CONCLUSION
Les différentes définitions et le manque de
théorie réelle en Francophonie autorisent les
interprétations diverses, et les usages les plus multiples, permettant,
ainsi, une méconnaissance de ce que devrait être exactement la
Francophonie. De nombreuses études ont tenté de la
légitimer, voire de la rendre plus explicite, sans vraiment convaincre.
Elle cherche à se doter d'un véritable fondement théorique
qui fera l'unanimité de tous ; et pourtant il continue d'exister un
désaccord chez les personnes censées être Francophones. Les
avis et les conceptions sont partagés. Il fallait de nouvelles pistes de
réflexions ou actualiser celles déjà faites pour mieux la
cerner. C'est dans cette logique que s'est inscrite notre étude dont le
thème est « La Francophonie et son expression dans la
poésie de Léopold Sédar Senghor ». Comme le
mentionne le thème de notre étude, il était question
d'observer comment la poésie de Senghor met en évidence le
concept de Francophonie. Mieux, il s'agissait d'étudier son
fonctionnement dans l'oeuvre de celui qui l'a plus plébiscitée.
Par ailleurs, il s'agissait, également, de savoir qui peut être
appelé Francophone, et, aussi, de définir les
caractéristiques de la poésie francophone.
Pour cela, il fallait avoir une définition exacte de la
Francophonie ou dire ce qu'elle représente vraiment depuis son emploi
premier par Onésime Reclus, en passant par la revue Esprit de
1962 et par Senghor pour arriver aux oeuvres poétiques de celui-ci. Nous
nous sommes dit qu'elles (les oeuvres poétiques) sont les mieux
placées pour mettre en lumière le concept de Francophonie. De ce
fait, nous sommes parti du constat, selon lequel le concept de Francophonie,
créé par Onésime Reclus fut réinventé par
Léopold Sédar Senghor pour en faire une vision humaniste, et un
concept de partage et d'échange culturel. Partant également de
l'hypothèse que Senghor renouvelle la Négritude en vue de forger
la Francophonie, comprise comme un instrument au service du dialogue
interculturel, nous avons décidé de mener la réflexion
autour de trois grands points, à savoir La Francophonie, un concept
sauvé de ses cendres ; La Francophonie dans la poésie de
Léopold Sédar Senghor ; et La francophonie, une
problématique identitaire chez Léopold Sédar
Senghor.
Dans la première partie, nous avons tenté de
comprendre le fonctionnement de la Francophonie chez Onésime Reclus,
dans la revue Esprit et sans oublier chez Léopold Sédar
Senghor. Nous avons montré qu'elle est un concept d'enracinement et
d'ouverture. Trois chapitres ont donc meublé cette partie.
Il est ressorti que la Francophonie, chez Onésime
Reclus, était la solution idoine au déclin de la langue
française dans le monde, et une communauté de colonies
françaises sur laquelle la France devrait compter pour le rayonnement et
l'universalité de sa langue, par le biais de l'assimilation des
colonies. Avec Onésime Reclus, la Francophonie était l'expression
de l'expansion française, c'est-à-dire de sa culture et de sa
langue.
458
Dans la revue Esprit, les auteurs manifestaient leur
volonté de construire une communauté culturelle, linguistique et
politique, incluant la France, le Canada et la Belgique ainsi que les anciennes
colonies françaises et belges, pour la défense et l'illustration
de la langue française, car cette langue n'était plus la
propriété exclusive de la France, mais de tous les pays, voire de
tous les peuples, qui en font usage quotidien.
Chez Senghor, elle n'était qu'un concept
résultant de la symbiose entre la Francité et la
Négritude, né sur les cendres de la Communauté
française, dont le but était de valoriser la fécondation
du français par les langues africaines ainsi que l'échange
fraternel entre les cultures. Ce qui signifie que la Francophonie chez lui est
la valorisation de la langue française, dans la diversité de ses
expériences et cultures qu'elle porte. Senghor va sauver la Francophonie
d'Onésime Reclus de ses cendres et la recarder selon sa vision de la
Civilisation de l'Universel. Par ce concept, Senghor appelle toutes les nations
qui font usage du français à réaliser la communauté
voulue par la revue Esprit.
