TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 4
AXE METHODOLOGIQUE 6
PARTIE I : LE TRAVAIL PRECAIRE DES AUXILIAIRES DE VIE SOCIALE
10
A) Le salaire 10
B) Le planning 13
PARTIE II : SANTE AU TRAVAIL 16
A) Risques physiques 16
B) Isolement professionnel 19
C) « Un travail invisible » 22 PARTIE III : PENURIE
DE SALARIEES DANS LE SECTEUR DE L'AIDE A DOMICILE
25
A) Un recrutement à la va-vite 25
B) Stratégies mises en place par les personnes
dépendantes pour pallier à l'insuffisance des
services à domicile 28
PARTIE IV : LE RECIT D'UNE JOURNEE ORDINAIRE 31
CONCLUSION 40
BIBLIOGRAPHIE 43
ANNEXES 46
4
INTRODUCTION
Dans notre société, le vieillissement de la
population représente plusieurs enjeux. Selon les chiffres du rapport du
ministère des Solidarités et de la Santé publié en
2018, les personnes âgées de 60 ans et plus étaient au
nombre de 15 millions. Elles seront 20 millions en 2030 et près de 24
millions en 2060. De surcroît, l'INSEE projette un allongement continu de
l'espérance de vie d'ici à 2060. Dans cette perspective, cette
évolution démographique soulève la question de la prise en
charge de nos aînés en situation de perte d'autonomie car
l'accroissement du nombre des plus âgés s'accompagne du nombre de
personnes dépendantes. Donc le vieillissement de la population implique
la mise en place de moyens financiers et sociaux par les gouvernements
destinés aux personnes âgées. Ces dernières
souhaitant vivre le plus longtemps « chez elles », dans leur propre
environnement confortable et rassurant, rendent le développement du
secteur d'activité de l'aide à domicile indispensable. En effet,
ce champ d'activité, « depuis le début des années
2000, a été fortement investi par les pouvoirs publics, porteur
de grands espoirs en matière de création d'emplois
»1. On assiste à des efforts considérables
pour organiser et professionnaliser le secteur de l'aide à domicile. En
2002, le diplôme d'État d'auxiliaire de vie sociale (DEAVS) est
enfin créé, il est accessible dans plusieurs
établissements de formation notamment dans les instituts
régionaux des travailleurs sociaux (IRTS). Par ailleurs, dans cette
même année, la création de l'Allocation
Personnalisée d'Autonomie (APA) a permis à un plus grand nombre
de personnes âgées de payer (en totalité ou en partie) les
dépenses nécessaires pour se maintenir à domicile. Cette
allocation versée par les conseils départementaux pour prendre en
charge une partie des frais du soutien à domicile a rendu possible le
développement des emplois de services à la personne
âgée. De surcroît, la loi relative à l'Adaptation de
la Société au Vieillissement adoptée le 14 décembre
2015, a permis une revalorisation des aides allouées aux personnes
âgées avec une promesse d'une meilleure coordination des
différents acteurs dans le secteur de l'aide à domicile. En 2018,
88.4 millions d'euros est le montant total des crédits versés par
la Caisse Nationale de Solidarité et de l'Autonomie pour la
modernisation et la professionnalisation de l'aide à domicile,
l'accompagnement des aidants et la formation des professionnels des
établissements et services médico-sociaux.
1 André, Lætitia. «
Évolution des métiers du prendre soin à domicile : enjeux
professionnels ? Enjeux de société? »,
Gérontologie et société, vol. vol. 35 / 142, no.
3, 2012, pp. 157-167.
