IV. Les cas de suspension du contrat
A. Le repos hebdomadaire et les jours
fériés
La législation est très stricte à propos
du repos hebdomadaire qui est obligatoirement de 24h consécutives par
semaine, accordé en principe le dimanche. Cependant, la
spécificité de ce secteur d'activité fait qu'il peut
être pris un autre jour ou à raison de deux demi-journées.
De manière générale, le respect de cette disposition se
fait de manière mitigée. En à croire les résultats
des entretiens, tout dépend de l'humeur des patrons, de leur «
humanisme ». La question du repos hebdomadaire se pose de deux
manières selon qu'on loge chez l'employeur ou que l'on rentre le soir.
Même si quelques uns qui ne logeaient pas chez le patron ont
déclaré qu'il leur arrivait de ne pas travailler le dimanche, la
tendance qui se dessine est ce qu'on appelle dans le jargon, « le
système des 15 jours » c'est-à-dire 1 jour de repos par
quinzaine très usité dans les deux cas par les employeurs. Ce
jour précieux est consacré, pour celles vivant chez l'employeur,
à rendre visite aux parents et amies du même village, rompre avec
l'isolement et papoter sur leurs conditions de travail.
Il faut noter que les filles ne viennent jamais de
manière isolée en ville mais elles le font à travers un
circuit bien huilé entretenu par des « recruteurs », qui sont
de purs produits du milieu, des natifs du village établis en ville qui
descendent jusqu'au village pour alimenter la machine. Du fait du
caractère temporaire de l'activité, il est toujours possible de
faire des permutations et de nouveaux placements. C'est ainsi que les filles
qui viennent sont placées sous l'autorité de soeurs, de tantes et
d'oncles qui reconstituent en ville l'espace familial et l'univers villageois.
Par
conséquent, on constate une phosphorescence de
mouvements associatifs basés sur l'appartenance à un
même terroir contribuant à l'entraide et au développement
du village d'origine. Tous ces aspects apparaissent à travers ce
témoignage :
Les employés de maison dans le droit social
présenté par Ibra Ndoye
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« Nous nous retrouvons le soir avec les
garçons du village dans le même quartier. Chaque samedi, nous
organisons des soirées pour trouver de l'argent pour la caisse de notre
association. Avec ça, on prépare nos voyages pendant les
fêtes ou à l'approche de l'hivernage pour ceux qui doivent
rejoindre les parents pour les travaux champêtres.
Egalement, nous cotisons pour la construction du foyer des
jeunes du village et nous donnons quelque chose cette année pour
l'école du village. Ce sont les garçons qui assurent notre «
surveillance en ville». Quand nous avons des problèmes (paiement,
accusations de vols...), ce sont eux qui nous défendent ».
Nous percevons à travers cette confession le rôle
crucial que joue le repos à travers l'immersion dans un milieu affectif
et amical qui permet de puiser la force morale nécessaire pour faire
face aux nombreuses tribulations liées à l'activité
domestique. Et pourtant beaucoup d'employeurs persistent à leur denier
ce droit au repos si fondamental.
Les employeurs ont à peu près la même
réticence par rapport au chômage des jours fériés ;
cependant, l'importance de grandes manifestations culturelles et des
fêtes religieuses telles que la Tabaski, la Korité, Pâques
qui se passent en famille, ont eu raison de cette mauvaise volonté. Mais
il se pose toujours des conflits car les employeurs ont tendance à les
remplacer très vite alors que pour beaucoup ce sont les seules
opportunités de retour au village. Aujourd'hui beaucoup
n'hésitent pas à rester longtemps pour conserver leur emploi :
« C'est difficile de partir comme tu veux. Il est
très facile de se faire remplacer car il y'a trop de bonnes qui
chôment. Nos patrons ne se soucient même pas de notre place. Une
fois que tu quittes, c'est fini. On renonce souvent à partir car une
fois que tu gagnes bien ta vie, tu cherches à maintenir ta place
».
« Partir au village ! Non ! Nous restons presque deux
à trois ans car les patrons n'attendent pas. Nous ne sommes pas comme
vous qui avez des congés et qui avez des permissions. Si on part,
personne au niveau de la famille ne fera le travail et tout de suite on te
remplace par une autre. Souvent quand on quitte, c'est pour aller chercher
ailleurs. C'est pourquoi nous restons et envoyons quelque chose à la
famille ».
« Durant les fêtes de Tabaski, Korité,
nous allons au village, mais nous revenons juste après. Car nos patrons
ne nous attendent pas. D'ailleurs, ça c'est pour nous qui habitons
à coté de Dakar.
Les employés de maison dans le droit social
présenté par Ibra Ndoye
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Mais pour nos amies du même quartier qui sont des
Diolas et des Sérères de Fatick ou Thiés, c'est difficile
de partir ».
« La Casamance, c'est trop loin ; une fois que tu es
là-bas, tu ne retournes pas vite, car quelquefois ça
coïncide avec l'hivernage et il faut aller dans les rizières. Mais
maintenant les parents commencent à nous laisser longtemps. On y va
quand les frères doivent entrer dans le bois sacré ou pour
certaines à l'occasion de décès ».
« Nous avons une association de tous les
ressortissants de notre village, et nous organisons des voyages à
l'occasion des fêtes religieuses ou de grandes cérémonies
traditionnelles au village. Sinon nous rentrons presque tous à
l'approche de l'hivernage, si les parents nous obligent à venir pour les
travaux champêtres ou pour le mariage ».23
Ces différents témoignages permettent de
percevoir l'importance du lien ombilical liant les employés à
leur milieu d'origine qui est en fait l'une de leurs principales
préoccupations. Ce lien tend de plus en plus à se distendre, cela
d'autant plus que les employeurs rechignent à respecter les dispositions
relatives aux congés.
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