De cette partie, nous retenons que la Francophonie, depuis son
origine reclusienne, était une invitation à l'enracinement et
à l'ouverture. Elle nous invite à avoir une base culturelle
solide chez soi pour mieux s'ouvrir à l'autre. Qu'elle soit
d'Onésime Reclus ou de la revue Esprit ou bien de Senghor, la
Francophonie était donc, à la fois, un concept et une
communauté de défense et d'illustration de la langue
française, voire un concept de métissage et de symbiose, et
complémentarité.
La deuxième partie a été le lieu de
déterminer les raisons plausibles qui ont fait basculer Senghor de la
Négritude à la Francophonie, mais surtout de cerner les
caractéristiques de la Francophonie dans la poésie senghorienne
afin de confirmer que celle-ci était le manifeste ou l'expression de la
Francophonie. Il a été, également, question de montrer que
la Francophonie est l'expression de la Civilisation de l'Universel. Trois
chapitres ont permis d'appréhender la Francophonie senghorienne.
Le choix senghorien de la Francophonie était non
seulement d'ordre historique, mais aussi personnel et culturel. Parce que la
France (l'Europe) et les autres pays où le français est
parlé (l'Afrique) ont une histoire commune, des impositions culturelles
propres, des modalités d'expression de leurs identités cousines,
ceux-ci ont décidé de se mettre ensemble. Mieux, parce qu'ils ont
eu le même type d'affirmation de ce qu'était la
réalité de leur identité, c'est-à-dire le
métissage, ils ont envisagé de former une communauté
culturelle de parlants français. La Francophonie est ainsi née.
Elle est une somme de liens tissés entre différents peuples,
librement acceptés par tous, au cours d'une rencontre historique, et qui
ont décidé de converger tous, ensemble, vers un même
idéal. Par la Francophonie, Senghor entendait concilier l'homme noir et
l'homme blanc dans une parfaite harmonie, parce que l'histoire l'a voulu
ainsi.
L'autre raison avancée par Senghor était d'ordre
personnel, et cela concernait la langue française. Bien que la langue
française soit une langue de clarté et de précision,
Senghor a voulu en faire une langue rationnelle et intuitive. Pour cela, il a
fallu qu'il introduisît des vocables de son terroir dans la langue
française. Nous avons appelé ce nouveau type de langue le
français africanisé, et il devrait être la langue des
francophones, puisqu'il est une langue non française non africaine,
459
mais les deux à la fois. Sur le plan culturel, la
Francophonie, voulue par Senghor, était cette Négritude
conciliable avec une hybridité culturelle qui fait des valeurs
spécifiques dont était porteur le peuple noir une alliance avec
les valeurs occidentales pour une donnée positive. Elle était une
version de la Négritude senghorienne qui s'était élargie
avec le temps au métissage des cultures par sa rencontre avec la
Francité, pour aboutir à la Civilisation de l'Universel. Cette
Civilisation de l'Universel est le fruit de l'union des civilisations africaine
et occidentale qui ont donné toutes leurs contributions afin que cette
civilisation se transmute en Francophonie. Pour cela, elle doit briser les
remparts de la différence, de la supériorité, les
frontières entre Nations, États et peuples pour n'établir
que l'égalité, la complémentarité, le rapprochement
et l'unité dans la diversité.
La Francophonie est le fait d'accepter la civilisation des
Blancs tout en l'adaptant aux réalités africaines. De ce fait,
nous pouvons dire que le choix de la Francophonie est dû au constat que
les Noirs (les Africains) peuvent apporter leur contribution à la
Civilisation de l'Universel. Cette contribution serait l'apport de leur rythme,
de leur chaleur émotionnelle, de leur culture et de leur intuition. Pour
construire la Civilisation de l'Universel, c'est-à-dire la Francophonie,
il faut à la raison discursive (la Francité) la contribution de
la raison intuitive (la Négritude). Le mélange de la
Francité et de la Négritude était souhaitable pour faire
advenir une humanité renouvelée, une civilisation panhumaine.
