A) Risques physiques
L'aide à domicile est un secteur d'activité
où le risque professionnel ne cesse de croître comparé aux
secteurs traditionnellement accidentogènes comme l'industrie ou la
construction. Le rythme de travail d'une auxiliaire de vie social
caractérisé par l'incertitude et la précipitation peut
engendrer des souffrances physiques. Le morcellement et les horaires atypiques
du planning sont des facteurs de pénibilité du travail. En effet,
les nombreux changements de lieux d'activité et de
bénéficiaires multiplient les risques professionnels : troubles
musculo-squelettiques, accident de la route, les risques d'infection,... De
surcroît, le vieillissement de la population conduisant à
l'accroissement du niveau de dépendance des personnes âgées
renforce les difficultés d'intervention. Par ailleurs, les AVS doivent
faire face à la pénibilité des gestes
répétitifs à effectuer. Cette dégradation des
conditions de travail du secteur de l'aide à la personne se constate
dans les données de la caisse nationale de l'assurance-maladie : le taux
de fréquence et l'indice de gravité des accidents du travail y
sont presque deux fois plus élevés que dans l'ensemble des
secteurs d'activité : respectivement de 45 contre 22 et de 26 contre 15
(Pinville, Poletti, 2014). En effet, « Les salariés de
prestataires connaissent plus souvent des problèmes de santé ou
des situations de handicap ou d'invalidité, et ce notamment chez les
plus jeunes. »15.Ce constat s'est reflété
durant les entretiens réalisés auprès des 6 auxiliaires de
vie sociale, 4 ressentent une importante fatigue et des douleurs physiques.
« Alors là, je suis K.O. quand je rentre chez
moi. Je préfère rester à la maison et dormir. [...]
Après tu as plus envie de faire quoi que ce soit, en fait ça te
plombe. Je préfère rentrer à la maison et dormir. Courir
à droite, à gauche la journée, c'est épuisant !
»
(AVS, 21 ans, APF)
« J'ai d'importantes douleurs au dos à 23 ans.
Il y a des jours, j'ai des cernes, et je suis très lente. »
(AVS, 23 ans, ADHM)
15 DARES - Rapport d'analyses : « Les
salariés des services à la personne : comment évoluent
leurs conditions de travail et d'emploi » aout 2018.
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« En fait quand je sors du boulot je suis tellement
fatiguée... enfin le week-end j'arrive à faire quelques trucs :
cinéma,... et le mercredi j'arrive à garder mon petit-fils.
Après je fais attention dans mes activités, je me suis fait un
tour de rein la semaine dernière chez un bénéficiaire.
»
(AVS, 54 ans, ADOMI)
« Parce que tu sais comment on est dans le groupe, on
est toujours prise par le travail puis arrivées à la maison...
Des fois je me dis, quand je rentre j'ai même pas envie d'ouvrir internet
ou la télé tellement je suis fatiguée. »
(AVS, 54 ans, CCAS de Lormont)
Les souffrances physiques des auxiliaires de vie sociale
accumulées ont des répercussions dans le travail qu'elles
accomplissent auprès des personnes âgées. Les 5 personnes
âgées interrogées ont constaté de multiples fois une
fatigue importante chez leurs aides à domicile.
«Mais quand elles viennent, elles sont
fatiguées oui. Y'à des moments quand elles commencent à 8h
du matin et quand elles finissent à 7h ou 8h le soir... Elles n'ont
même pas le temps de manger entre midi et deux. On leurs remet toujours
quelqu'un, elles n'ont pas leurs 45 minutes obligatoires. Elles sont un peu
épuisées. [...] elles essayent de tout faire. C'est moi qui leurs
dit de se reposer. Mais bon certaines ne veulent pas, elles sont vaillantes.
Mais bon, je leurs dis que pour certaines tâches ce n'est pas
pressé. Qu'elles peuvent le faire demain. »
(Personne âgée, 80 ans,
bénéficiaire du CCAS de Mérignac) « Question : Et
vous avez déjà vu vos auxiliaires très fatiguées
quand elles arrivent chez vous ? Usager : Ah oui.
Question : Et vous réagissez comment ?
Usager : Elles se reposent un peu, je leurs dit de manger
avec moi. [...]Tant qu'elles sont là, je les laisse. Elles m'aident puis
je leurs dit de se reposer [...] Oui, j'avais une dame avant, elle se
lève à 6h, elle court partout dans la journée. Et du coup
arrivée chez moi, elle était souvent fatiguée. Elle
faisait parfois une heure de trajet pour aller chez une personne que pour 30
min de travail. »
(Personne âgée, 77ans, bénéficiaire
de l'ADHM)
« Question : Et du coup quand vous voyez ont qu'une
auxiliaire de vie très fatiguée ou qui a mal aux quelque
part...
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Usager : Ah beh elle fait les choses plus lentement, elle
fait ce qu'elle peut. Question : Et cela ne vous dérange pas ?
Usager : Pas du tout, je leur dis vous me faites le plus
difficile que je ne peux pas faire. Le plus difficile pour moi c'est faire le
lit de mon mari parce qu'il a un lit médicalisé, on ne peut pas
le tirer. Le mien, il est difficile, je ne peux pas le faire. Mais je fais le
tour, je le fais petit à petit. Je passe 15 minutes, et puis si
ça ne va pas je m'assoie. Et puis je reprends après. Je fais ce
que je peux pour les soulager si elle ne peut pas le faire. »
(Personne âgée, 70 ans, bénéficiaire
de l'APF)
Ces trois extraits d'entretiens montrent une forme empathie de
la part des personnes âgées face à l'état
d'épuisement de leurs AVS. La personne dépendante dans une
situation déjà fragile essaye malgré tout de soulager le
travail de son aide à domicile. Cependant, cette fatigue
génératrice de lenteur et d'omission de certains actes peut
conduire aussi à des conflits relationnels entre les
bénéficiaires et les auxiliaires.
« Ah non. Et je ne suis pas du tout satisfaite de
l'auxiliaire de vie que j'ai aujourd'hui. En plus, après 1h00 de
ménage, elle s'assoit, elle me dit qu'elle est très
fatiguée et elle attend que l'heure tourne. Comment voulez-vous que je
fasse moi après ? Mon mari il ne peut pas m'aider, je dois me
débrouiller toute seule le reste de la journée. »
(Personne âgée, 87 ans, bénéficiaire
du CCAS de Lormont)
« Elle entend pas son réveil qu'elle me dit.
Bon de temps en temps, on accepte. Mais à force vous comprenez que je ne
cache pas mon mécontentement ! Elle arrive souvent en retard, et puis
bon, elle est pas très active le matin. Y'a plein de choses à
faire chez moi que je ne peux plus faire. »
(Personne âgée, 72 ans, bénéficiaire
de l'APF)
Ces tensions conflictuelles qui peuvent émerger dans
les relations au travail vont venir ajouter de la pénibilité
psychique à la pénibilité physique des salariées
comme des personnes âgées. Par conséquent, les contraintes
liées à l'organisation du travail se répercutent sur la
qualité de l'accompagnement social à réaliser
auprès des personnes dépendantes.
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