5
Cependant, l'organisation du travail à domicile,
souffre toujours d'un manque budgétaire grandissant et d'une
pénurie de salariées2 croissante. Les métiers
de l'aide à domicile désignent des personnes salariées,
identifiées notamment sous les appellations d'aide à domicile,
d'auxiliaire de vie sociale, d'assistante de vie, d'auxiliaire familiale. Elles
ont pour mission d'aider à accomplir les tâches et les
activités de la vie quotidienne afin de permettre le maintien à
domicile des personnes dépendantes. L'objectif est de préserver
l'autonomie de la personne en difficulté. De plus, les aides à
domicile soutiennent moralement et socialement la personne dépendante
dans son environnement. Elles sont embauchées le plus souvent par des
associations de service d'aide à la personne. « Elles
interviennent au domicile des personnes âgées pour des salaires
dépassant rarement les 900 euros.»3. Ces minces
revenus s'expliquent par un temps partiel imposé. Pourtant, elles sont
mobilisées toute la semaine, parfois même les weekends car leurs
heures sont généralement éparpillées. Ces
« travailleuses de l'ombre »4 qui oeuvrent pour
préserver le bien-être de nos ainés souffrent
également d'un manque de reconnaissance dans leurs pratiques
professionnelles, bien trop souvent considérées comme l'extension
du travail des femmes dans les tâches domestiques. C'est à partir
de ces multiples raisons que ce secteur d'activité peine à former
et à embaucher.
Par conséquent, l'organisation du travail à
domicile a conduit les salariées dans une situation aussi fragile que
celle des personnes dont elles s'occupent. De plus, la souffrance au travail et
le manque de formation des salariées se répercutent dans la
qualité de leurs interventions et dans les relations qu'elles
entretiennent avec les personnes âgées. Ces dernières
étant les premières touchées par les mauvaises
dispositions que subissent leurs aides à domicile. Ainsi, cette
enquête a pour but de soulever un paradoxe qui pourrait compromettre
l'avenir du secteur d'activité de l'aide aux personnes
âgées à domicile : d'un côté, nous avons un
besoin croissant d'aides à domicile pour permettre à nos
ainés de bénéficier d'un accompagnement social de
qualité, et de l'autre nous avons un secteur soumis à des
obligations budgétaires qui restent en opposition avec
l'amélioration des conditions de travail de ses salariées.
2 Les aides à domicile concernent des hommes
et des femmes, mais j'ai décidé d'utiliser le genre
féminin pour garder la disproportion importante des femmes dans ce
secteur.
3 Chaignon Alexandra, « Aides à domicile,
un quotidien et des salaires en miettes », Humanité, 27 janvier
2014.
4 Bonnet Magalie, « Le métier de l'aide
à domicile : travail invisible et professionnalisation »,
Nouvelle revue de psychosociologie, vol. 1, no. 1, 2006, pp. 73-85.
6
AXE MÉTHODOLOGIQUE
A partir d'octobre 2019, j'ai entamé mes premiers mois
de recherche dans la mobilisation de lectures autour de la crise du secteur de
l'aide à domicile et des ouvrages en gérontologie sur le maintien
à domicile des personnes âgées. Ces supports m'ont permis
d'acquérir une meilleure connaissance des différents enjeux du
vieillissement démographique en France et de construire mes
hypothèses. De plus, grâce à la collecte de rapports
statistiques tels que celui de la Caisse Nationale de Solidarité pour
l'Autonomie5 ou celui de la DARES6, j'ai pu recueillir
d'importantes données chiffrées permettant de mettre en
lumière des inadéquations entre la hausse des besoins des
personnes âgées et le manque de moyens structurels,
organisationnels et professionnels du secteur d'activité de l'aide
à domicile.
Par la suite, dans la période de décembre 2019
à mars 2020, j'ai réalisé 6 entretiens semi-directifs
auprès d'auxiliaires de vie sociale et 5 autres auprès de
personnes âgées bénéficiaires des services de l'aide
à domicile. L'essentiel des personnes interrogées résident
ou travaillent dans la métropole bordelaise. J'ai
privilégié le choix de la méthode de l'entretien
semi-directif, car celle-ci m'a permise de préparer au préalable
les différents thèmes que je souhaitais aborder tout en
m'accordant une plus grande liberté de parole. Pour la
réalisation de chacun de ces entretiens, j'ai créé deux
guides distincts pour qu'ils puissent répondre au mieux à mes
interrogations : un pour les auxiliaires de vie et un pour les usagers.
