2-2- Les jeux coopératifs
Dans certaines configurations de jeux sous
forme normal, une attitude entièrement non coopérative de la part
des joueurs peut conduire à une catastrophe collective, on en verra
quelques exemples ci-après. Il y a donc incitation à la
coopération. Celle-ci peut prendre la forme d'une autorité qui
coordonne les décisions de chaque joueur et dispose d'un certain pouvoir
de coercition. Elle peut aussi être le fait d'un simple consensus entre
les joueurs. Cet accord peut concerner tous les joueurs ou seulement certains
groupes de joueurs : on définira alors les coalitions entre
joueurs.
Quelques exemples illustrent de telles
situations :
Deux entreprises en concurrence peuvent adopter chacune, soit
une stratégie agressive se traduisant par le déclenchement de
manoeuvre de conquête du marché, soit une stratégie
préservant le statu quo. Il est clair que si les deux firmes adoptent la
stratégie agressive et se ruinent en cherchant à conquérir
le marché sans y réussir, le résultat est moins bon que le
statu quo.
Le choix du lieu d'implantation d'un point de vente par des
entreprises concurrentes est un autre exemple où l'absence de
coopération peut se traduire par des conséquences
désastreuses pour tous les concurrents.
Le rachat de parts du capital d'une société,
l'enjeu étant le contrôle de la société, est un
exemple où l'absence de consensus entre les acheteurs peut les amener
à acheter très cher des parts dont le nombre restera
insuffisant.
Ces exemples peuvent être traduits sous une forme
voisine de celle du classique « dilemme de
prisonnier ».5(*)4 Ce jeu montre à travers un exemple
folklorique comment des choix rationnels d'un point de vue individuel peuvent
conduire à des situations sous-optimales (donc non rationnelles
« collectivement ») pour l'ensemble des individus qui ont
fait ces choix.
L'essence de ce type de situation peut être
décrite par le jeu suivant5(*)5 : Deux malfaiteurs ont été
arrêtés et soupçonnés d'avoir commis un crime
d'homicide volontaire, il ont été accusés à juste
titre mais sans preuve suffisante. Il sont alors confrontés à la
situation suivante : mis dans une cellule individuelle et privé de
communiquer avec l'autre coupable, chacun doit choisir entre une
stratégie pacifique et une stratégie agressive ( ici ne pas
dénoncer = pacifique et dénoncer = agressive ), le juge essaye de
sa part de les faire avouer tous deux pour les condamner à cinq ans
chacun, faute de quoi il les condamnera à un an chacun pour le crime.
Mais, il leur propose de relaxer celui qui témoignerait contre l'autre,
ce dernier sera juger de vingt ans.
En suivant la logique du dilemme du prisonnier, on remarque
qu'il y a un conflit curieux entre la rationalité individuelle et la
rationalité collective. En suivant leurs motivations personnelles, il
est clair qu'il est rationnel pour les deux joueurs de choisir leur
stratégie agressive (dénoncer), mais si les deux se comportent
d'une manière coopérative et optent pour la stratégie
pacifique, le résultat sera bénéfique pour les deux, en
d'autres termes, la coalition des deux joueurs leur assure un gain meilleur que
celui qu'ils peuvent s'assurer individuellement. Ce qui complique les choses
dans ce dilemme c'est que l'attaque surprise ( utiliser la stratégie
agressive pendant que l'autre joueur est toujours pacifique) est payante, dans
ce cas la perte est plus grave si on se place du côté du
pacificateur.
Cependant, dans cette histoire, il y a quatre issues qui, du
point de vue de l'un ou l'autre prisonnier, peuvent être classées
de la façon suivante : la situation la plus avantageuse pour un
prisonnier est celle où il dénonce l'autre sans être
dénoncé par lui ; une situation un peu moins avantageuse est
celle où il ne dénonce pas tout en n'étant pas
dénoncé par lui ; une situation nettement moins avantageuse
est celle où il dénonce l'autre, qui fait de même ;
enfin, la situation la plus pire pour un prisonnier est celle où il est
dénoncé alors qu'il se tait. Le tableau ci-dessous donne
l'exemple chiffré de notre histoire et du classement qui vient
d'être écrit.
I II
|
ne dénonce pas
|
Dénoncer
|
Ne dénonce pas
|
1, 1
|
20, 0
|
Dénoncer
|
0, 20
|
5, 5
|
|
On vérifie facilement que la
stratégie pacifique ( ne dénonce pas) d'un joueur est
dominée5(*)6 par
sa stratégie agressive. Donc le jeu possède un unique
équilibre en stratégies dominantes5(*)7 ( Dénoncer,
Dénoncer) qui correspond à la guerre ouverte. Bien entendu une
telle issue n'est pas satisfaisante du point de vue collectif puisque l'issue
pacifique ( ne dénonce pas, ne dénonce pas) lui est strictement
préférée par les deux joueurs. Etre agressif ( tous les
deux) n'est pas un optimum de pareto. C'est là précisément
que réside le dilemme : pour un joueur qui n'est pas
entièrement assuré des intentions pacifiques de son partenaire,
l'usage de la stratégie agressive s'impose au nom des
intérêts individuels, mais l'intérêt commun
recommande bien sûr de tout faire pour aboutir à l'issue de paix.
Selon CORDONNIER « le dilemme de prisonnier est l'archétype
des situations dans lesquelles l'intérêt individuel fait
échec à la coopération... et fait échec à
l'intérêt individuel »5(*)8, et c'est dans la multitude de ce genre de
situations ( dans des contextes très divers) dans la vie
économique qu'a trouvé ce dilemme sa popularité.
Revenons au concept de stratégies mixtes afin
d'établir sa relation avec les jeux coopératifs ainsi qu'avec
notre exemple de dilemme de prisonnier. Ce concept correspond, dans les jeux
coopératifs, à celui de stratégies
corrélées. Les n joueurs d'une coalition jouent des
stratégies corrélées s'ils choisissent leurs
stratégies en s'en remettant à une loterie sur l'ensemble des
vecteurs (s1, s2,..., sn) de leurs
stratégies pures de départ.
Ainsi dans notre dilemme de prisonnier, les deux joueurs
peuvent choisir de jouer ( dénoncer, dénoncer) avec une
probabilité de 1/ 5, ( ne dénonce pas, ne dénonce pas)
avec une probabilité de 4/ 5 et une probabilité de 0 pour le
reste ( c'est à dire qu'ils décident de ne pas dénoncer
seuls). Il peuvent même décider de jouer ( ne dénonce pas,
ne dénonce pas) avec une probabilité de 1, ce qui formalise la
possibilité qu'ils ont de se mettre d'accord. le concept de
stratégies corrélées permet donc de formaliser certains
jeux avec communication entre les joueurs.
Ceci est dit nous pouvons maintenant aborder le point traitant
les différentes solutions qui ont été proposées
pour résoudre les situations de conflits issues que ce soit des jeux
coopératifs ou des jeux non coopératifs.
* 54 - Un jeu
inventé pour la première fois par Merrill FLOOD et Melvin
DRESHER en 1951, il est formalisée peu après par TUCKER.
L'appellation « dilemme de prisonnier » est originaire
à ce dernier.
* 55 - Nous nous somme
inspirés pour la présentation de ce dilemme de : COLMAN A.
(1982), op.cit. et MOULIN H. (1981), op cit.
* 56 - Dans le jeu (
X1, ..., Xn, u1, ..., un ) on dit
que la stratégie xi Xi du joueur i domine sa
yi Xi stratégie si on a :
x i Xî :
ui ( yi , xî ) ui (
xi , xî )
x i Xî :
ui ( yi , xî ) ui (
xi , xî )
La notation ( yi , xî )
désignant l'issue ( xi , ..., xî -1,
yi , xî+1, ..., xn )
Dire que la stratégie yi du joueur
i est dominée par sa stratégie xi revient à
dire que quel que soit le choix stratégique des autres joueurs,
employer xi est au moins aussi profitable pour i qu'employer
yi , et que parfois ( pour au moins un (n-1) uple de
stratégie des autres joueurs) la stratégie xi
est strictement meilleure que yi. En d'autres termes, et selon les
termes de bernard WALLISER (WALISER B. (2002) op.cit) une
stratégie d'un acteur est dite dominée (fortement) lorsqu'il
existe une autre stratégie de cet acteur qui lui donne une
utilité (strictement) meilleure pour toute les stratégies de ses
adversaires.
* 57 - Pour de plus
amples détails voir MOULIN H. (1981), op.cit.
* 58 - CORDONNIER L.
(1997), op. cit.
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