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PCA et crise sanitaire


par Mathieu Giusiano
Université Aix-Marseille  - Master Qualité et Gestion des Risques 2020
  

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3. Crise et incertitude

Dans son ouvrage Pour une crisologie, le sociologue et philosophe français Edgar Morin met en relation le phénomène de crise et la notion d'incertitude. En cela, il écrit « C'est bien le premier sens qu'apporte avec lui le mot crise : le surgissement de l'incertitude là où tout semblait assuré, réglé, régulé, donc, prédictible »1

L'incertitude peut être défini à la fois comme une situation imprévisible en sus de l'existence d'un état incertain. Selon le sociologue et chercheur Y. Chalas, l'incertitude est l'« inconnu et l'inattendu généralisés ». La notion d'incertitude qualifie de fait des situations pour lesquelles la « connaissance des différents scénarios possibles ainsi que leurs conséquences, est limitée, voire inexistante » (Haddad, Benois, 2014). Elle est également décrite comme une situation qui résulte du mélange entre insuffisance des connaissances scientifiques et imprévisibilité des effets, provenant du caractère complexe de cette même situation (Chailleux, 2016).

Ainsi, comme nous avons pu le voir précédemment, tandis que la crise correspond à une prise de décision, l'incertitude quant à elle renvoi à l'incapacité de décider. De ce fait, bien que la notion de crise et celle d'incertitude puissent se compléter, cette discordance tend à engendrer une incapacité à agir de manière rationnelle en période de crise. A cette notion d'incertitude peut s'ajouter l'inimaginable (ou inconcevable) qui rendent les acteurs incapables, à un moment donné, de se figurer l'événement à venir, un événement « hors-cadre», qui demande un changement radical dans la manière de concevoir et de mettre en oeuvre une gestion de crise. L'économiste J. Keynes résuma l'incertitude en 1937 en disant « we simply don't know ».

1 Morin, 1984 [1981a], p.326)

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L'incertitude peut provenir de l'écart entre le volume d'information requis pour l'exécution des tâches et le volume d'information détenu par les acteurs organisationnels concernant les différentes données du problème auquel ils font face. En cela, la prise de décision en période de crise est fortement corrélée avec l'information collectée et l'interprétation qui en est faite par les décideurs. Cette prise de décision peut également être influencée par le caractère d'urgence qu'engendre la situation de crise. En complément de ces éléments, le théoricien Karl E. Weick développe la notion de sensemaking. Ses recherches portent sur la capacité à détecter des anomalies afin d'adapter son action de manière appropriée au cours d'une situation incertaine1. Le sensemaking correspond donc à la création de sens, la construction du sens en situation de crise et de catastrophe entrainant la perte de repères. A travers son étude, Karl E. Weick apporte de l'importance à la qualité des interactions entre les membres d'un collectif de travail au sein d'une organisation. Il découle de son analyse quatre facteurs pouvant influer cette construction du sens.

· Les facteurs individuels : il s'agit de la capacité à repérer, sélectionner et interpréter les indices essentiels permettant la compréhension d'une situation de crise dans un contexte d'incertitude.

· La situation de travail : la charge cognitive ou charge mentale (John Sweller et Fred Paas) peut également rendre les gens moins attentifs à d'éventuels indices permettant la compréhension de la situation.

· Le collectif de travail : la qualité des interactions entre les collaborateurs peut apparaitre comme un frein dans le processus de fabrication du sens. En effet, les niveaux hiérarchiques, l'absence de variété de point de vue et de compétences sont autant de variables pouvant réduire la compréhension de la situation via la recherche collective de sens.

· Les processus d'organisation : il s'agit ici de la culture organisationnelle, les systèmes de management, les attentes de la direction ou encore le pilotage de celle-ci pouvant influencer la fabrication du sens.

1 Karle E. Weick, «Sensemaking in Organizations», Sage, Thousand Oaks, 1995

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La notion de sensemaking et d'incertitude sont étroitement liée. En effet, en période de crise, l'incertitude est omniprésente, notamment lors de la phase chronique (S. Fink). De ce fait, la création de sens parait primordiale pour le gestionnaire en charge d'établir des plans d'actions. En effet, la qualité, la pertinence et la quantité d'informations sont essentielles dans le processus décisionnel.

B. Notion de crise sanitaire

Edgar Morin (2020) déclare dans le journal Le Monde « Cette crise nous pousse à nous interroger sur notre mode de vie, sur nos vrais besoins masqués dans les aliénations du quotidien ».

Après avoir cerné les dimensions d'une crise, la multitude des formes qu'elle peut prendre et les visions que les gestionnaires peuvent s'en faire, il convient à présent de s'intéresser plus en détail à la crise sanitaire. Pour cela, nous définirons tout d'abord ce qu'est une crise sanitaire, comment elle apparait et par quels canaux elle peut se développer et se transmettre.

1. Définition d'une crise sanitaire

Jean François Girard dans son Rapport sur la Mission d'Evaluation et d'Expertise de la Veille Sanitaire en France définit la crise sanitaire comme « une situation qui menace les buts essentiels des unités de prises de décisions, qui réduit le peu de temps disponible pour cette prise de décision et dont l'occurrence surprend les responsables ». La crise apparait comme une menace pour l'état de santé d'une population qui nécessite une réponse adaptée du système de santé. La terminologie de crise provient de deux caractéristiques : l'état d'urgence de la situation et le caractère inédit du risque de par sa nature, son ampleur ou sa localisation ayant conduit à l'apparition de cette crise. L'origine du risque sanitaire quant à elle peut provenir de plusieurs canaux dont la consommation d'aliments ou de produits nocifs sur la santé, une catastrophe naturelle, une pollution de l'environnement, une épidémie, etc.

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La notion de crise sanitaire est donc fortement corrélée à un problème de santé publique. De ce fait, des dispositifs de veille et d'alerte sont mis en oeuvre afin de collecter des données par l'existence d'indicateurs de morbidité, de mortalité et d'exposition. Pour cerner véritablement l'apparition d'une crise sanitaire, il faut se baser sur certains critères :

· La fréquence : le nombre d'individu concerné doit être relativement important ;

· La gravité : le problème de santé peut entrainer un bousculement important dans la qualité de vie de l'individu au niveau social mais aussi en raison d'une invalidité pouvant aller jusqu'au décès ;

· Les conséquences sur le système de soin : le phénomène nécessite une forte mobilisation en ressources et en énergies de la part des professionnels.

Un dispositif de veille est également essentiel pour se prémunir de l'apparition soudaine d'une crise sanitaire. Selon l'Institut de Veille Sanitaire française, la veille consiste en une « collecte et une analyse, en continu, [...] de signaux évoquant un risque pour la santé publique, dans une perspective d'alerte, d'anticipation et d'action précoces ». La veille est primordiale dans le système de santé, et c'est la raison pour laquelle elle se fait à différents échelons. De nombreuses institutions telles que les Cellules interrégionales d'épidémiologies (CIRE), l'Institut de Veille Sanitaire, ainsi que les Directions Départementales des Affaires Sanitaires et Sociales coopèrent pour relever les signaux d'alerte d'un risque sanitaire afin d'en évaluer la menace qui peut peser sur la santé de la population.

Par ailleurs et dans l'objectif de cadrer l'évolution de la situation sanitaire, il existe trois niveaux d'alerte.

- Niveau 1 : Il s'agit ici d'une gestion courante des alertes sanitaire. Les conséquences sont minimes pour la santé de la population et par conséquent la situation ne nécessite que peu de moyens humains et financiers. L'intervention de l'Organisation Mondiale de la Santé est elle aussi minime.

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- Niveau 2 : Le Centre Opérationnel de Régulation et de Réponses aux Urgences Sanitaires et Sociales (CORRUSS) est renforcé d'une équipe dédiée à la gestion d'un évènement particulier ayant un impact sanitaire significatif. La situation nécessite une action modérée autant au niveau national que par l'OMS.

- Niveau 3 : l'évènement a des conséquences importantes sur la santé publique. Ce niveau s'accompagne de l'activation du centre de crise sanitaire en raison du caractère exceptionnel de la situation. Cela passe notamment par la mise en place d'une cellule de gestion de crise active 7 jours sur 7. De plus, L'OMS propose une aide de grande envergure et une équipe d'appui issue de l'OMS est apportée dans les pays touchés par la crise.

2. Du signal d'alerte à la notion de crise sanitaire

Comme nous avons pu le constater précédemment, pour parvenir à une situation de crise sanitaire, des signaux d'alerte doivent être reconnus par les institutions tant au niveau local, que national et international. En effet, une alerte de santé publique ne peut se faire que par l'existence d'un signal vérifié représentant une menace pour la population. Le Rapport d'un groupe de travail de l'Institut de la Veille Sanitaire en mai 2005 définit le système sanitaire comme « une surveillance épidémiologique qui vise à détecter le plus précocement possible tout événement sanitaire anormal représentant un risque potentiel pour la santé publique, quelle qu'en soit la nature ». L'objectif est donc de prévenir l'apparition de risques sanitaires pouvant conduire à un état de crise, et également d'établir des mesures afin d'alerter et protéger la population sur ce phénomène.

Ainsi, pour assurer le bon fonctionnement du système d'alerte, il convient de vérifier le signal en lui-même, c'est-à-dire sa pertinence, et l'évaluation de la menace et les risques qui peuvent peser sur la population. La première étape consiste en une détection des signaux qui peuvent être de natures variables :

· Signaux en rapport avec le signalement d'une maladie à déclaration obligatoire ;

· Signaux détectés par un système de surveillance (notamment via les indicateurs de mortalité et de morbidité) ;

· Signaux notifiés ou détectés en relation avec un évènement de santé ;

·

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Signaux notifiés ou détectés en relation avec une exposition ;

· Signaux d'origine interministérielle, européenne ou internationale.

Dans un second temps et après avoir analyser d'où provenait le signal d'alerte, il convient de s'attarder sur la portée et l'intensité du signal. Cette analyse peut s'effectuer selon différents niveaux :

· L'alerte de portée nationale : l'importance ou la portée du risque dépasse le cadre local, il sera donc nécessaire de coordonner la situation au niveau régional ou national ;

· Alerte de portée locale avec appui : bien que la portée ne soit que locale, l'évaluation de la situation ou la prise en charge de celle-ci nécessite un appui extérieur ;

· Alerte de portée locale nécessitant une information : L'alerte se situe au niveau local, toutefois bien que la situation soit gérée par la Direction départementale des Affaires sanitaire et sociales, des informations doivent également provenir du niveau national afin de cerner la menace de la situation sanitaire ;

· Alerte de portée locale : ici l'alerte est gérée par la Direction départementale des Affaires sanitaire et sociales ;

· Alerte non confirmée : le signal d'alerte n'apparait pas comme une menace et n'engendre donc pas de risque pour la santé d'une population.

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Il est possible de représenter l'évaluation de la portée du signal d'alerte via un logigramme.

Evaluation de la portée des signaux d'alerte sanitaire

Figure 1 : Contribution de l'InVS à l'élaboration du Plan Régional de Santé Publique, 2005

Nous avons pu constater qu'un risque sanitaire pouvait provenir de différents canaux. Pour faire face à une crise sanitaire liée à une épidémie, le gouvernement français développe une stratégie opérationnelle issue du Plan de Prévention et de Lutte Pandémie Grippale. La démarche consiste à mettre en oeuvre des actions qui seront déployées jusqu'à trois stades différents en fonction de l'évolution et la gravité de la crise sanitaire.

Ø Stade 1 : Freiner l'introduction du virus sur le territoire

A ce stade, une stratégie préventive est déployée dès la détection de premiers cas avérés sur le territoire national. Il s'agit d'endiguer la propagation de l'épidémie sur une plus large zone géographique et d'assurer une rapide prise en charge médicale des patients atteints. En appliquant le Règlement Sanitaire International (RSI), un contrôle s'opère également au niveau des frontières pour éviter une plus large introduction de l'épidémie sur le territoire national.

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Stade 2 : Freiner la propagation du virus sur le territoire

Lorsque les autorités ont connaissance de différents foyers répartis sur le territoire national, le stade 2 est enclenché. Ainsi, des mesures-barrières sont mises en place et une organisation plus stricte du système sanitaire s'opère sur les foyers concernés. C'est à cette étape que seront alloués des ressources spécifiques pour faire face à cette épidémie. Peuvent également être décidées les fermetures d'établissements scolaires.

Ø Stade 3 : Atténuer les effets de la vague épidémique

Lorsque le niveau épidémiologique dépasse le stade de foyers et s'étend sur l'ensemble du territoire national, le stade 3 est déclenché. Il s'agit d'éviter une pandémie et de limiter les conséquences sanitaires, humaines et économiques au niveau national. Des mesures drastiques sont alors prises, à savoir la fermeture des écoles mais également différents autres lieux publics pouvant aller jusqu'à des mesures de confinement total.

De ces différentes méthodes d'analyse de crise sanitaire, jusqu'aux moyens mis en oeuvre pour faire face à celle-ci, de nombreux acteurs institutionnels interviennent à la fois pour communiquer à la population sur les différentes décisions et à la fois pour organiser les plans d'actions.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus