2-3- Concepts de solution des jeux
Pour résoudre les situations de
conflit, différents concepts de solution ont été
proposés. Chaque situation requiert une solution qui lui est propre et
les concepts généraux dégagés par la théorie
doivent être considérés comme des outils d'analyse plus que
comme des conseils d'aide à la décision. La théorie s'est
attachée à définir des concepts pour les situations les
mieux définies, celle des jeux non coopératifs et celle des jeux
totalement coopératifs.
Cependant, lorsque la question à poser est celle de la
définition d'une solution pour un jeu approprié, nous devons
avant tout spécifier le type et la forme descriptive du jeu sous
question. Par exemple, si le jeu est coopératif à n personnes,
notre travail sera la recherche d'un vecteur d'utilité ou de paiement
garantissant une meilleur dispersion de l'utilité pour les joueurs et
ayant la propriété de stabilité dans un sens significatif.
Dans ce cas l'objectif de la théorie des jeux sera de fournir certaines
notions de stabilité. Dans l'autre côté, si le jeu est non
coopératif à n personnes et à somme non nulle ( en forme
normale), l'objectif de la théorie des jeux sera la recherche d'un
vecteur n-tuple de stratégies qui lorsqu'elles seront prises ensemble,
formeront donc un équilibre pour le jeu. Encore une fois, la
contribution de la théorie des jeux sera de définir de
manière convenable les notions d'équilibre qui vont être
utilisées.
Ainsi, pour les jeux non coopératifs, le concept
d'équilibre de NASH, qui généralise celui de la solution
de Mini-Max de VON NEUMANN, s'est imposé. Ce concept correspond
mathématiquement à la notion de point-selle, ou de col de
montagne : un col, lorsqu'il existe, est à la fois le point le plus haut
des points les plus bas et le point le plus bas des point les plus hauts. Ainsi
le col est le point le plus haut par lequel passe une route qui cherche
à monter le moins possible, c'est aussi le point le plus bas par lequel
passerait un chamois qui cherche à rester le plus haut possible sur la
montagne.5(*)9
Dans un jeu sous forme normale, le concept d'équilibre
de NASH s'applique à une liste de gains pour chacun des joueurs qui sont
tels que ce sont les meilleurs qu'un joueur puisse obtenir parmi les pires que
peuvent lui imposer les autres joueurs, de sorte que chacun puisse avec raison
se dire la chose suivante : « Avec ma stratégie de NASH, mon
gain est au moins aussi grand que pour toute autre stratégie, tant que
l'autre ne change pas sa stratégie de NASH ». Il s'agit de
minimiser les pertes et de maximiser les gains - et il ne s'agit pas d'une
simple intelligence de la situation, mais bel et bien d'une traduction
économique d'une théorie psychologique de
l'intentionnalité qui fait appel à une coalition
d'intérêts de joueurs supposés également
compétents.
Pour les jeux coopératifs, le concept
d'équilibre de NASH n'est pas le concept d'équilibre le plus
adapté, comme on le voit dans le dilemme du prisonnier où le
point d'équilibre est ( dénoncer, dénoncer) ce qui
correspond à un résultat qui est moins bon pour chacun des deux
joueurs que la solution ( ne dénonce pas, ne dénonce pas).
Un autre exemple classique argumentant contre
l'équilibre de NASH comme concept de solution pour les jeux où la
coopération est possible, est celui de la bataille des sexes. Ce jeu est
appelé ainsi parce qu'on peut le présenter en considérant
deux époux qui doivent décider de l'endroit où ils vont
passer la soirée. Le mari préférerait aller à un
match de Basket-ball , alors que sa femme désirerait aller voir un
ballet. Mais tous deux préfèrent par dessus tout sortir ensemble
à l'un ou l'autre spectacle, plutôt que d'assister seul à
son spectacle préféré. La forme normale du jeu, où
les gains sont des utilités, peut être représentée
de la manière suivante 6(*)0:
Femme mari
|
Basket-ball
|
Ballet
|
Basket-ball
|
4,5
|
0,0
|
Ballet
|
1,1
|
5,4
|
|
Ce jeu est représentatif de beaucoup de situations
où les deux ( ou plus) parties cherchent à coordonner leurs
actions, bien qu'elles aient des préférences opposées en
ce qui concerne l'issue sur laquelle la coordination doit avoir lieu. En
économie industrielle, la segmentation du marché par des
entreprises rivales peut aussi être examinée dans cette
perspective ; tel est le cas également de deux fabricants de biens
complémentaires qui doivent adopter des normes- tous deux
préfères que leurs normes soient compatibles, mais chacun
aimerait que la sienne prévale. En économie du travail, un
syndicat et une entreprise peuvent gagner à accepter les conditions de
l'autre partie plutôt que d'endurer les conséquences d'une
grève, mais même ainsi, chaque partie préfère que
l'autre accepte ses exigences.