Nous notons aussi que Senghor a ressenti le besoin, au plus
profond de lui-même, de fonder une assemblée de tous les peuples
de la terre, voire de toutes les races ; une communauté à la fois
composite et homogène ; une communauté où tous les hommes
seront frères ; une communauté organisée et
structurée, en vue de défendre et d'illustrer une langue
française fécondée par les apports linguistiques divers
afin de la rendre plus universelle. Elle était le résultat d'une
histoire, celle de la France et ses colonies et protectorats ; de
l'idéal d'un homme, celui de Léopold Sédar Senghor ; d'une
symbiose culturelle et d'une langue métisse. En d'autres mots, la
Francophonie senghorienne désignait tous les locuteurs de la langue
française, qui en ont hérité par l'histoire, qui l'ont
choisi ou plus simplement l'aiment sans pour autant le maîtriser, et qui
l'enrichissent chaque jour de leurs apports linguistiques et culturels sur les
cinq continents, et qui ont décidé, également, de partager
ensemble des valeurs humanistes héritées de la Francité et
de la Négritude. La Francophonie senghorienne consiste à
s'enraciner dans les valeurs de la Négritude et de la Francité et
à s'ouvrir à d'autres valeurs par
complémentarité.
La dernière partie de la réflexion est
portée sur la question identitaire chez Léopold Sédar
Senghor et sur la poésie francophone. Pour répondre à nos
préoccupations dans cette partie, nous avons reparti l'analyse en quatre
chapitres.
Abordant la question identitaire chez Senghor, nous avons mis
en évidence son identité rhizomique, son identité
constituée et son identité francophone. Parlant de
l'identité rhizomique, nous avons mis au jour que le sang était
pour lui la meilleure preuve justificative de son identité. Par le sang,
il se trouvait être le descendant d'un ancêtre portugais.
Cependant, il reconnaissait avoir aussi du sang nègre dans ses veines.
Ce qui sous-entend qu'il était un sang-mêlé, autrement dit
un métis biologique. Par l'identité rhizomique, Senghor avouait
avoir une multiple identité. Pour cette raison,
460
il se devrait se constituer sa propre identité. C'est
ainsi, il fit l'expérience de l'identité de l'entre-deux, et
découvrit qu'il était à la fois écartelé
entre plusieurs cultures (sérère, peule, mandingue,
sénégalaise, africaine, portugaise, française,
européenne), entre la race blanche et la race noire. Il décida
d'assimiler les cultures qui l'écartelèrent, sans être
lui-même assimilé. Ce processus d'acculturation reflète la
situation d'une personne décomplexée et résignée
à accepter ce qu'elle est, et de vivre en elle ces cultures dans un
accord harmonieux. Ce processus convoque l'identité
acculturée.
Chez Senghor, l'identité acculturée ne pouvait
qu'être l'identité francophone, parce que le Francophone est ce
métis culturel qui exprime une identité dans un accord harmonieux
de plusieurs éléments identitaires de différentes cultures
en contact. Par contre, il estimait que l'identité francophone doit se
fonder sur deux valeurs, à savoir une valeur humaniste et une valeur
culturelle. En épinglant l'humanisme et la culture à
l'identité francophone, Senghor invitait les Francophones à
accepter l'autre et sa culture dans sa différence et dans sa
diversité pour converger tous, ensemble, vers la Civilisation de
l'Universel, vers une société panhumaine, faite des apports de
chaque locuteurs du français. Pour lui, l'identité francophone
est caractérisée par l'amour des hommes et par la culture. L'on
acquiert donc l'identité francophone lorsque l'on prend conscience que
cette identité est la volonté de faire concilier
l'ipséité et l'altérité chez soi dans la langue
française enrichie des apports linguistiques autres que français.
Mieux, le Francophone est aussi celui qui s'abreuve dans sa culture d'origine
et s'ouvre à la culture de l'autre. Il est celui qui est au service de
l'autre, de l'homme en vue de le rendre plus humain. N'oublions pas, cependant,
qu'il est également de l'entre-deux culturel. Chez Senghor, le
Francophone est à la fois celui qui enrichit la langue française
avec ses apports linguistiques, et qui parle une autre langue à
côté du français.
Léopold Sédar Senghor affirme sans complexe son
identité francophone, et qualifie sa poésie de poésie
francophone. D'où notre intérêt de mettre au jour les
caractéristiques de cette poésie. Cette poésie est
élaborée par des poètes qui veulent apporter leur
contribution à la langue et à la poésie françaises.
Elle est, selon Senghor, une poésie française accomplie et
intégrale, universelle, ouverte aux pollens culturels de toutes les
civilisations et aux différentes idéologies. Mieux, elle est une
poésie française enrichie par des apports divers de chaque usager
de la langue française. Elle a pour leitmotiv l'utilisation de la langue
et les références culturelles françaises
mêlées aux sujets historiques et éléments culturels,
autres que français. C'est pourquoi, Senghor affirme qu'elle est une
poésie nègre qui ne renonce pas d'être française.
Autrement dit, la poésie francophone est à la fois une
poésie nègre et une poésie française. Cette
conception de la poésie francophone a eu des précurseurs, et a
pris ses racines au 16ème siècle pour trouver
écho favorable chez Arthur Rimbaud, Charles Baudelaire avant d'avoir ses
lettres de noblesse chez les poètes négro-africains. Elle est
également une poésie métisse. Cette poésie aux
contours difficiles à déterminer, puisqu'elle est
traversée par des courants poétiques divers, se veut une
poésie hautement humaine, parce qu'elle concourt à rendre l'homme
intégralement humain.
Nous disons que la poésie francophone, selon la vision
senghorienne, est une poésie ontologique, symbolique, rythmique et
mythopoétique, et qu'elle porte le sceau d'une quête
461
identitaire, car elle est écrite par des personnes qui
sont à la croisée de deux cultures ou par des personnes
influencées culturellement. De ce fait, toutes les oeuvres
poétiques qui revendiquent un double héritage culturel, (dans le
cas de Senghor, la Négritude et la Francité), doivent se
comprendre comme relevant de la poésie francophone.
Pour mener à bien notre réflexion, nous avons
recouru à la psychocritique de Charles Mauron. Il s'agissait de relever
les faits et les relations issus de la personnalité inconsciente de
Léopold Sédar Senghor afin de mettre au jour les
éléments de réponse ou les motivations qui ont
préludé au concept de Francophonie. Nous avons utilisé,
par moment -tel n'a toujours pas été le cas dans cette
étude-, la théorie de la subjectivité de Catherine
Kerbrat-Orecchioni afin d'apporter des explications à notre analyse. Ces
deux méthodes sont en fait complémentaires. Elles ont permis de
rechercher les mécanismes scripturaux qui ont mis en évidence le
concept de Francophonie dans la poésie senghorienne, et de
déduire que Senghor a bel et bien tracé les grandes lignes de son
projet panhumain dans sa poésie.
Ce projet n'est rien d'autre que la Francophonie, l'expression
de deux grands humanismes, à savoir la Francité et la
Négritude. Nous avons, aussi, retenu que sa poésie est non
seulement une poésie de la Négritude, mais également de la
Francophonie. Elle est, chez lui, la réponse au problème
identitaire des locuteurs en situation de l'entre-deux culturel. Cette
Francophonie annihile toute frontière géolinguistique pour
devenir un élément unificateur des peuples et des nations de
diverses cultures et civilisations au service de la langue française.
Par ailleurs, la poésie francophone, loin d'être
une poésie faite par des auteurs non Français, est une
poésie française transmutée, une poésie intuitive,
rationnelle, métisse et hautement humaine. Ce qui fait cette
poésie et la Francophonie est la langue française
fécondée des particularismes linguistiques divers. Elle (la
langue française) appartient à tous ceux qui en font usage et qui
l'enrichissent de leurs apports et créations personnels sans
altérer sa logique et sa clarté. Cette langue partagée est
une langue intuitive et rationnelle (émotion et raison).La
psychocritique veut que l'on termine l'étude par la comparaison des
résultats obtenus à la biographie de l'auteur. Ce qui est
facultatif, puisque la vie de l'écrivain n'est relatée
qu'à titre de contrôle. Cependant, elle mérite d'être
abordée dans une telle étude. Nous avons dit que Senghor se
présente comme un Francophone (poète francophone). Cette image
est son mythe personnel. Elle est l'invariant qui structure toute sa
création poétique. En fait, le poète francophone est ce
métis culturel et linguistique, et dont sa poésie revendique ce
double héritage. En nous référant à la biographie
de Senghor, on constate qu'il est considère comme un poète,
écrivain et homme politique franco-sénégalais. D'ailleurs,
il obtint la nationalité française en 1933 afin de passer
l'agrégation de grammaire. Il est, également, élu, le 5
septembre 1960, Président de la République du
Sénégal. Par ailleurs, il est né au Sénégal
(Joal), le 9 octobre 1906, et est mort en France (Verson) le 20 décembre
2001. Devons-nous rappeler les fonctions occupées dans les
différents gouvernements français de 1955 à 1959. Il se
présente comme un poète africain et français. Il est aussi
un métis culturel et linguistique. Tout ceci permet d'affirmer que
Senghor est le parfait poète francophone, et par ailleurs confirme nos
résultats.
462
La Francophonie senghorienne, appelée la seconde
Francophonie, est née après la deuxième guerre mondiale
dans le contexte de la décolonisation et des jeunes nations
indépendantes. Elle se voulait le lien entre ces jeunes nations
indépendantes et la France dans une relation égalitaire et
fraternelle. Elle a mis cinquante ans, c'est-à-dire la moitié du
20ème siècle, à se construire et à
devenir une véritable communauté à la fois culturelle et
politique, et à se doter d'une organisation bien structurée.
Cependant, elle reste encore incomprise, surtout dans le contexte de la
mondialisation qui se confond à celui de la Civilisation de l'Universel.
Raison pour laquelle, nous avons interrogé ses oeuvres poétiques
pour mieux appréhender sa conception de la Francophonie afin de faire
lumière sur les apories de la poésie francophone. À partir
des résultats obtenus, nous affirmons de façon exacte que trois
idées-forces définissent la Francophonie senghorienne. Ce sont
la culture francophone (l'unité dans la diversité
culturelle), l'identité francophone (identité
métisse) et la Civilisation de l'Universel (la participation de
toutes les races, de tous les peuples et de toutes les civilisations à
la réalisation de l'être humain). En plus, nous disons que
l'écriture poétique senghorienne relève de la
poésie francophone. Ce qui sous-entend que la poésie senghorienne
confirme le concept de Francophonie, parce qu'elle est une poésie
métisse. Par ailleurs, il faut noter également qu'il y a eu trois
grands moments dans l'histoire de la Francophonie :
- 1880 (19ème siècle), ce fut la
Francophonie reclusienne. Elle était un concept géolinguistique,
- 1962 (20ème siècle), la Francophonie senghorienne.
Elle est définie à la fois comme une
communauté partageant des valeurs de liberté, de
solidarité, d'égalité, de diversité et de
dialogue ; et un concept (un idéal) humaniste et de
métissage,
- 2005 (21ème siècle/de nos jours),
cette Francophonie est dite la troisième francophonie. Elle est une
évolution progressive de la Francophonie senghorienne dans un contexte
de la mondialisation. Elle est aussi géolinguistique, institutionnelle,
militante et ouverte.
Un seul concept est dit, présenté,
développé et exfolié dans toute la production
poétique de Léopold Sédar Senghor. Un seul
intérêt domine son écriture : la Francophonie, son projet
panhumain ou la Civilisation de l'Universel. Ce projet hante sa plume,
malgré les formes variées de son expression. Il en est sans doute
son mythe personnel. Son projet était de voir tous les hommes des
frères égaux à l'aube du monde nouveau. Il nourrissait
depuis longtemps l'idée de rassembler tous les hommes de la terre, de
faire tous les hommes des frères. Et, sa poésie fut un artifice
du langage du concept de Négritude pour mettre au-devant de la
scène la Francophonie, son projet panhumain. La Francophonie est, ainsi,
un choix partagé, une histoire partagée et assumée, un
imaginaire et une passion communs. L'objectif de ce projet est de créer
une Civilisation de l'Universel en métissant les cultures
française et africaine. Autrement dit, il s'agissait pour lui de mettre
en avant la Civilisation de l'Universel en intégrant les deux grandes
cultures que sont la Négritude (symbiose, complémentarité
des valeurs de l'africanité et des valeurs de l'arabité) et la
Francité (complémentarité des valeurs de la
francité, de la belgité et de la québécité).
Il envisageait donc le métissage culturel, voire le métissage de
ces deux grandes cultures.
Le phénomène de métissage chez lui
revêt plusieurs aspects : biologique, culturel et linguistique. Il en est
centrifuge et centripète de ses oeuvres poétiques. Que l'on
s'éloigne de ses
463
oeuvres ou que l'on s'y rapproche, est-il toujours question de
métissage chez Senghor. Faute du métissage biologique au sein de
la Francophonie, il recommande à la communauté francophone le
métissage culturel et linguistique. L'idéal serait le
métissage biologique ; ceci n'est possible que si les peuples et les
races se rencontrent effectivement sans être obstrués par le
racisme et la xénophobie ou l'allophobie. La Francophonie doit
participer à la construction d'une nouvelle race et d'une nouvelle
civilisation (celles du métissage) faites de tous les apports de chaque
locuteur du français aussi divers que soient-ils.
Parler une même langue est un atout pour la
Francophonie, puisque la langue rassemble. Ce qui n'est pas le cas avec la
Francophonie (OIF). En fait, il n'y a pas de rassemblement véritable :
l'imposition des visas à tous les Francophones, surtout par la France,
et pourtant elle (la Francophonie - concept senghorien -) prétend rompre
les frontières entre les peuples et les nations. Pour la libre
circulation des biens et des Francophones ; pour le libre échange
culturel, artistique et intellectuel ; pour voyager librement dans l'espace
francophone sans visas ; pour prôner l'égalité, la
solidarité, l'unité, l'entente et la fraternité ; pour
former une véritable communauté d'esprit...; il faut, tout
simplement, revenir à la Francophonie conforme à l'esprit de
Senghor en l'actualisant dans le contexte de mondialisation afin de permettre
la réalisation effective du métissage biologique, culturel et
linguistique pour l'avènement du nouvel ordre panhumain : la
Civilisation de l'Universel. La Francophonie senghorienne brise et
élimine les frontières et « les murs racistes
» de nos coeurs, de nos esprits, de nos pays, nations et
États. Elle est une maison commune dans la diversité des peuples
ayant en commun et en partage la langue française enrichie par les
apports linguistiques de chaque Francophone.
Notre tâche n'a pas été facile. En effet,
la documentation a été le plus grand défi à
relever. Nous savons que Senghor est, du reste, le poète africain auquel
fut consacré le plus grand nombre d'articles, d'essais
littéraires et de thèses portant, à la fois, sur la
Négritude, la symbiose des cultures, le rythme, la musique, la
Civilisation de l'Universel, sa vie dans ses oeuvres poétiques et ses
divers écrits. Cependant, la Francophonie n'a véritablement pas
fait l'objet d'étude ou de recherche en tant que tel dans ses oeuvres
poétiques. Il nous était difficile d'avoir une documentation
littéraire et suffisante pour appréhender le concept de
Francophonie dans sa poésie, et de mener à bien la recherche.
Aussi, les informations sur Senghor rendaient notre tâche difficile. En
fait, il est arrivé que le travail psychocritique s'est laissé
guider par les informations disponibles sur Senghor, au lieu de faire un tri
pour travailler sur celle qui convenaient au cadre d'étude. Cela
s'explique du fait de vouloir tout dire sur la Francophonie et sur Senghor.
Cependant, nos attentes dans cette étude furent comblées, puisque
la psychocritique nous a permis de comprendre l'homme et sa conception de la
Francophonie.
Au cours de cette étude, nous avons remarqué que
la poésie senghorienne prône une relation entre l'Afrique et la
France. Nous avons étudié la Francophonie, ne pouvons-nous pas le
faire, également, pour la Françafrique ? Cela est simplement une
hypothèse. En fait, la Francophonie et la Françafrique sont deux
concepts différents ayant un dénominateur commun : la France,
à telle enseigne qu'elles sont souvent confondues dans leur
manière de fonctionner.
