Chapitre II Les principales causes de la
non application des dispositions légales
En Afrique, il n'y a pas eu de droit du travail pendant une
bonne partie de la colonisation, et des drames comme « la traite
négrière et le travail forcé étaient même une
négation du droit du travail30 ». Ce ne fut
finalement qu'après les années trente et surtout à la fin
de la seconde guerre mondiale que les premières bribes de
législations virent le jour. Cette lente évolution arriva
à terme en ce qui concerne les pays francophones en 1952 avec le Code du
travail d'outre-mer, largement inspiré des textes métropolitains.
Est-ce que ce n'est pas cette référence initiale qui a
engendrée des écarts entre le droit et le fait comme beaucoup
d'auteurs le pensent ?
Ousmane Oumarou Sidibé est de ceux-là ; il
soutient que la cause de ces écarts est liée aux deux conceptions
différentes qui subsistent toujours en Afrique. D'une part la
conception, décalée de la réalité selon laquelle,
il existe un cadre formel des relations de travail englobant une
minorité de travailleurs, les salariés des villes qui usent de
leurs droits à la négociation collective et à l'action
revendicative à travers la grève et la protestation. D'autre
part, le second modèle correspondant davantage aux
réalités africaines puisqu'il concerne à la fois les
travailleurs du secteur formel et du secteur non structuré,
agriculteurs, artisans, commerçants etc. Malheureusement, les Codes du
Travail ne tiennent compte que des travailleurs du cadre formel, classique,
plus proches des réalités des pays du Nord. Ce qui milite en
faveur de la thèse selon laquelle, « le formalisme excessif des
textes inadaptés au contexte africain, ajouté à
l'insuffisance notoire des administrations du travail sur le plan logistique et
organisationnel font que l'essentiel du monde du travail échappe en
pratique à la législation du travail 31». En
ce qui concerne les employées de maison, cette exclusion de fait du
champ des relations sociales est accentuée par de nombreuses
particularités propres à l'activité domestique.
I. Un contrat de type particulier
30 Ousmane Oumarou Sidibé,
réalités africaines et enjeux pour le droit du travail, Afrilex
2000/00
31 Ibidem
Les employés de maison dans le droit social
présenté par Ibra Ndoye
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Les employés de maison dans le droit social
présenté par Ibra Ndoye
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La première particularité du contrat des gens de
maison c'est que dans l'écrasante majorité il n'y a pas de
contrat, comme on a eu à le constater lors de nos entretiens. Tout au
moins, tout ce qu'il y'a c'est un contrat oral dont les clauses sont
imprécises se limitant souvent au montant du salaire. L'oralité
qui reste un grand trait de notre civilisation subsiste dans plusieurs domaines
et relègue toujours l'écrit au second plan. Cet héritage
culturel conjugué à l'analphabétisme endémique chez
les femmes, malgré les percées notoires du Programme
Décennal pour l'Education et la Formation avec ses composantes
accès, qualité et gestion, éloigne de plus en plus le voeu
de voir l'adoption de contrats écrits. En dépit des efforts
importants réalisés dans le cadre des campagnes
d'alphabétisation, seuls 37,8% des adultes (âgés 15 ans et
plus), ont la capacité de lire et écrire dans une langue
quelconque. C'est dire que le fléau de l'analphabétisme persiste
encore surtout chez les femmes avec plus de 70%, d'après les chiffres de
2005 repris dans le DSRP II. Par conséquent l'absence de contrats
écrits coule de source ; aucune des parties n'en perçoit la
pertinence étant donné que pour établir un contrat de
travail il faut au moins savoir lire. Même l'absence de contrat n'entame
en rien la validité de la relation de travail, « la preuve de
son existence pouvant être apportée par tout
moyen32 » il se pose le problème du respect des
clauses orales du contrat, le respect de la parole donnée auquel nos
anciens tenait beaucoup n'a plus la même importance de nos jours.
Une autre particularité est à rechercher dans
les parties en présence, qui sont toutes deux exclusivement des
personnes physiques ; l'employeur et le travailleur unis par un lien de
subordination fortement personnalisé que le premier exerce sur le
second. Cette ascendance démesurée de l'employeur s'explique par
la dépendance matérielle33 voire l'assujettissement de
l'employé ; celle-ci est accentuée et devient même
psychologique lorsque l'employé est logé par son patron. Le
caractère invisible du travail domestique rend difficile toute
organisation des travailleurs domestiques en vue de revendiquer leurs droits.
La conséquence en est, et cela reste la troisième
singularité, que le taux de syndicalisation est très faible car
l'isolement rend difficile la constitution de syndicats tout comme
l'établissement de contacts entre eux.
