B. Les stratégies de marketing
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Comme mentionné plus haut, beaucoup d'employeurs
recrutent leurs employées par l'entremise d'une tierce personne qui
s'érige en garante de la bonne moralité de l'employée.
Cela se conçoit dans un contexte de méfiance vis-à-vis de
l'autre, celui qu'on ne connaît pas, en milieu urbain. Cette psychose
sécuritaire est alimentée par le développement d'actes
incivils et violents qui ont entamé la charpente de valeurs telles que
la solidarité et le sens de l'hospitalité qui étaient
quelques uns des caractères dominants de la société
africaine. Ce climat difficile n'a pas empêché les employés
domestiques de développer des stratégies pour décrocher un
bon contrat qui soit plus ou moins conforme à leurs attentes, à
l'issue du marchandage. La première règle de ce face-à-
face connue de tous dans le milieu est : « de ne surtout pas se
laisser impressionner ni faire preuve de timidité ou de faiblesse devant
l'employeur ».19
D'une manière générale, les salaires des
employés domestiques décroissent du centre ville et des quartiers
résidentiels aux quartiers populaires de la proche et lointaine
banlieue. C'est dire que les salaires versés à Rufisque, Pikine,
Guédiawaye sont plus faibles qu'aux Parcelles Assainies, aux HLM qui
à leur tour sont moindres qu'à Nord Foire, Sacré Coeur et
Almadies. La conséquence en est que la recherche de travail est
sélective et se fait selon l'hypothèse tout à fait valable
que les ménages les plus aisés payent mieux que les autres. C'est
pourquoi, les filles logeant ou habitant Yeumbeul, Thiaroye, Pikine ne
préfèrent pas travailler à coté de chez elles mais
vont jusqu'au centre-ville pour pouvoir gagner plus.
Cette catégorisation des employeurs
sénégalais a été également notée dans
l'étude conjointe BIT/ UNICEF/ ENDA. Les employés de maison
distinguent « les grands patrons », des « moyens patrons »
et des « petits patrons ». Cette hiérarchisation prend en
compte outre le critère géographique, le standing du logement. A
la base se situe le troisième groupe qui regroupe à la fois des
employeurs des quartiers populaires et ceux ayant des revenus faibles et des
familles nombreuses.
A coté des employeurs sénégalais, nous
avons les employeurs libano-syriens, ceux ressortissant de pays africains et
les employeurs expatriés. De prime abord, ceux-là appliquent la
législation dans une certaine mesure car leur statut d'étranger
(beaucoup de libano-syriens ont la nationalité
19 Mbindaan sans mbindou, mars 1994, p.25
Les employés de maison dans le droit social
présenté par Ibra Ndoye
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sénégalaise) fait que le non-respect de la loi
leur soit préjudiciable en cas de conflit. Si beaucoup
d'expatriés appliquent scrupuleusement la législation, nous
reviendront, ce n'est pas le cas de tous les libano-syriens même si
quelques uns font souvent des contrats et délivrent des bulletins de
paie. En revanche, ils sont réputés exigeants par rapport
à l'exécution des tâches ; toute perte est déduite
du salaire. Cette communauté qui n'emploie pas de petites filles,
recherche des employés ayant une certaine instruction donc sachant lire
et s'exprimer en français. Une fille ayant travaillé avec des
libano-syriens a livré ce témoignage :
« Une des difficultés que j'ai vécue
personnellement, et souvent rencontrées par les filles, est celle-ci :
je travaillais chez une libanaise. Un jour, elle m'a informée qu'elle
allait recevoir ses beaux-parents qui venaient de la France. Que cela
entrainerait un surcroît de travail. Donc, elle allait m'augmenter ; je
gagnerais donc 30 000 F CFA / mois et elle me demandait de descendre
dorénavant à 20 h. Au départ de ses beaux-parents,
apparemment satisfaite de mon travail, elle m'a encore augmentée 5 000 F
CFA. Elle possède deux maisons et emploie 5 « janx » (jeune
fille domestique). Un jour, je repassais ses habits. Il y'avait « les
pantalons-gaine là ! » (body), en le repassant, je l'ai
brûlé. Elle avait acheté ce pantalon à 15 000 F CFA
en France. Elle m'a dit de le rembourser, par mensualités de 5 000 F
CFA. J'ai accepté. Et j'ai continué à travailler pour elle
pendant trois mois. Elle m'a toujours remis des reçus quand je percevais
mon salaire. Elle devait partir pour quelques temps en France. Elle m'a dit que
normalement, elle devait me verser des droits. Quand tu fais le linge pour
elle, elle compte devant toi les morceaux que tu dois laver. Quand tu as fini
de laver et de repasser, elle recompte les habits ».
A l'exception de celles qui s'occupent des bébés
et ayant resté longtemps avec la famille, les personnes qui travaillent
avec les Libano-syriens passent rarement la nuit chez leur employeur. L'emploi
dans ce milieu est plutôt stable et il n'est pas rare de voir une
domestique en activité dans une famille transmettre cet emploi à
sa soeur, sa fille.
Autre son de cloche chez les employeurs
sénégalais qualifiés de « petits patrons » qui
sont à l'origine de beaucoup de maux dans la profession en ce sens
qu'ils peinent à verser le salaire normalement, à assurer une
prise en charge médicale, à respecter les tâches
définies à l'embauche, à nourrir convenablement leurs
employés. Cette classe moyenne naguère prospère
aujourd'hui rétrogradée et fortement prolétarisée
subit de plein fouet les coups de boutoir de la crise économique qui a
entrainé dans son sillage la cherté de la vie.
Les employés de maison dans le droit social
présenté par Ibra Ndoye
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Après toute ces considérations
socio-économiques survient le marchandage qui se fait rarement sur la
base du salaire minimum réglementaire mais dépend intimement du
standing de la maison : une maison à étage étant
censée comprendre une charge de travail plus importante, du nombre
d'enfants, du nombre de personnes vivant sous le toit, de la prise en charge de
la nourriture, du fait que l'employé loge chez son patron ou rentre en
fin de journée et enfin de la gestion des principales tâches : le
linge, la vaisselle, la cuisine et le ménage. On assiste de plus en plus
à une spécialisation des employés qui choisissent une ou
deux tâches au plus ; le ménage moins contraignant est
apprécié du fait qu'on dispose de plus de temps libre que la
cuisine qui requiert qu'on reste un peu plus tard. Il existe également
d'autres tâches annexes telles que l'aide à la préparation
des repas, les innombrables courses pour toutes la famille, le fait de
s'occuper des bébés et certaines sont même
sollicités pour le petit commerce (vente de sachets d'eau, de
crème...)
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