent pas ! »16 assure Loïc Trabut,
chercheur à l'Ined et auteur d'une étude sur les aides à
domicile. Elles doivent faire face à la souffrance et à la mort
des personnes qu'elles accompagnent parfois durant des années.
L'accompagnement à domicile est avant tout une relation sociale entre
deux individus. C'est pourquoi des relations affectives peuvent naître
entre employée/bénéficiaire car ce sont des métiers
humains. Selon la psychologue clinicienne Maria Ouazzani17, la
difficulté dans la relation aidant/aidé est de trouver la
meilleure distance qui permet de préserver le lien humain, le plaisir et
la convivialité, tout en respectant l'individualité de chacun. De
plus, ces salariées qui côtoient la fin de vie, peuvent
éventuellement être renvoyées à des souvenirs ou des
expériences difficiles avec des proches. Ainsi, la possibilité de
s'exprimer en réunion sur son quotidien professionnel est une
nécessité.
Cependant, sur les 6 AVS interrogées, il n'y en a que 2
qui se rendent aux réunions de manière assidue. Les 4 autres
témoignent de leurs difficultés d'y participer en raison de leur
état physique et/ou de leurs obligations familiales. En effet, la
présence aux réunions collectives n'étant pas obligatoires
dans toutes les structures, les auxiliaires de vie sociale
préfèrent prendre du temps pour faire une pause dans leur semaine
très chargée.
« Je vais en réunion quand je ne suis pas trop
fatiguée. [...] Pour l'instant je n'ai assisté qu'à une
seule réunion, et je reconnais que je ne vais pas toutes les
réunions, car je profite de ces journées sans interventions pour
me reposer. »
(AVS, 26 ans, APF)
« A vrai dire je n'y vais pas car je ne peux pas, le
travail est assez fatiguant les matinées ou après-midi que j'ai
de libre j'en profite pour mes loisirs. Et puis voilà tout le monde
n'est pas forcément disponible aussi pour la réunion. Donc c'est
un peu compliqué. »
(AVS, 24 ans, ADHAP)
16 Eychenne, Alexia. « Aide à domicile: la
face cachée d'un "eldorado" », L'Express, décembre
2013.
17 Ouazzani Maria, « Accompagner les aidants :
Interview de Mme Maria OUAZZANI, Psychologue Clinicienne, responsable du
Pôle d'Accompagnement Psychologique et Social de PSYA »,
Capgeris, 8 avril 2013.
21
« Mais sinon on a quand même des
réunions une fois par mois mais on parle des vacances ou de personnes
aux pathologies très dures. Moi j'ai assisté aux réunions
de novembre et décembre. Mais je n'y vais pas à toutes, je
profite dès que j'ai du temps libre pour moi et mon copain.
»
(AVS, 23 ans, ADHM)
« Oui maintenant c'est régulier, on a des
réunions tous les un mois et demi. [...] Oui tout à fait, on
parle de nos difficultés, des nouvelles personnes. On a des personnes
très difficiles, qui ont des troubles mentaux donc si on ne peut pas
discuter ça devient vite ingérable. J'essaye d'assister à
toutes les réunions dans la mesure du possible. Il y'a des fois
où je préfère garder mon petit-fils.»
(AVS, 54 ans, CCAS de Lormont)
Par conséquent, face aux difficultés d'assister
aux réunions, une auxiliaire de vie sociale a fait le choix de consulter
de son côté un psychologue pour établir des horaires de
rendez-vous qui lui conviennent. Les 3 autres AVS ont fait part d'une
étonnante révélation : elles ont fait le choix de confier
certaines de leurs difficultés aux personnes âgées.
« Elles sont géniales certaines personnes
âgée, certaines elles veulent faire le psy. Ça fait du bien
de discuter de nos problèmes aussi avec elles. »
(AVS, 23 ans, ADHM)
« Mais même je me confie auprès d'autres
personnes âgées avec qui je m'entends super bien. »
(AVS, 26 ans, APF)
« Quand j'en ai râle le bol du boulot, je
râle au travail ça me fait du bien. Du coup avec une petite mamie
on râle ensemble tous les mercredis (rires) »
(AVS, 24 ans, ADHAP)
Dans cette perspective, la relation d'aidant/aidé se
transforme en une relation d'aide mutuelle. La personne âgée bien
que dépendante joue un rôle d'écoute et participe au
soutien moral de son auxiliaire de vie sociale.
22
|