J'ai fait le choix d'interroger les salariées
embauchées sous l'appellation d'« auxiliaire de vie sociale »
(AVS) car cette distinction m'a permis de mieux établir des comparaisons
entre celles qui exercent ce métier non diplômées de celles
qui sont titulaires du DEAVS. Les auxiliaires de vie sociales que j'ai
interrogées sont employées par un service public territorial (2
sur 6), par une association à but non lucratif (3 sur 6) ou par une
entreprise privée (1 sur 6). Ces femmes sont âgées de 21
ans à 54 ans : 4 ont la vingtaine et 2 ont plus de 50 ans. Le choix de
me cibler davantage sur des salariées jeunes était
réfléchi. En effet, un des objectifs de mon enquête est
d'analyser les perspectives d'avenir à savoir si ce métier peut
être envisageable toute une vie. Chacune d'elles a témoigné
de ses conditions de travail, de ses relations avec ses responsables et ses
bénéficiaires. Au fil des entretiens, j'ai mieux cerné les
différentes
5 Rapport de la CNSA (Caisse Nationale de
Solidarité pour l'Autonomie) : « Les chiffres clés de l'aide
à l'autonomie 2019 »
6 DARES - Rapport d'analyses : « Les
salariés des services à la personne : comment évoluent
leurs conditions de travail et d'emploi », aout 2018, numéro
038.
7
problématiques auxquelles les enquêtées
faisaient face. Par conséquent, cela m'a permis de poser à chaque
nouvel entrevus davantage de questions dans le but d'approfondir et
éclaircir certains sujets. Les auxiliaires de vie étaient ravies
de pouvoir m'aider dans mon étude et enthousiastes à
l'idée de pouvoir parler de leur métier. Afin de les
déranger le moins possible, je me suis déplacée le plus
souvent dans leur domicile après qu'elles aient terminé leur
journée de travail. Néanmoins, sur les six entretiens, j'ai
été dans l'obligation d'en réaliser deux par
téléphone car les auxiliaires de vie concernées n'avaient
pas beaucoup de temps à m'accorder au regard de leur planning
très chargé et de leurs obligations familiales. Cependant, ces
deux entretiens restent très riches en informations car je n'ai pas
hésité à prolonger les appels.
Concernant les personnes âgées, les entretiens se
sont tous déroulés dans leur domicile respectif. J'ai obtenu
leurs contacts grâce aux auxiliaires de vie sociale mais aussi
grâce à des infirmiers libéraux exerçant leurs
activités dans mon quartier. Ils m'ont orientée vers des
personnes ayant conservé leurs facultés mentales.
Néanmoins, 2 personnes âgées sur 5 avaient leurs
capacités cognitives légèrement réduites. Par
conséquent, j'ai adapté ma manière de communiquer,
c'est-à-dire que je n'ai pas hésité à hausser la
voix, à articuler davantage et à prendre le temps de parler. De
plus, j'ai répété plusieurs fois les mêmes questions
durant les entretiens pour une meilleure communication. Les personnes
âgées que j'ai interrogées, reçoivent l'aide d'une
ou plusieurs aides à domicile chaque semaine. Cette population
d'enquêtés se compose de 4 femmes et un homme avec une moyenne
d'âge de 77.2 ans. 3 personnes vivent seules et 2 en couples. J'ai
beaucoup insisté pour que les entretiens s'effectuent sans la
présence d'une auxiliaire de vie dans le domicile afin que la personne
âgée ne soit pas gênée de discuter des
problèmes qu'elle rencontre avec différents organismes de service
à la personne et sur la manière dont s'établit sa prise en
charge. En effet, la plus grande difficulté était de trouver un
créneau horaire pour convenir d'un rendez-vous, car les personnes
dépendantes vivant à domicile reçoivent l'aide de nombreux
professionnels durant une journée : infirmier,
kinésithérapeute, auxiliaire, médecin,... J'ai
malheureusement été contrainte d'écourter un entretien en
raison de la venue d'infirmières. Cependant, au-delà de ces
difficultés, les personnes âgées m'ont toutes reçue
chez elles avec beaucoup de bienveillance et de convivialité.