464
La Françafrique peut être définie comme
l'ensemble des relations, des mécanismes politiques, économiques,
militaires et culturels de la France avec l'Afrique. L'économiste
Français François-Xavier Verschave, avec son livre La
Françafrique. Le plus long scandale de la République, est
celui qui a forgé le mot en parodiant l'expression France-Afrique
de Félix Houphouët Boigny, en 1955, alors ministre de
gouvernement français. L'expression France-Afrique fut
employée pour qualifier la mission civilisatrice de la France et le
souhait des pays africains de conserver des relations étroites et
privilégiées avec la France. Elle a été
créée en réponse au terme soit Eurafrique, soit
Francophonie de Léopold Sédar Senghor. La
Françafrique de François-Xavier Verschave possède comme la
Francophonie un volet économique, un volet politique et un volet
culturel. Le volet militaire le différencie d'avec la Francophonie. Au
travers de la Francophonie et de la Françafrique, la France compte sur
l'Afrique et ses ex-colonies pour bien véhiculer sa culture, sa langue
ainsi que sa civilisation, mais surtout préserver ses
intérêts économiques.
Cependant, la Francophonie, qui devrait rassembler, sert avant
tout les intérêts de la France. En effet, elle est pour la France
une stratégie politique pour éviter l'uniformisation et
l'hégémonie de l'anglais dans le monde, et pour demeurer une
puissance culturelle. N'est-ce pas ce qui explique, peut-être, la
présence des pays dont la langue française n'est point la langue
officielle ou co-officielle à l'Organisation International de la
Francophonie (OIF) ?
Il s'avère nécessaire d'entreprendre une
étude approfondie, voire une étude comparatiste afin de mettre au
jour les réalités stratégiques de la Francophonie et de la
Françafrique pour savoir si la Francophonie est une rhétorique de
la Françafrique. On pourra étudier la Françafrique, en
tant que concept, dans les oeuvres poétiques de Léopold
Sédar Senghor afin de comprendre son fonctionnement ou sa
dénonciation. On peut aussi chercher à savoir ce qu'implique chez
Senghor l'Eurafrique, mieux s'il ne s'agit pas d'un avatar de la Francophonie.
Dans tous les cas, il est temps de faire une nette distinction entre la
Francophonie et la Françafrique afin de mettre fin au débat sur
la Francophonie. La Francophonie, quant à elle, a sa carte de jeu
à jouer.
Pour représenter un avenir commun, et une
communauté d'esprit, la Francophonie devrait plutôt contribuer
à démanteler le système mis en place par la politique
française, au lieu d'être l'instrument qui sert à
paupériser les anciennes colonies ou à diviser. Il va de
l'intérêt de la France à y jouer un franc jeu au sein de la
Francophonie (OIF) en collaborant franchement et sincèrement, car nous
sommes à l'ère des changements sur tous les plans :
mentalité, intellectuel, social, politique, technologique, scientifique,
climatique...
Il est aussi intéressant d'appréhender le
panafricanisme dans la poésie senghorienne. Le panafricanisme est
l'expression de la solidarité entre les peuples africains et d'origine
africaine, et la volonté d'assumer la liberté du continent
africain et son développement à l'égal des autres parties
du monde. De cette définition du panafricanisme, peut-on dire que la
poésie de Senghor s'inscrit dans la logique panafricaine ? Autrement
dit, comment Senghor, en disant choisir le peuple noir et toute la race
paysanne par le monde, s'inscrit dans le dynamisme du panafricanisme ? Quel
rapport existe-il entre la négritude et le panafricanisme ?
465
On ne peut pas prétendre avoir épuisé
tout le contenu des oeuvres poétiques de Senghor, puisqu'elles suscitent
encore beaucoup de questions. Les différentes propositions faites ou les
différentes questions posées dans cette conclusion ne sont que
des pistes de réflexions pour une éventuelle étude sur la
poésie de Léopold Sédar Senghor. Comme, on le voit, le
travail mené dans cette thèse porte pour une bonne part sur la
Francophonie senghorienne, et il consistait à comprendre comment Senghor
a orienté le concept qu'il a récupéré chez
Onésime Reclus dans sa poésie afin de mieux définir la
poésie francophone et d'avoir une idée claire de ce qu'implique
réellement le concept de Francophonie. De ces nombreuses questions que
l'on peut se posées, notre étude n'a fait que répondre
à la question, relative à la Francophonie senghorienne, avec des
méthodes qui nous ont semblé adéquats pour les
perspectives vers lesquelles nous avons souhaité orienter notre
réflexion. Cependant, nous sommes conscient qu'il y a des questions qui
n'ont pas été vraiment abordées dans le cadre d'une
étude scientifique et universitaire, et qui attendent des
réponses.
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