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Les employés de maison dans le droit social.


par IBRA NDOYE
Ecole Nationale d'Administration Sénégal Dakar - Brevet de l'ENA 2009
  

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Chapitre II Les principales causes de la

non application des dispositions légales

En Afrique, il n'y a pas eu de droit du travail pendant une bonne partie de la colonisation, et des drames comme « la traite négrière et le travail forcé étaient même une négation du droit du travail30 ». Ce ne fut finalement qu'après les années trente et surtout à la fin de la seconde guerre mondiale que les premières bribes de législations virent le jour. Cette lente évolution arriva à terme en ce qui concerne les pays francophones en 1952 avec le Code du travail d'outre-mer, largement inspiré des textes métropolitains. Est-ce que ce n'est pas cette référence initiale qui a engendrée des écarts entre le droit et le fait comme beaucoup d'auteurs le pensent ?

Ousmane Oumarou Sidibé est de ceux-là ; il soutient que la cause de ces écarts est liée aux deux conceptions différentes qui subsistent toujours en Afrique. D'une part la conception, décalée de la réalité selon laquelle, il existe un cadre formel des relations de travail englobant une minorité de travailleurs, les salariés des villes qui usent de leurs droits à la négociation collective et à l'action revendicative à travers la grève et la protestation. D'autre part, le second modèle correspondant davantage aux réalités africaines puisqu'il concerne à la fois les travailleurs du secteur formel et du secteur non structuré, agriculteurs, artisans, commerçants etc. Malheureusement, les Codes du Travail ne tiennent compte que des travailleurs du cadre formel, classique, plus proches des réalités des pays du Nord. Ce qui milite en faveur de la thèse selon laquelle, « le formalisme excessif des textes inadaptés au contexte africain, ajouté à l'insuffisance notoire des administrations du travail sur le plan logistique et organisationnel font que l'essentiel du monde du travail échappe en pratique à la législation du travail 31». En ce qui concerne les employées de maison, cette exclusion de fait du champ des relations sociales est accentuée par de nombreuses particularités propres à l'activité domestique.

I. Un contrat de type particulier

30 Ousmane Oumarou Sidibé, réalités africaines et enjeux pour le droit du travail, Afrilex 2000/00

31 Ibidem

Les employés de maison dans le droit social présenté par Ibra Ndoye

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La première particularité du contrat des gens de maison c'est que dans l'écrasante majorité il n'y a pas de contrat, comme on a eu à le constater lors de nos entretiens. Tout au moins, tout ce qu'il y'a c'est un contrat oral dont les clauses sont imprécises se limitant souvent au montant du salaire. L'oralité qui reste un grand trait de notre civilisation subsiste dans plusieurs domaines et relègue toujours l'écrit au second plan. Cet héritage culturel conjugué à l'analphabétisme endémique chez les femmes, malgré les percées notoires du Programme Décennal pour l'Education et la Formation avec ses composantes accès, qualité et gestion, éloigne de plus en plus le voeu de voir l'adoption de contrats écrits. En dépit des efforts importants réalisés dans le cadre des campagnes d'alphabétisation, seuls 37,8% des adultes (âgés 15 ans et plus), ont la capacité de lire et écrire dans une langue quelconque. C'est dire que le fléau de l'analphabétisme persiste encore surtout chez les femmes avec plus de 70%, d'après les chiffres de 2005 repris dans le DSRP II. Par conséquent l'absence de contrats écrits coule de source ; aucune des parties n'en perçoit la pertinence étant donné que pour établir un contrat de travail il faut au moins savoir lire. Même l'absence de contrat n'entame en rien la validité de la relation de travail, « la preuve de son existence pouvant être apportée par tout moyen32 » il se pose le problème du respect des clauses orales du contrat, le respect de la parole donnée auquel nos anciens tenait beaucoup n'a plus la même importance de nos jours.

Une autre particularité est à rechercher dans les parties en présence, qui sont toutes deux exclusivement des personnes physiques ; l'employeur et le travailleur unis par un lien de subordination fortement personnalisé que le premier exerce sur le second. Cette ascendance démesurée de l'employeur s'explique par la dépendance matérielle33 voire l'assujettissement de l'employé ; celle-ci est accentuée et devient même psychologique lorsque l'employé est logé par son patron. Le caractère invisible du travail domestique rend difficile toute organisation des travailleurs domestiques en vue de revendiquer leurs droits. La conséquence en est, et cela reste la troisième singularité, que le taux de syndicalisation est très faible car l'isolement rend difficile la constitution de syndicats tout comme l'établissement de contacts entre eux.

