En Europe, la traçabilité des produits de la mer permet-elle de contribuer à lutter contre les pêches illicites?par Bruno MORIN Université de Nantes - Master en droit des activités maritimes et océaniques 2015 |
3 - les données d'origine d'un produit sont-elles suffisantes ?L'esprit de l'ensemble des textes réglementaires ayant comme objet la lutte contre les pêches illicites est axé sur l'échange d'informations en États membres. Le but étant de suivre le plus efficacement possible les flux de produits de la mer circulant sur le territoire de l'Union Européenne. Le point névralgique du système mis en place est basé sur l'allotissement des produits débarqués ou importés. Cette notion de lot est la clé de voûte de l'ensemble du système permettant de certifier l'origine d'un produit. En effet, l'ensemble des produits débarqués ou importés doivent être identifiés afin de pouvoir s'assurer que l'origine soit légale, que ces produits proviennent d'un pays tiers ou d'un État membre. Allotir des produits entrant et circulant sur le sol de l'Union Européenne permet de posséder une clé numérique d'identification afin de permettre de remonter jusqu'à l'origine de ces produits. La notion de lot découle donc de la certification d'une capture, que ce soit par l'importation ou pour les produits issus des pêcheries des États membres. 55 : Principe, appelé législature ordinaire, mis en place par le traité de Lisbonne. - Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne article 288 et suivants. - source : http://europa.eu La traçabilité des produits de la mer permet-elle de lutter contre les pêches INN ? Master 2 DSAMO - 2015 Page : 30 Le marché étant organisé à l'échelle européenne, un règlement spécifique d'organisation commune a été pris en 1999 puis a été révisé en 2013 pour être en adéquation avec la nouvelle politique commune de la pêche. Ce dernier règlement, portant organisation commune des marchés (OCM)56 dans le secteur des produits de la pêche, a pour objet d'harmoniser le marché européen afin d'éviter toute concurrence déloyale, tout en offrant une sécurité alimentaire et une information complète du consommateur concernant les produits mis sur le marché. La principale difficulté que rencontre le système de lutte contre la mise sur le marché de produits d'origine INN étant la possibilité de remonter jusqu'à l'origine d'un lot, le règlement OCM impose des normes d'étiquetage des lots tout au long de la chaîne commerciale. En effet, que le produit soit issu d'une importation, d'un débarquement d'un navire d'un État tiers ou d'un État membre, le règlement OCM impose des normes d'étiquetage pour l'ensemble des produits afin d'identifier l'origine de ceux-ci, notamment, la dénomination commerciale, le mode de production, la zone de capture et la congélation éventuelle. Ces informations minimales, à destination du consommateur, sont complétés soit par une identification de lot pour les produits issus des pêcheries européennes, soit du certificat de capture pour les produits en provenance d'un État tiers ou d'un navire battant pavillon d'un État tiers. Rechercher l'origine d'un lot issu d'une pêcherie européenne est, normalement, possible car les règles issues des règlements « contrôle » et OCM permettent aux inspecteurs, non seulement d'avoir accès à des données d'identification du lot, mais également de pouvoir prendre des renseignements nécessaires à leur inspection auprès de l'État membre où le lot a été mis pour la première fois sur la marché. En effet, chaque État membre dispose d'un bureau unique, prévu par l'article 5 du règlement 1224/2009, qui est le point d'entrée en ce qui concerne la collecte d'informations sur le contrôle des pêches et peut donc être saisi par la commission ou l'agence européenne de contrôle des pêches ou directement par un autre État membre. Lors d'une inspection d'un lot de produits issu d'une pêcherie non européenne, les données disponibles accompagnant ces produits devraient permettre aux inspecteurs de pouvoir 56 :Règlement (UE) N o 1379/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 11 décembre 2013 portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits de la pêche et de l'aquaculture, modifiant les règlements (CE) n o 1184/2006 et (CE) n o 1224/2009 du Conseil et abrogeant le règlement (CE) n o 104/2000 du Conseil source : http://europa.eu La traçabilité des produits de la mer permet-elle de lutter contre les pêches INN ? Master 2 DSAMO - 2015 Page : 31 retrouver, dans un premier temps, le point d'entrée sur le territoire de l'Union, puis de déterminer l'origine de ce lot avec les mêmes outils réglementaires que les lots issus des pêcheries européennes. Cependant, après avoir identifié le point d'entrée sur le territoire de l'Union et posséder un certificat de capture mentionnant l'origine des produits, établir la véracité des informations de ce certificat s'avère plus compliqué. Sur les pêcheries européennes, quel que soit l'endroit sur la planète, les navires de pêche possèdent un système de suivi de navires (SSN), une balise, permettant de connaître leur position, leur route et leur vitesse. Les données issues de ce système sont transmises auprès de chaque État membre dont le navire bat pavillon et peuvent être disponible, sur demande, par la Commission ou l'Agence. De plus, une autre balise, dite de détection des navires, ayant pour objet l'anticollision durant la navigation, est également disponible via plusieurs accès publics et libres de droits. Ainsi, le croisement de l'historique de ces données permet de déterminer si la zone des captures déclarées par le capitaine du navire de pêche ciblé est conforme. Ensuite, un croisement de données avec les éléments de licence, de note de vente établit lors de la première mise sur la marché permet de vérifier l'intégralité des éléments liés à l'origine des lots de produits de la mer. De même, pour la production aquacole, des registres d'élevages sont disponibles auprès des opérateurs et permettent de vérifier l'adéquation entre l'étiquetage et l'origine d'un lot. Dans le même état d'esprit que le système, Barcode Of Life, un programme de mise en place d'une base de données ADN européenne des produits de la mer a été lancé en 2007. Ce programme, appelé FishPopTrace57 est financé par le 7ème programme cadre de recherche de l'Union Européenne. A la différence du système BOL, la base de données européenne édicte clairement un objectif de lutte contre les pêches illégales en instituant des méthodes de recherches criminalistiques. L'objectif de ce programme étant de fournir aux services d'inspection des données de référence, permettant de comparer le lot inspecté avec le stock d'origine, via une analyse comparative de l'ADN. Cette démarche, très novatrice, se base sur les évolutions technologiques à venir, notamment la possibilité de pouvoir effectuer des analyses rapidement et à faible coût. Cette volonté d'utiliser l'ADN comme moyen de vérification de l'origine d'un lot est plébiscité par l'Union Européenne dans plusieurs règlements en vigueur. Ainsi, dans le 57 : Système « FichPopTrace » consultable sur le site : https// fishpoptrace.jr.ec.europa.eu La traçabilité des produits de la mer permet-elle de lutter contre les pêches INN ? Master 2 DSAMO - 2015 Page : 32 règlement portant organisation commune des marchés, le considérant 23 stipule que « ... le présent règlement devrait utiliser pleinement les technologies disponibles, notamment les tests ADN, en vue de dissuader les opérateurs d'étiqueter les captures de poisson de manière trompeuse ». Le règlement « contrôle » donne également la possibilité à la Commission d'imposer l'utilisation de dispositifs de contrôles électronique et d'outils de traçabilité telles les analyses génétiques58. L'Union européenne s'est dotée de nombreux outils techniques et juridiques permettant de contrôler la véracité de l'origine d'un lot, cependant, lorsque ces vérifications s'opèrent sur des produits issus de pêcheries ou d'aquacultures en provenance d'un État Tiers, ces outils se heurtent à des limites fondamentales de droit. |
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