En outre, la cohabitation avec l'employeur entretient chez le
travailleur domestique l'idée qu'il « fait partie de la famille
», situation ambiguë dans laquelle la frontière entre les
relations
32 Loi 97-17 du 1er Décembre 1997,
article L. 32
33 BIT : S'organiser pour plus de justice sociale,
rapport du directeur général (Genève, 2004)
professionnelles et les relations affectueuses n'est pas
clairement tracée, si bien qu'il est difficile à l'employeur de
reconnaître les droits de son employé et à ce dernier de
les faire valoir34. En d'autres termes, le travail domestique «
occupe aujourd'hui une zone floue entre les relations marchandes et les
relations non marchandes »35
Enfin, on peut noter le silence de la législation qui
s'est fait sentir dans ce secteur plus que dans tout autre au nom du principe
de non-ingérence de l'Etat dans la vie privée qui gêne
surtout en ce concerne l'application qui passe forcément par un
contrôle.
C'est ce caractère invisible de l'emploi domestique
susmentionné qui fait dire qu'il « dissimule36 »
ses travailleurs parmi lesquels on compte de nombreuses fillettes qui sont
recherchées pour leur docilité, car n'ayant pas encore
contracté « de mauvaises habitudes » comme l'ont
affirmé certains employeurs et leur coût moindre. Malheureusement,
ce travail réalisé à l'abri des regards indiscrets fait le
lit de beaucoup d'abus graves tels que les violences physiques, le
harcèlement sexuel et même des viols qui finissent rarement en
justice car les victimes restent convaincues que la loi les
déprotège. Sans compter qu'il est souvent difficile de fournir
des preuves du fait que les membres de la famille de l'employeur ne vont jamais
témoigner à charge contre leur père, tante ou soeur. A ces
caractéristiques du contrat de travailleur domestique se sont
ajoutés d'autres facteurs bloquants de divers ordres qui feront l'objet
d'une étude minutieuse ci-après, lesquels ont tous
contribué à son essor sans que l'encadrement juridique ne
suive.
A. Des raisons socioculturelles
Conformément à une tradition répandue en
Afrique, il n'était pas rare de voir des familles élargies,
pauvres, « prêter » une ou deux jeunes filles à un
parent citadin qui avait besoin d'un coup de main dans les tâches
domestiques. En retour, ce dernier les soulageait des charges liées
à la subsistance et à l'éducation qui est censée
être de meilleure qualité en ville, dans la famille d'adoption.
Cette pratique appelée aussi « confiage » se faisait dans un
contexte où le rôle des filles et des femmes étaient
limité à ceux d'épouse et de mère. C'est ainsi que
les filles grandissaient avec leur famille d'accueil qu'elles connaissaient
bien et étaient plus ou moins acceptées. Il se pose la question
de savoir si on était bien en présence d'un contrat proprement
dit,
34 Ibidem
35 B. Anderson, Migration policies and vulnerabilities
of domestic workers, Hong Kong fév. 2003 p. 16
36 Document de travail ACP-UE sur le travail des
enfants, 14 février 2008
Les employés de maison dans le droit social
présenté par Ibra Ndoye
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on est tenté de répondre par la négative
du fait du caractère ambigu de la relation, lié au fait que le
placement de la fille dans une famille d'accueil visait d'une part à
préparer la jeune fille à ses futures tâches de
maîtresse de maison, d'autre part il relevait d'un processus de
socialisation37. De surcroît, la fille qui s'intégrait
bien dans sa famille d'accueil en devenait un membre, ce qui excluait toute
revendication ou réclamation au risque de se voir « renvoyé
». Face à l'incertitude relative aux rapports de type familial et
ceux de simples échanges marchands chez les employeurs, nous pouvons
constater que « plus le salaire est élevé moins on
traite les domestiques comme des membres de la famille38
». Néanmoins, dans d'autres cas l'adulte qui accueillait la fille
jouait le double rôle de tuteur et d'employeur paradoxalement, ce statut
hybride ne la mettait pas à l'abri d'éventuelles maltraitances,
d'autant moins que le non respect de ses droits était mis sur le compte
de l'éducation et de la socialisation.
Plus tard, avec le développement de l'exode rural suite
aux vagues de sécheresse du début des années quatre-vingt
qui ont eu pour conséquence le dépeuplement des campagnes, il a
été noté un important flux migratoire saisonnier de jeunes
des deux sexes qui était l'unique réponse face aux nombreuses
contraintes de la campagne. C'est ainsi que des jeunes filles sans moyen et
même sans aucune qualification parvenaient à se procurer un revenu
synonyme de nouvelles perspectives dans la vie. Cette nouvelle
opportunité économique qui s'offrait à des milliers de
jeunes filles a progressivement sonné le glas de l'assistance
ménagère intrafamiliale, sans transition, ce qui augurait de
l'impréparation dans laquelle les employeurs étaient pour
s'acquitter de manière adéquate des nouvelles obligations qui
pesaient sur eux. D'autant plus que le déséquilibre dans la
relation de travail employeur-employé en défaveur de ce dernier,
s'accentue dans le travail domestique, le transfert de main-d'oeuvre se faisant
des ménages pauvres vers les foyers riches. Bref, c'est une nouvelle
division du travail qui s'instaure entre des citadines souvent
éduquées et femmes migrantes dont l'emploi tout comme les
conditions de travail sont souvent précaires.
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