B- L'absence de véritable sanction de la
violation du délai raisonnable
Les procédures pénales sont soumises à un
principe général de célérité qui implique le
respect d'un délai raisonnable. Mais, la réalité en est
tout autre. En effet, certaines personnes, partie ou non au procès
pénal font recours à des manoeuvres dilatoires ou abusives
à dessein dans le but de ralentir la procédure pénale. Il
s'agit de la violation du délai raisonnable. Des questions s'imposent :
Qu'est-ce qu'une procédure abusive ? Qu'est-ce qui constitue
véritablement une procédure dilatoire ? Ces interrogations
restent sans réponses car, le législateur ne les a pas
prévues dans les Codes pénal et de procédure
pénale.
La violation du délai raisonnable doit être
sanctionnée afin de dissuader d'éventuels contrevenants. Sur ce,
qu'il s'agisse d'un justiciable, de son conseil, des autorités
politiques, administratives, parlementaires, judiciaires ou militaires, la
rigueur de la loi pénale doit leur être appliquée. Le
législateur n'a regrettablement pas prévu de sanctions pour la
répression de la violation du délai raisonnable. Cette situation
se relève à plusieurs niveaux.
D'abord, le législateur n'a pas prévu de
sanctions pour réprimer l'interférence de l'Etat dans l'exercice
du travail du juge alors que certains responsables politiques font obstruction
à la justice pénale dans leurs intérêts.
L'interférence dans le travail du juge constitue une atteinte à
son indépendance.
86 ROUMIER (W.), Mise en oeuvre de la loi du
9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité, Droit pénal, avril 2005.
87 CPP Sénégal.
SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la
justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page
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Ensuite, le législateur n'a pas non plus prévu
de sanctions pour les justiciables et leurs conseils en cas de violation du
délai raisonnable. Dans ce cas, dans quelle mesure la
responsabilité pénale du justiciable ou de son avocat peut-elle
être engagée ?
Enfin, il est à noter l'absence de dispositions
pénales devant punir les juges complices de la lenteur de la justice
pénale. Certes, le Code de déontologie dans lequel, sont
envisagées des sanctions à l'encontre des magistrats
véreux existe, mais il reste insuffisant. Par ailleurs, le Code
pénal dispose en son article 506 : « les autorités
politiques, administratives, parlementaires, judiciaires, militaires et les
magistrats ou tous fonctionnaires détenteurs d'une parcelle de
l'autorité publique qui se seront concertés pour influencer,
détourner ou s'opposer à l'exécution des lois sont de ce
seul fait punis d'une peine d'emprisonnement de six (06) mois à deux
(02) ans et d'une amende de cent mille (100 000) à deux cent mille (200
000) francs CFA ou de l'une de ces deux peines ». Cette disposition
ne constitue pas pour autant une sanction de la violation du délai
raisonnable.
De la sanction découle la réparation du
préjudice subi. Dans l'affaire des incendies des marchés de de
Kara et de Lomé les 11 et 12 janvier 2013, il faut rappeler que certains
citoyens ont été arrêtés et détenus en prison
et relaxés six (6) ans après, sans procès. Aucune
indemnisation ne leur a été versée en réparation du
préjudice subi en raison de leur incarcération. Nombre de
togolais ont à l'époque, porté un regard accusateur
à l'encontre de l'Etat et estimé que les arrestations
orchestrées contre ces citoyens n'étaient que politiques. Au
regard de cette situation, la question à se poser est de savoir si la
justice togolaise a dit le droit ? Quelle est la responsabilité de
l'Etat dans cette affaire ? En tout état de cause, face à ce
fléau, il est impératif, comme c'est le cas au
Sénégal de trouver des voies et moyens pour
l'accélération des procédures.
On assiste de plus en plus à la condamnation des Etats
pour leur lenteur judiciaire. Dans cette perspective, le Professeur
François CHEVALLIER disait que « la France est
régulièrement condamnée à ce titre devant la Cour
Européenne des droits de l'homme »88. A
titre illustratif, un requérant a obtenu la condamnation de la France
pour violation du délai raisonnable89. Ce qui a d'ailleurs
valu à l'état français le qualificatif d'un des plus
mauvais élèves en la matière. Au Togo par contre, les
sanctions contre la violation du délai raisonnable sont
quasi-inexistantes.
88 CHEVALIER (F.), « le droit au
juge devant les juridictions administratives » in Joël RIDEAU,
Le droit au juge dans l'union européenne, 1998, p. 186.
89Cass. Crim, 3 février 1993,
n°92-83.443.
SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la
justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page
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En réprimant les entraves au bon fonctionnement de la
justice90, le législateur national a omis de sanctionner en
prévoyant des peines d'amendes et d'emprisonnement à l'encontre
des auteurs de la lenteur de la justice pénale. L'absence de sanction de
la violation du délai raisonnable constitue une véritable entorse
à son respect. Cette lacune du droit pénal togolais est de nature
à favoriser la violation permanente du délai raisonnable tout en
occasionnant l'impunité dans un pays où la lenteur dicte
inexorablement sa loi dans une justice ternie souvent par des maux dont elles
souffrent.
Il résulte de tout ce qui précède que le
délai raisonnable est un droit fondamental, un fondement d'une bonne
justice. Toutefois, il connaît dans la pratique des violations qui
constituent les obstacles de droit à la célérité de
la justice. D'autres obstacles à savoir, les obstacles de fait endiguent
considérablement l'exécution de la justice pénale dans un
délai optimal.
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