En outre, la cohabitation avec l'employeur entretient chez le travailleur domestique l'idée qu'il « fait partie de la famille », situation ambiguë dans laquelle la frontière entre les relations

32 Loi 97-17 du 1er Décembre 1997, article L. 32

33 BIT : S'organiser pour plus de justice sociale, rapport du directeur général (Genève, 2004)

professionnelles et les relations affectueuses n'est pas clairement tracée, si bien qu'il est difficile à l'employeur de reconnaître les droits de son employé et à ce dernier de les faire valoir34. En d'autres termes, le travail domestique « occupe aujourd'hui une zone floue entre les relations marchandes et les relations non marchandes »35

Enfin, on peut noter le silence de la législation qui s'est fait sentir dans ce secteur plus que dans tout autre au nom du principe de non-ingérence de l'Etat dans la vie privée qui gêne surtout en ce concerne l'application qui passe forcément par un contrôle.

C'est ce caractère invisible de l'emploi domestique susmentionné qui fait dire qu'il « dissimule36 » ses travailleurs parmi lesquels on compte de nombreuses fillettes qui sont recherchées pour leur docilité, car n'ayant pas encore contracté « de mauvaises habitudes » comme l'ont affirmé certains employeurs et leur coût moindre. Malheureusement, ce travail réalisé à l'abri des regards indiscrets fait le lit de beaucoup d'abus graves tels que les violences physiques, le harcèlement sexuel et même des viols qui finissent rarement en justice car les victimes restent convaincues que la loi les déprotège. Sans compter qu'il est souvent difficile de fournir des preuves du fait que les membres de la famille de l'employeur ne vont jamais témoigner à charge contre leur père, tante ou soeur. A ces caractéristiques du contrat de travailleur domestique se sont ajoutés d'autres facteurs bloquants de divers ordres qui feront l'objet d'une étude minutieuse ci-après, lesquels ont tous contribué à son essor sans que l'encadrement juridique ne suive.

A. Des raisons socioculturelles

Conformément à une tradition répandue en Afrique, il n'était pas rare de voir des familles élargies, pauvres, « prêter » une ou deux jeunes filles à un parent citadin qui avait besoin d'un coup de main dans les tâches domestiques. En retour, ce dernier les soulageait des charges liées à la subsistance et à l'éducation qui est censée être de meilleure qualité en ville, dans la famille d'adoption. Cette pratique appelée aussi « confiage » se faisait dans un contexte où le rôle des filles et des femmes étaient limité à ceux d'épouse et de mère. C'est ainsi que les filles grandissaient avec leur famille d'accueil qu'elles connaissaient bien et étaient plus ou moins acceptées. Il se pose la question de savoir si on était bien en présence d'un contrat proprement dit,

34 Ibidem

35 B. Anderson, Migration policies and vulnerabilities of domestic workers, Hong Kong fév. 2003 p. 16

36 Document de travail ACP-UE sur le travail des enfants, 14 février 2008

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on est tenté de répondre par la négative du fait du caractère ambigu de la relation, lié au fait que le placement de la fille dans une famille d'accueil visait d'une part à préparer la jeune fille à ses futures tâches de maîtresse de maison, d'autre part il relevait d'un processus de socialisation37. De surcroît, la fille qui s'intégrait bien dans sa famille d'accueil en devenait un membre, ce qui excluait toute revendication ou réclamation au risque de se voir « renvoyé ». Face à l'incertitude relative aux rapports de type familial et ceux de simples échanges marchands chez les employeurs, nous pouvons constater que « plus le salaire est élevé moins on traite les domestiques comme des membres de la famille38 ». Néanmoins, dans d'autres cas l'adulte qui accueillait la fille jouait le double rôle de tuteur et d'employeur paradoxalement, ce statut hybride ne la mettait pas à l'abri d'éventuelles maltraitances, d'autant moins que le non respect de ses droits était mis sur le compte de l'éducation et de la socialisation.

Plus tard, avec le développement de l'exode rural suite aux vagues de sécheresse du début des années quatre-vingt qui ont eu pour conséquence le dépeuplement des campagnes, il a été noté un important flux migratoire saisonnier de jeunes des deux sexes qui était l'unique réponse face aux nombreuses contraintes de la campagne. C'est ainsi que des jeunes filles sans moyen et même sans aucune qualification parvenaient à se procurer un revenu synonyme de nouvelles perspectives dans la vie. Cette nouvelle opportunité économique qui s'offrait à des milliers de jeunes filles a progressivement sonné le glas de l'assistance ménagère intrafamiliale, sans transition, ce qui augurait de l'impréparation dans laquelle les employeurs étaient pour s'acquitter de manière adéquate des nouvelles obligations qui pesaient sur eux. D'autant plus que le déséquilibre dans la relation de travail employeur-employé en défaveur de ce dernier, s'accentue dans le travail domestique, le transfert de main-d'oeuvre se faisant des ménages pauvres vers les foyers riches. Bref, c'est une nouvelle division du travail qui s'instaure entre des citadines souvent éduquées et femmes migrantes dont l'emploi tout comme les conditions de travail sont souvent précaires.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon