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Le marché de la sécurité privée à  Cotonou


par G. Jonas DJIDENOU
Université d'Abomey Calavi - Maîtrise 2014
  

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1.7Quelques axesde la discussion

Cette recherche porte sur la constitution des rapports marchands autour des services de la protection des personnes et des biens. Si l'on met l'accent sur l'objet de la relation d'échange, il semble alors raisonnable de commencer par une revue de la littérature sur la production de la sécurité et ses formes historiques. En effet, les services de protection des personnes et des biens qui sont produits en tant que valeurs d'échanges constituent une des formes possibles de la prise en charge des fonctions de sécurité. Il faut alors situer ces rapports marchands dans le cadre d'autres mécanismes de protection et il faut discuter les conséquences qui s'en dégagent relativement au fonctionnement de l'Etat, à son monopole de la contrainte légitime et à la métamorphose de la fonction policière.

BECKER(1974) a soutenu que l'apparition de la sécurité privée relève d'une combinaison des défaillances des services publics de la police et d'une tendance culturelle propice à l'autoprotection. D'un côté, les  « polices privées » font ce que la « police publique » ne peut pas faire : celle-ci est de plus en plus chargée d'activités liées au maintien (général) de l'ordre et de moins à la protection (spécifique) des personnes et des biens ; ceux qui ont de l'argent se procurent sur le marché leurs propres services de défense ; ceux qui n'ont pas les moyens peuvent néanmoins organiser des groupes de vigiles. De l'autre côté, les sociétés anglo-saxonnes seraient porteuses d'une inclinaison culturelle vers l'autoprotection déterminante pour le développement de formes privées de sécurité. LOADER (1997) dans ses explications suivant le même chemin a montré comment les instances publiques ne peuvent pas satisfaire (ou ne peuvent plus satisfaire) les besoins de protection des groupes sociaux. Il mentionne que, pour répondre aux contraintes et aux défaillances de la police, et, de l'autre côté, aux exhortations gouvernementales de ne pas devenir dépendant des services publics, les individus, les communautés et les organisations se sont tournés vers le marché.

Pour certains auteurs, la crise de l'Etat et la « privatisation de la sécurité »font partie de transformations sociales plus générales. L'anthropologue brésilienne CALDEIRA (2000) est l'auteur d'un des textes les plus stimulants concernant les changements urbains dans les sociétés contemporaines : elle montre la manière dont les mutations de la violence,

des manières d'organisation des groupes sociaux et des notions du « publics »rebondissent sur l'espace politique. Elle stipule que « la privatisation de la sécurité remet en cause le monopole étatique de l'usage de la force. Dans les dernières décennies, la sécurité est devenue un service qui est vendu et acheté sur le marché, en nourrissant une industrie très rentable ».Lorsqu'il s'agit de penser le problème de la sécurité, elle exprime toutefois un lieu commun très répandu dans ce type de travaux ; comme dans beaucoup de travaux sur les transformations de la fonction policière dans les sociétés contemporaines.

Il existe d'autres explications de SPITZER et SCULL (1999) selon lesquelles l'Etat n'est pas un fournisseur défaillant mais un ensemble d'institutions subissant des transformations dans divers domaines : les logiques mercantiles progressent et menacent les autres formes d'allocation de biens et de services, comme les droits des usagers des services publics qui accompagnent l'existence concrète de l'Etat. La privatisation de la sécurité serait ainsi une manifestation d'un processus plus général qui englobe la santé, l'éducation, le transport ou les retraites.Selon ces auteurs, les conditions de la vie économique depuis la seconde guerre mondiale produiraient une différenciation entre les fonctions de maintien de l'ordre et de protection des profits : la « police publique » pouvait remplir la première d'une façon efficace tandis que la deuxième constituait une base pour l'expansion de l'industrie de la « police privée ». Les transformations du système capitaliste, qui sont aussi à la base de la crise de l'Etat, expliquent donc l'émergence, les transformations et l'élargissement du secteur de la sécurité privée. Les changements dans les modes de gestion

des entreprises contribuent à la constitution de nouveaux besoins de protection et les entreprises de sécurité sont, grâce à leur flexibilité, plus efficaces que la police pour apporter le type de solutions que le secteur privé souhaite. Pour ces auteurs, les besoins non satisfaits des clients expliquent la mise en place des différents marchés de la sécurité

Si la littérature sur la sécurité privée nous permet de situer la « sécurité-marchandise » dans l'univers des formes de la protection des personnes et des biens, la sociologie des marchés nous permettra de situer notre marché particulier dans le cadre d'autres marchés. Et ce faisant, nous pouvons saisir les logiques communes à la mise en place et au fonctionnement des marchés en général, mais aussi celles qui relèvent des spécificités propres de la sécurité en tant qu'objet d'un rapport contractuel.