De surcroît, le jeudi 12 mars, j'ai mené des
observations dans le cadre d'une journée de travail ordinaire d'une
auxiliaire de vie sociale dans les différents domiciles de personnes
âgées. L'auxiliaire de vie a souhaité garder l'anonymat,
elle est employée au Centre Communal de l'Action Sociale (CCAS) de
Lormont. Elle a 50 ans et exerce ce métier depuis 14 ans. Pour
8
entreprendre cette journée d'observation, les
démarches étaient très complexes. Le CCAS étant un
service territorial qui dépend donc de la mairie, j'ai dû adresser
ma demande d'accompagnement par courrier directement au maire de la ville. De
ce fait, j'ai réussi à obtenir une réponse positive
très tardivement en passant par l'intermédiaire d'une multitude
de services. Concernant mon choix de mener des observations directes, celui-ci
s'explique premièrement par une volonté d'avoir accès
à ce qui est oublié ou caché durant mes entretiens et
deuxièmement, de retracer en temps réel l'enchaînement des
actions et des interactions dans l'accompagnement social des personnes
âgées à domicile (Chauvin et Jounin, 2012). En effet,
« l'observation directe est aussi le seul moyen d'accéder
à certaines pratiques : lorsque celles-ci ne viennent pas à la
conscience des acteurs, sont trop difficiles à verbaliser ou au
contraire, font l'objet de discours pré-construits visant au
contrôle de la représentation de soi, voire lorsque ceux-ci ont le
souci de dissimuler certaines pratiques. »7. Pour
entreprendre cette journée, j'ai choisi de ne pas masquer mon
identité d'étudiant-chercheur auprès des personnes
âgées car j'entrais déjà par surprise dans leur
intimité. Par conséquent, les risques de modifier leurs
comportements ou de dissimuler certaines choses face à ma
présence étaient limités. Concernant l'attitude
l'auxiliaire de vie sociale, j'avais bien conscience que ces risques seraient
davantage présents. C'est pourquoi, j'ai décidé avec son
accord de l'accompagner dans sa journée la plus longue de la semaine :
de 8h à 20h. Plus ma durée d'observation était longue,
moins le risque de contrôler sa propre image professionnelle était
important. De plus, pour mener à bien ces observations, je me suis munie
de plusieurs outils de terrain : un cahier de bord et un dictaphone. Le journal
de bord m'a permis d'indiquer les heures de mes différentes
séances d'observations et de collecter des données : mes
premières impressions, des schémas, des paroles,... Quant au
dictaphone, cet instrument d'enquête m'a permis d'enregistrer de longs
échanges entre l'auxiliaire et le bénéficiaire. En clair,
ces outils m'ont permis d'inscrire mon étude dans la durée.
Enfin, dès fin mars 2020, je me suis penchée
véritablement sur l'analyse de mes matériaux
récoltés tout au long de ces derniers mois, qualitatifs
(entretiens, observations,..) comme quantitatifs (rapports statistiques). Pour
le traitement de mes données qualitatives, j'ai conçu deux
grilles d'analyse pluridimensionnelles: une pour la lecture des entretiens
effectués auprès des auxiliaires de vie sociale et une pour les
personnes âgées. Elles m'ont permis de coder mes données,
en faisant des regroupements thématiques entre mes différents
entretiens.
7 Arborio Anne-Marie. « L'observation directe
en sociologie : quelques réflexions méthodologiques à
propos de travaux de recherches sur le terrain hospitalier »,
Recherche en soins infirmiers, vol. 90, no. 3, 2007, pp. 26-34.
L'objectif était de comparer les différences et
les similitudes des propos recueillis dans le but d'étayer mes
hypothèses. En effet, « la sociologie comparée n'est pas
une branche particulière de la sociologie ; c'est la sociologie
même, en tant qu'elle cesse d'être purement descriptive et aspire
à rendre compte des faits »8.
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8 Durkheim Emile, Les règles de la
méthode sociologique, Paris, PUF, [1895], 1986, p.137.
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