CONCLUSION
Le processus de rationalisation économique du secteur
de l'aide à domicile provoque une dégradation des conditions de
travail des aides à domicile. En effet, les salariées devant
répondre aux obligations des structures qui les emploient et aux besoins
des personnes âgées croissants « vivent un «conflit
de norme» douloureux entre travail réel et travail prescrit.
»34. Ces pressions contradictoires entrainent une
détérioration de l'état de santé des aides à
domiciles. Beaucoup de salariées n'arrivent plus à supporter
moralement et physiquement cette situation. Ainsi, sur les 6 auxiliaires de vie
sociale interrogées, 3 envisagent de changer de métier dans les
prochaines années à venir.
Par ailleurs, le manque de reconnaissance professionnelle de
ces salariées engendre une souffrance supplémentaire. Le fait de
recruter des femmes en situation de fragilité économique ou
sociale, qui sont le plus souvent sans aucun diplôme, renforce cette
image de travail refuge accessible à tous (Bonnet, 2006). Il y a
toujours cette idée qu'il suffit de savoir faire le ménage chez
soi pour le réaliser chez les autres. Or, l'accompagnement à
domicile des personnes âgées aux pathologies et/ou handicaps
parfois lourds et complexes ne peut plus se comprendre comme l'accomplissement
de vulgaires tâches domestiques.
Par conséquent, les mauvaises dispositions que
subissent les aides à domicile se répercutent sur la
qualité de la prise en charge de nos aînés. L'organisation
du travail du secteur de l'aide à domicile amène à
confronter deux publics en situation de fragilité. Tout au long de cette
enquête, nous avons pu relever dans plusieurs situations une forme de
solidarité qui se crée entre les personnes âgées et
les aides à domiciles pour faire face aux difficultés
organisationnelles. Cependant, le manque de personnel et le manque de formation
des auxiliaires de vie sociale peuvent engendrer également de nombreuses
relations conflictuelles. En effet, les personnes dépendantes, en plus
de leurs souffrances liées à leur(s) pathologie(s) ou
handicap(s), sont les premières touchées par les
évolutions structurelles, professionnelles et organisationnelles du
secteur de l'aide à la personne. Elles payent tous les mois des heures
d'interventions qui sont de plus en plus écourtées, rapides et
parfois même annulées. Par conséquent, la mauvaise
qualité de l'accompagnement social des personnes âgées
à domicile
34 Langlois Géraldine, « L'aide à
domicile en recherche d'attractivité », La Gazette Santé
Social, 29 janvier 2019.
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peut jusqu'à même conduire à des cas
d'isolement laissant ainsi les bénéficiaires dans des situations
sanitaires préoccupantes.
Pourtant depuis une dizaine d'années, une hausse de
rapports alarmants sur la dépendance en France pointent ces multiples
problématiques. Des réformes ont été
appliquées, des lois pour l'autonomie ont été
votées et les aides attribuées aux personnes âgées
ont été augmentées. Cependant ces mesures, avec le
vieillissement de la population à grande vitesse, ne sont pas parvenues
à combler les lacunes du secteur de l'aide à la personne. Les
besoins liés à la dépendance explosent et les organismes
d'accompagnement à domicile « alertent sur la situation du
secteur pris entre le recul des financements publics, sa privatisation et sa
précarisation ». 35 En effet, un des plus grands
risques pour les années à venir est d'assister à une
privatisation globale du secteur de l'aide à domicile. En 2018,
déjà plus de 3 organismes prestataires sur 4 sont des entreprises
privées (micro-entrepreneurs inclus)36. Ce
phénomène a pour conséquence d'accroître les
inégalités sociales entre les personnes âgées, car
les prix des heures d'interventions sont plus onéreux que ceux des
associations et organismes publics. De plus, privatiser signifie faire de la
dépendance un véritable marché. C'est pourquoi, une
concurrence se dessine entre les entreprises privées amenant avec elle
des horaires de travail toujours plus flexibles pour « plaire aux clients
». Dans cette logique managériale, les conditions de travail des
aides à domiciles sont encore plus détériorées.
En dépit de ces constats, plusieurs pistes semblent
être envisagées par le gouvernement pour améliorer
l'accompagnement de nos ainés. La première est celle d'accorder
davantage de droits aux aidants familiaux. La seconde est le projet de loi
"Grand âge et autonomie" annoncé par la ministre de la
Santé en janvier 2020. Celui-ci sera présenté par le
gouvernement durant l'été 2020. Il est très fortement
attendu par les acteurs du secteur social et médico-social. Ce projet de
loi aurait pour but d'instaurer une nouvelle organisation du travail afin de
rendre plus attractifs les métiers du grand âge. De surcroit, il
permettrait la diminution du reste à charge pour les personnes
âgées les plus modestes et encouragerait la création d'un
cinquième risque de protection sociale pour financer la
dépendance. Selon l'ancienne ministre de la santé Agnès
Buzyn, « L'heure est venue de la grande prise de conscience
»37. En effet, pour le sociologue Loïc Trabut et pour
l'économiste François-Xavier Devetter au sujet du secteur de
35 Ducatteau Sylvie, « Les associations d'aide
à domicile évincées de la `sylver économie»
», L'Humanité, 6 juin 2017.
36 DARES - Rapport d'analyses : « Les
salariés des services à la personne : comment évoluent
leurs conditions de travail et d'emploi », aout 2018, numéro
038.
37 Dumas Primbault, Martin. Bayle-Iniguez, Anne.
« Dépendance, bientôt le cinquième risque? Les pistes
de réforme sur la table, une loi à l'automne ». Le
quotidien du médecin, 28 mars 2019.
l'accompagnement des personnes âgées à
domicile : « une révolution culturelle et organisationnelle est
indispensable »38.
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38 Langlois Géraldine, « L'aide
à domicile en recherche d'attractivité », La Gazette
Santé Social, 29 janvier 2019.
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