Ce qui est aujourd'hui appelé « la nouvelle sociologie économique, porte sur des problèmes centraux dessciences sociales existants depuis l'époque classique. Les études de DURKHIM (1893) sur la division du travail, les contrats et les propriétés, les travaux de WEBER (1904) sur les rapports entre l'éthique religieuse et les dispositions économiques ou les réflexions de SIMMEL (1908) sur l'argent, ne sont que les pages les plus remarquables de l'histoire d'une discipline qui n'a connu que beaucoup plus tard la formalisation en spécialité académique bien définie. Les « industries » sont souvent un objet des enquêtes de la sociologie économique. Il s'agit alors d'étudier des groupes d'entreprises opérant dans une même branche de production de biens ou services, leurs interactions et les structures sociales qui régissent leur fonctionnement.

L'analyse de la construction sociale des industries, ainsi que des marchés qui leurs sont rattachés, s'accompagne presque toujours d'interrogations sur la nature de l'action des entrepreneurs et leurs déterminations sociales. Ces questions peuvent enrichir l'interrogation sur les origines des dispositifs économiques, mais aussi sur le rôle de « l'action » dans le fonctionnement des « systèmes ». Les études de WEBER (1904) et de SOMBART (1913) avaient déjà établie les bases d'une approche sociologique de cette catégorie particulière d'agents appelée « entrepreneurs » et du type particulier d'action significative appelée « entreprendre ». L'étude du rôle d'entrepreneur en sciences sociales reste pourtant attaché à la figure de SCHUMPETER (1911). Quelques aspects des travaux de Schumpeter sur les entrepreneurs peuvent servir à une réflexion sur le rôle de ces agents dans l'introduction d'un nouveau produit et dans la création d'une industrie. L'entrepreneur peut être (comme le veut l'usage courant) un « agent économique indépendant », mais aussi un « directeur » ou un « financier » de société par actions. « Des `'fabricants'', des `'industriels'' ou des `'commerçants'' (que l'on y inclut toujours) ne sont pas nécessairement des `'entrepreneurs'' ». L'entrepreneur est défini par sa fonction plutôt que son statut. L'entrepreneur est celui qui « exécute de nouvelles combinaisons ».

GRANOVETTER (1985) l'une des figures marquante de la nouvelle sociologie économique stipule que les marchés sont des systèmes de relations sociales engageant à la fois la participation des entrepreneurs et de leurs entreprises, et celle des clients qui achètent leurs produits ou leurs services. Les pouvoirs publics y participent parfois directement en tant que régulateurs, producteurs, ou consommateurs des biens et services. Ces marchés fonctionnent selon des logiques qui ne se laissent pas appréhender par les modèles abstraits de la science économique. Il ne s'agit pas simplement de système de relations sociales, mais de systèmes de relations sociales « encastrées ».

L'encastrement des rapports économiques (y compris les échanges marchands) dans les cadres sociaux, culturels et politiques n'est pas une nouveauté pour les sciences sociales. MARX (1852) l'avait souligné lorsqu'il parlait de la société en tant que « totalité organique », ensemble de rapports sociaux qui fait système. DURKHEIM (1928) a aussi souvent considéré les fonctions économiques comme l'appareil digestif d'un corps social dont l'Etat serait le cerveau et les administrations le système nerveux. WEBER (1904) a quant à lui démontré que l'émergence du capitalisme moderne n'aurait pas été possible sans un droit rationnel et un Etat prévisible. POLANYI (1944) a introduit la notion d' « encastrement » pour caractériser l'articulation entre l'économie et d'autres sphères de la vie sociale dans les sociétés dites primitives. Au contraire, les sociétés modernes ont pour spécificité de « désencastrement » de l'économie sous la forme du « marché autorégulateur ».

GRANOVETTER (1985) dans le cadre de la rénovation de la sociologie économique refuse l'opposition entre sociétés primitives et sociétés modernes, et notamment le fait que cela soit synonyme de la différence entre économies encastrées et économies désencastrées. Dans ces travaux, « l'encastrement », d'une part ne se présente pas comme une alternative mais comme un complément des analyses de la science économique, d'autre part l'encastrement « social » est très souvent réduit à la simple immersion dans des « réseaux de relation », ou de « contacts ».

Par ailleurs,LEBARON(2006) a montré que la production des marchés a été accomplie par les pouvoirs publics lors du processus de constitution du capitalisme moderne. Par des textes législatifs et réglementaires, et les

politiques publiques, mais aussi par la prise en charge de la formation des compétences et par l'achat direct de biens et de services, l'Etat continue aujourd'hui à modeler les relations économiques. Ainsi, la mise en place des « marchés » en tant que dispositifs d'organisation économique, résulte de l'action politique des Etats, donc des gouvernements et des partis : les analyses critiques du « néolibéralisme » et de la « globalisation » en témoignent.

