III.2. IRVIN KORR
Irvin Korr (1909-2004) a été l'un des
physiologistes les plus prometteurs de son époque. Il a tenté de
développer scientifiquement la philosophie de Still. Il a publié
des travaux neurophysiologiques dans le domaine des réflexes
somato-viscéraux, a démontré que les organes internes
servent à maintenir le système musculo-squelettique en marche et
que la plupart des causes des maladies y sont localisées.
Selon lui [24], l'ostéopathie est fondée sur quatre
principes essentiels :
1. « Les articulations et les tissus de soutien sont
sujets à des dérèglements anatomiques et fonctionnels.
»
2. « Ces dérèglements ont des
répercussions locales et des répercussions à distance.
»
3. « Ces dérèglements sont en relation
directe ou indirecte avec d'autres facteurs pathologiques. »
4. « On peut déceler ces
dérèglements, et on peut influencer favorablement leurs
répercussions locales et systémiques. Celles-ci peuvent
être décelées et favorablement influencées par des
manipulations. »
Les dysfonctions se manifestent par des
phénomènes locaux ou à distance : une
hypersensibilité musculaire et vertébrale, des modifications du
comportement musculaire, des altérations de la texture des tissus
musculaires, conjonctifs et de la peau, des variations de la circulation locale
et des échanges entre le sang et les tissus, ainsi que des
altérations dans les fonctions viscérales et autres fonctions
végétatives.
Au niveau neurologique, deux principes essentiels sont
à comprendre concernant le contrôle d'une activité
efférente :
- Selon le principe de réciprocité, chaque
neurone peut influencer et peut être influencé par presque tous
les autres neurones du corps ;
Impact de la sursollicitation ostéopathique chez les
étudiants en ostéopathie, Franceschi Nina, COP AM,
2019-2020
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9
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- Le principe de convergence établit que de nombreuses
fibres convergent vers chaque neurone moteur et s'articulent avec ceux-ci,
ainsi les fibres présynaptiques conduisent des influx en provenance de
nombreux points d'origines différentes vers le neurone efférent
qui, par conséquent, représente une voie finale.
Anciennement, nous parlions de lésion
ostéopathique, mais ce terme a été modifié pour
éviter de confondre la dysfonction ostéopathique avec une
lésion tissulaire de l'ordre de la pathologie médicale. Par
définition, la dysfonction ostéopathique est la restriction de
mobilité d'un élément autour d'un point de ralentissement
qui respecte les limites physiologiques de l'articulation et qui se
caractérise par sa quantité (distance) et sa qualité
(densité, élasticité) : la dysfonction est donc
nommée par le plus grand sens de mobilité retrouvé dans ce
système.
De plus, Korr souligne que la sur-stimulation chronique des
neurones efférents « peut donc entrainer des perturbations
fonctionnelles dans les tissus ou organes qu'ils innervent », et que ces
effets ne sont pas toujours immédiats, mais qu'ils sont
prédominants, en engendrant un état inflammatoire des tissus, une
altération de la circulation capillaire, ainsi que des troubles de tout
le système digestif, ce qui impacterait l'homéostasie du corps
tout entier.
Les démarches de ces pionniers prennent tout leur sens
dans mon étude, car dans notre pratique quotidienne, en particulier lors
des travaux dirigés (T.D.), nous sommes amenés à manipuler
de nombreuses fois par jour les mêmes zones, la plupart du temps non
douloureuses, à y rechercher des dysfonctions, et parfois même
à traiter plusieurs fois des dysfonctions qui ne seraient sans doute pas
présentes si cette zone n'avait pas été autant
stimulée auparavant, que ce soit indirectement par les manipulations du
système viscéral ou directement par les mobilisations du
système musculo-squelettique.
Les étudiants en ostéopathie sont sans
arrêt manipulés, testés, traités, corrigés,
pour les bienfaits de leur enseignement et de leur apprentissage : quels sont
les effets de cette sursollicitation ? quelles solutions pouvons-nous apporter
pour améliorer leur prise en charge ?
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Impact de la sursollicitation ostéopathique chez les
étudiants en ostéopathie, Franceschi Nina, COP AM,
2019-2020
Objectifs
La prise en charge ostéopathique est une solution
durable à de nombreux maux. Cependant, elle comporte des risques dans
certaines circonstances et peut engendrer des effets secondaires souvent
éphémères, mais qui peuvent se révéler
à distance et sur le long terme quand la prise en charge est
réalisée de façon excessive.
Par cette étude, je souhaiterai démontrer
l'influence de la récidive des manipulations ostéopathiques sur
l'axe rachidien et le bassin des étudiants en ostéopathie.
J'aimerai trouver des solutions alternatives à leur
prise en charge tout en continuant d'avoir un apprentissage complet du panel de
tests et techniques ostéopathiques, ainsi que la possibilité de
pouvoir développer le « toucher » tout au long du cursus.
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Impact de la sursollicitation ostéopathique chez les
étudiants en ostéopathie, Franceschi Nina, COP AM,
2019-2020
Matériel et méthode
Nous étudions les étudiants en
ostéopathie de la première à la cinquième
année. Ils sont répartis en deux groupes supposément
équitables et équilibrés :
- La population A est composée d'étudiants de
première, deuxième et troisième années ; - La
population B est composée d'étudiants de quatrième et
cinquième années.
Cette répartition a été choisie en lien
avec l'Annexe 2 (Maquette de formation en ostéopathie) de
l'Arrêté du 12 décembre 2014 relatif à la formation
en ostéopathie (JORF n°0289 du 14 décembre 2014) [25] qui
décrit précisément les axes de formation et leur volume
horaire par année. Après analyse, nous observons que le volume
horaire de l'axe de formation « 5 - Pratique Ostéopathique »
en quatrième année ne représente que 110 heures sur les
976 heures de formation, soit 11,27%, et qu'aucune heure ne lui est
consacrée en cinquième année sur les 966 heures de
formation. Tandis qu'en première année, 380 heures sur 952 lui
sont consacrées (39,91%), 428 heures sur 996 en deuxième
année (42,97%), et 348 heures sur 970 en troisième année
(35,87%). Nous en déduisons donc que les étudiants de
première, deuxième et troisième années passent plus
d'un tiers de leur formation à pratiquer et affiner les tests et
manipulations ostéopathiques qui leur sont enseignés en T.D., et
c'est donc autant de manipulations qui peuvent avoir des répercussions
sur leur système ostéo-articulaire.
De plus, nous choisissons de nous orienter sur l'axe rachidien
et le bassin qui représentent 590 heures de formation cumulées
sur 1156 entre les trois premières années de formation, soit
51,03%. Plus de la moitié des manipulations réalisées
concernent le rachis et le bassin, il nous parait donc évident de porter
notre étude sur ces zones les plus étudiées.
Concernant la « Formation pratique clinique », en
première et deuxième années, les étudiants sont en
« Stage d'observation et découverte du métier » pendant
respectivement 50 et 70 heures, et sont donc amenés à
découvrir et observer la pratique des consultations
ostéopathiques dans la clinique interne de l'école. Cependant,
ils ne sont pas seulement observateurs, mais sont aussi de potentiels patients
pour les étudiants en fin de cursus à chaque présence en
clinique interne.
La tranche d'âge étudiée est 18-26 ans, et
fait référence à l'Enquête Nationale sur les
Conditions de Vie des Étudiant-e-s de 2016 menée par
l'Observatoire National de la Vie Étudiante [26] qui a relevé que
83,6% des étudiants ont entre 18 et 26 ans contre seulement 3,7%
d'étudiants âgés de moins de 18 ans, et 12,7%
d'étudiants âgés de plus de 26 ans.
Nous définissons deux populations « témoins
» recrutées au Centre de Soins Ostéopathiques selon le
même mode de recrutement que les populations A et B :
- La population C est composée d'étudiants de
Licence 1, 2 ou 3 ;
- La population D est composée d'étudiants de
Master 1 ou 2.
Le mode de recrutement s'effectue par un questionnaire
d'inclusion nominatif (Annexe 1) délivrant des réponses
aux critères d'inclusion et d'exclusion décrits ci-dessous :
- Critères d'inclusion
o Étudiant-e de la Licence 1 au Master 2
âgé-e de 18 à 26 ans inclus.
- Critères d'exclusion
o Pathologies vertébrales et du bassin telles que
scoliose, tumeur maligne, ostéoporose, syndrTMme de la queue de cheval,
radiculalgie, ostéomyélite, fracture vertébrale ou du
bassin, hernie discale, tassement vertébral, cancer, spondylarthrite
ankylosante... ;
Impact de la sursollicitation ostéopathique chez les
étudiants en ostéopathie, Franceschi Nina, COP AM,
2019-2020
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|
o Antécédents de chirurgie du rachis ou du bassin
;
o Contre-indications aux manipulations ostéopathiques
[27] [28] ;
o Plus de trois manipulations ostéopathiques par un
ostéopathe D.O. entre janvier 2019 et juin 2020.
Afin d'évaluer la présence de douleurs
rachidiennes et/ou du bassin, ainsi que ses répercussions sur la
qualité de vie, nous utilisons l'Auto-questionnaire de Dallas (D.R.A.D.)
(Annexe 2). Cette échelle est la traduction française du
« Dallas Pain Questionnaire » de Lawlis, Cuencas, Selby et McCoy
[29]. La version utilisée est traduite et validée par la Section
Rachis de la Société Française de Rhumatologie. Ce
questionnaire se base sur l'évaluation des douleurs du rachis, mais ses
liens anatomiques avec le bassin nous ont permis d'en étendre son
appréciation.
Le formulaire explore quatre aspects de la vie courante :
activités quotidiennes, travail et loisirs, dépression et
anxiété, et sociabilité. Ces aspects sont traités
par 16 questions à coter sur une échelle visuelle analogique
divisée en cinq à huit segments.
Les résultats des différentes échelles
numériques permettent d'établir le pourcentage d'impact
de la douleur sur chacun des quatre composants selon
l'échelle de Dallas :
- Items 1 à 7 : répercussion sur les
activités quotidiennes ;
- Items 8 à 10 : répercussion sur le rapport
activités professionnelles/loisirs ;
- Items 11 à 13 : répercussion sur le rapport
anxiété/dépression ;
- Items 14 à 16 : répercussion sur la
sociabilité.
Le détail des formules utilisées pour le calcul des
différents scores est décrit ci-dessous :
- Total des items 1 à 7 * 3 = pourcentage (%) de
répercussion sur les activités quotidiennes ;
- Total des items 8 à 10 * 5 = pourcentage (%) de
répercussion sur le rapport activités professionnelles/loisirs
;
- Total des items 11 à 13 * 5 = pourcentage (%) de
répercussion sur le rapport anxiété/dépression ;
- Total des items 14 à 16 * 5 = pourcentage (%) de
répercussion sur la sociabilité.
Le D.RA.D. est distribué à deux reprises, afin
de noter l'évolution de la douleur et de ses répercussions :
- Une première fois au mois d'octobre à tous les
groupes (J1) ;
- Une seconde fois au mois de février aux étudiants
en ostéopathie seulement (J2).
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Impact de la sursollicitation ostéopathique chez les
étudiants en ostéopathie, Franceschi Nina, COP AM,
2019-2020
Résultats
345 étudiants ont répondu au questionnaire
d'inclusion, et 220 ont été inclus dont 83 pour la population A,
60 pour la population B, 39 pour la population C et 38 pour la population D.
Une randomisation par tirage au sort sans remise est effectuée afin
d'obtenir 38 étudiants dans chaque population.
345 répondants
|
125 exclus
|
220 inclus
|
PopA
|
PopB
|
PopC
|
PopD
|
83
|
60
|
39
|
38
|
RANDOMISATION
|
38
|
38
|
38
|
38
|
Figure 2 : Tableau
récapitulatif du nombre d'étudiants inclus et exclus.
I. LES DOULEURS RACHIDIENNES ET/OU DU BASSIN CHEZ
LES
ETUDIANTS
Présence ou absence de douleurs rachidiennes
et/ou du bassin chez les étudiants à J1
100%
|
90%
|
89,5%
10,5%
|
|
94,7%
|
|
71,1%
28,9%
|
|
|
80%
|
|
|
|
|
70%
|
|
|
|
|
60%
|
|
|
|
63,2%
|
50%
|
|
|
|
|
40%
|
|
|
|
|
30%
|
|
|
|
|
|
20%
|
|
|
|
|
10%
|
|
|
|
36,8%
|
0%
|
|
|
|
|
5,3%
|
PopA PopB PopC PopD
|
Absence de douleurs Présence de douleurs
|
p £ 0.001
|
Figure 3 : Présence ou
absence de douleurs rachidiennes et/ou du bassin chez les étudiants
à J1.
Nous observons que, dans les populations A et B
représentant les étudiants en ostéopathie, il y a
respectivement 89.5% et 94.7% d'étudiants qui présentent des
douleurs du rachis et/ou du bassin lors de la première phase de
l'étude (J1), contre respectivement 71.1% et 63.2% chez les
étudiants hors ostéopathie (populations C et D).
Impact de la sursollicitation ostéopathique chez les
étudiants en ostéopathie, Franceschi Nina, COP AM,
2019-2020
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|
Présence ou absence de douleurs rachidiennes
et/ou du bassin chez les étudiants à J1
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
67,1%
32,9%
92,1%
7,9%
Etudiants en ostéopathie Etudiants hors
ostéopathie
Absence de douleurs Présence de douleurs
|
p £ 0.001
|
Figure 4 : Présence ou
absence de douleurs rachidiennes et/ou du bassin chez les étudiants
à J1.
En moyenne, 92.1% des étudiants en ostéopathie
présentent des douleurs du rachis et/ou du bassin, contre 67.1% des
étudiants hors ostéopathie.
Le test de liaison X2 avec 1 ddl donne
X2 3 10.827, ce qui permet d'obtenir p £ 0.001 : la liaison est
statistiquement significative entre la présence de douleurs rachidiennes
et/ou du bassin et le fait d'être étudiant en ostéopathie,
et il y a moins de 1 chance sur 1000 que la distribution résulte du
hasard.
Le calcul du coefficient Q de Yule obtient 0.92, ce qui
signifie que l'intensité de liaison entre la présence de douleurs
rachidiennes et/ou du bassin et le fait d'être étudiant en
ostéopathie est très forte (0.70 £ Q £ 1).
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Impact de la sursollicitation ostéopathique chez les
étudiants en ostéopathie, Franceschi Nina, COP AM,
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