Enfant naturel en droit tchadien, étude à la lumière du projet de code des personnes et de la famillepar Modeste BESBA Université de Ngaoundéré. - Master 2016 |
Paragraphe deuxième : Le refus tacite d'admission de la paternité naturelle par la possession d'étatRéservée à la filiation légitime, la possession d'état est aujourd'hui admise en matière de filiation naturelle. Tel est l'aménagement de la loi française du 25 juin 1982. Cette loi est venue modifier l'article 334-8 alinéa 2 du Code civil, pour y insérer le membre de phrase suivant : « la filiation naturelle peut aussi se trouver légalement établie par la possession d'état »134(*). Dans le souci d'établir l'égalité entre les filiations, les rédacteurs du PCPFT en cours d'adoption ont admis aussi la possession en matière de la filiation naturelle. Néanmoins, cette admission n'est que partielle. Seule la maternité naturelle est prise en compte par les rédacteurs du PCPFT (A), d'où la nécessité d'un plaidoyer pour l'établissement de la paternité naturelle par la possession d'état (B). A- La reconnaissance expresse de l'établissement de la maternité naturelle par la possession d'étatLe Code civil tchadien n'a pas abordé la question de la possession d'état dans la famille naturelle. Ce qui veut dire qu'il n'est pas possible d'établir une filiation naturelle par la possession d'état ; chose réservée à la filiation légitime. Selon l'article 320 du Code civil, à défaut de titre, la possession d'état suffit à prouver la filiation légitime. L'article 321135(*) du même code énumère les cas dans lesquels la possession d'état s'affirme. Cet article parle de la possession d'état d'enfant légitime à l'égard, et du père, et de la mère. Un enfant qui a la possession d'enfant légitime à l'égard de la mère n'a pas que la filiation maternelle mais aussi la filiation paternelle. Par hypothèse, l'enfant passe pour l'enfant légitime de sa mère ; c'est donc qu'il est issu des oeuvres du mari de celle-ci, sans quoi il n'aurait pas de filiation légitime et pas de possession d'état au sens de l'article 320136(*). Il y a donc indivisibilité dans les éléments de la possession d'état à l'égard de l'un et de l'autre des deux parents137(*). Donc la possession d'état de l'enfant à l'égard de la mère, emporte la filiation paternelle de l'enfant, et vice-versa. La valeur probante de la possession d'état à l'égard de la filiation naturelle est moins forte et a été acquise plus récemment138(*). Dans le passé, la question de l'établissement de la filiation naturelle par la possession d'état avait suscité de vives controverses139(*) ; ce qui a amené le législateur français à l'admettre par le truchement de la loi du 25 juin 1982. Qu'en est-il du cas tchadien ? Le PCPFT permet l'établissement de la filiation naturelle par la possession d'état. Cela en faveur de la seule maternité naturelle ; tout établissement de la paternité naturelle par la possession d'état n'étant pas permis. En effet, l'article 313 du PCPFT dispose : « Pour l'établissement de la filiation maternelle, la possession d'état est établie en prouvant que l'enfant, de façon constante, s'est comporté, a été traité par la famille et considéré par la société comme étant né de la femme qu'il prétend être sa mère ». Contrairement au Code civil qui n'admet la possession que dans la filiation légitime, le PCPFT établit la maternité légitime comme la maternité naturelle par la possession d'état. Néanmoins, les rédacteurs du PCPFT ont exclu tacitement du champ de la possession d'état, la paternité naturelle. Selon l'article 314 de ce Projet, « La possession d'état à l'égard du père légitime est établie en prouvant que constamment : l'enfant a porté le nom du père dont il prétend descendre ; le père l'a traité comme son enfant et a pourvu en cette qualité à son éducation, son entretien et son établissement ; il a été reconnu pour tel par la société ; il a été traité comme tel par la famille ». Le père naturel ne bénéficie que de la reconnaissance de son enfant pour établir sa filiation. Ainsi s'affirme encore une infériorité de la filiation naturelle puisque seule la paternité légitime peut s'établir par la possession d'état. L'égalité tant recherchée entre les filiations en matière d'établissement non contentieux de la filiation ne sera effective que si le législateur tchadien permet dans le PCPFT la possession d'état pour la paternité naturelle. * 134BENABENT (A.), Droit civil, La famille, op.cit., n°511, p.416. * 135 Art. 321 C.civ. : « La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation et de parenté entre un individu et la famille à laquelle il prétend appartenir. Les principaux de ces faits sont : que l'individu a toujours porté le nom du père auquel il prétend appartenir ; que le père l'a traité comme son enfant, et a pourvu, en cette qualité, à son éducation, à son entretien et à son établissement ; qu'il a été reconnu constamment pour tel dans la société ; qu'il a été reconnu pour tel par la famille ». * 136 WEILL (A.), Droit civil, op.cit., n°874, p.607. * 137 Ibid. * 138 TERRE (F.) et FENOUILLET (D.), Droit civil, Les personnes, La famille, Les incapacités, op.cit., n°752, p.622. * 139Contrairement à Demolombe, qui soutenait que la possession d'état constituait en elle-même un mode d'établissement de la filiation naturelle, la jurisprudence rejeta une telle solution, qui, à vrai dire, s'accordait mal, à l'époque, à l'esprit et aux techniques du droit de la filiation naturelle. Ensuite la réforme du 3 janvier 1972, et le rôle considérable conféré par elle à la possession d'état, incita divers auteurs à proposer d'admettre cette dernière comme mode de preuve autonome du lien de filiation naturelle. Fut ainsi suggéré l'admission d'une action déclarative d'état, action tendant non pas à rechercher la paternité ou la maternité mais bien à faire constater cette paternité ou cette maternité ; distinct, dans son objet et sa nature, des actions en recherche de filiation, cette action échappait donc aux délais rigoureux entourant l'action en recherche de paternité naturelle. Cette opinion s'inscrivait parfaitement dans l'évolution du droit de la filiation, orienté vers plus de vérité biologique et l'égalité entre filiation légitime et naturelle. Pourtant, en raison des textes issus de la reforme française de 1972, en l'occurrence l'article 334-8 du code civil, cette solution suscita de vives résistances, si bien que la position novatrice de la Cour d'appel de Paris fut sanctionnée par la Cour de cassation. Après ces controverses, il a fallu une réforme législative. C'est ainsi que sur une proposition de M. Jean Foyer, une loi du 25 juin 1982 modifia l'article 334-8 du code civil et permit l'établissement de la filiation naturelle par la possession d'état. |
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