Revenons à notre exemple, les deux couples de
stratégies ( basket-ball, basket-ball) et (ballet, ballet) sont des
équilibres, mais l'un d'eux est préférable pour lui,
l'autre pour elle. Ces équilibres ne sont pas stables en ce sens que
chacun des joueurs à intérêt à ne pas jouer la
stratégie qui lui est défavorable afin d'amener l'autre à
jouer l'autre stratégie d'équilibre.
Remarquons que, pour ce jeu, une solution consiste à
aller au match une fois sur deux et au ballet une fois sur deux, ou encore si
le jeu n'est pas répété, à tirer à pile ou
face le spectacle où aller. Cette solution est un équilibre
corrélé ; c'est un concept de solution faisant intervenir
des stratégies corrélées qui est adapté à
certains jeux coopératifs.
Le concept de solution le plus répandu pour les jeux
coopératifs est défini dans le cas où des paiements
latéraux sont possibles ( partage des gains pour former des coalitions).
Le Noyau ou Coeur ( deux traductions discutables de l'anglais
« Core ») caractérise un ensemble de coalitions qui
est stable dans le sens où les joueurs n'ont pas intérêt
à quitter ces coalitions pour en former d'autres. il n'y a
malheureusement pas de théorème général de non
vacuité du noyau.
Un autre concept de solution pour les jeux où la
coopération est possible est caractérisé par la valeur de
SHAPLEY. La valeur de SHAPLEY attribue à chaque joueur un nombre qui
représente son pouvoir dans la formation des coalitions, ou encore une
valeur qu'il attribue au jeu ( semblable au maximum des gains minimaux qu'il
peut obtenir) et qui est fonction du pouvoir que lui donne la structure du jeu
pour se coaliser avec d'autres joueurs.
Nous allons essayer, dans ce qui suit, d'éclairer
chacun de ces concepts ainsi que d'autres qui ne sont pas
évoqués.
2-3-1-Jeux non coopératifs
Comme l'avait bien définit Hervé MOULIN, un
contexte non coopératif est celui dans lequel
« les joueurs se comportent comme s'ils n'avaient pas conscience de
leur interdépendance stratégique : ils envisagent de changer
de stratégie sans pouvoir anticiper la réaction des autres
joueurs à ce changement, donc en supposant qu'ils ne réagiront
pas .... Tout se passe comme si les joueurs ne ressentaient pas les effets
externes de leur comportement, ne tenaient pas compte de l'influence qu'ils
pourraient ainsi acquérir sur les autres joueur. »6(*)1
La forme normale d'un jeu se prête
particulièrement bien à l'analyse des jeux dans un contexte non
coopératif à information complète. Dans un tel contexte,
les stratégies des joueurs correspondent en effet à une
description satisfaisante de leurs comportements : le choix d'une
stratégie correspond au choix d'une suite d'actions et le critère
est sans ambiguïté la maximisation du gain associé à
une suite d'actions.
Le concept de solution qui s'impose pour l'analyse de tels
jeux est celui d'équilibre de NASH6(*)2 : C'est une liste des gains des joueurs (
c'est à dire une case du tableau de la forme normale du jeu) qui
correspond à une liste de stratégies pour chaque joueur telles
que aucun changement unilatéral de stratégie par l'un des joueurs
ne lui permettrait d'augmenter son gain. On peut dire aussi qu'un
équilibre de NASH est une liste de stratégie de chacun des
joueurs telle qu'aucun d'eux n'a d'incitation à en changer
unilatéralement.
Nous allons présenter la définition formelle
d'un équilibre de NASH à travers l'exemple de deux jeux, à
savoir le jeu à deux joueurs et le jeu à n joueurs.
Définition 1 : Pour un
jeu à deux joueurs dont les ensembles de stratégies sont X
et Y et les fonction de gains : U1 : X x Y et
U2 : X x Y
* 59 - KAST R. (2002), La
théorie de la décision, la Découverte, juin.
* 60 - l'exemple est de
KREPS D. (1999) op.cit.
* 61 - MOULIN H.(1981),
op. cit p 58
* 62 - NASH J. F.
(1950b), « Equilibrium Points in n-person Games »,
Proceeding of the National Academy of Sciences fo the USA, 36,
P. 48 - 49.
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