SelonBOURDIEU (2000), l'Etat contribue à la construction sociale des marchés par la réglementation de la production et par la création tant de l' « offre » que de la « demande ». Les pouvoirs publics contribuent à façonner la production, la consommation et les échanges marchands. Comme MARX (1977) l'a montré le premier à propos du « marché du travail », l'émergence des marchés résulte de causes historiques spécifiques qui nous invitent à rechercher pour quelque marché que ce soit, les conditions sociales, culturelles et politiques de son existence. Lorsque tous les objets du travail humain ne sont pas par définition des marchandises, il faut s'interroger alors sur les processus par lesquels certains biens ou certains services deviennent des « valeurs d'échange ».

CHAPITRE II : Considérations méthodologiques de l'étude

2.1 Cadre pratique

La démarche méthodologique suivie comprend les étapes suivantes :

· la conception du projet de recherche ;

· la collecte des données secondaires à travers la revue de littérature et les entretiens préliminaires avec les personnes ressources ;

· la collecte des données primaires sur le terrain avec un échantillonnage composé des différents groupes-cibles autour du marché de la sécurité privée ;

· le traitement et l'analyse des matériaux empiriques et des données secondaires ;

· l'examen de la pertinence et de la réalité des hypothèses ;

Pour l'analyse, deux modèles d'analyse ont été choisis à savoir le structuralisme et le modèle stratégique des adaptations chez GOFFMAN(1973).Ce choix se justifie par le fait que la sécurité est perçue comme un système total et que la sécurité privée est une partie de ce « tout », « cette totalité »LEVI-STRAUSS (1962) que forme le dispositif global de sécurité dans la ville de Cotonou. On ne peut pas donc étudier le marché de la sécurité privée en dehors de la sécurité publique. Notre analyse se fera alors sur la base du rapport société/individu. Par ailleurs, les études deGOFFMAN(1973) évoquent la stratégie de l'acteur qui, dans un premier temps se transforme en collaborateur et devient un membre normal,

programmé ou incorporé vu le bien-être qu'offre l'institution et les

sanctions prévues permettent de parler d'adaptation primaire. Par la suite, une adaptation secondaire qui caractérise toute disposition habituelle permettant à ce dernier d'utiliser des moyens défendus, ou de parvenir à des fins illicites (ou les deux à la fois) et de contourner ainsi les prétentions de l'organisation relative à ce qu'il devrait faire ou recevoir, et partant, à ce qu'il devrait être. Les adaptations secondaires représentent pour l'acteur des moyens de s'écarter du rôle du personnel que l'institution lui assigne tout naturellement.

2.2 Nature de l'étude

Notre sujet porte sur le marché de la sécurité privée dans la ville de Cotonou et se veut qualitatif parce qu'il s'agira de :

- comprendre les raisons qui fondent la libéralisation de certains services de sécurité au profit des entreprises privées, ce qui permettra de mettre en lumière comment s'est opérée une division du travail entre la répression publique et la sécurité privée ;

- appréhender le sens que les acteurs donnent à leurs actions sur la scène marchande de la sécurité privée ; et

- reconstruire logiquement et intellectuellement une chaîne de causalité à partir du vécu des acteurs.

Toutefois, une étude quantitative sera adoptée pour dénombrer les entreprises de sécurité privée qui animent remarquablement le marché de la sécurité privée à travers les différentes prestations et les systèmes de prix pratiqués.

2.3La durée de la recherche

Débuté en mai 2011, le travail a pris fin en juillet 2013, soit un total de vingt-deux (27) mois. Cette durée s'explique par les difficultés rencontrées sur le terrain et notre souci de respecter les exigences méthodologiques de recherche en sciences sociales: la recherche documentaire, l'observation directe sur le terrain, les interviews, le traitement et l'analyse des données et enfin la rédaction

2.4La recherche documentaire

Les études et réflexions sur les acteurs autour de la sécurité privée ont été effectuées par nombre d'auteurs, aussi bien en Sociologie, en Anthropologie qu'en Criminologie. L'exploitation de quelques travaux scientifiques a permis de faire le point sur l'état de la question. Nous avons exploité des ouvrages classiques, des articles d'auteurs en ligne, des manuels et guides de recherches en sciences sociales.

Les données de la recherche documentaire nous ont permis de modifier ou de maintenir les hypothèses pré-formulées et d'élaborer les indications de recherche qui nous ont aidées à aborder la deuxième étape avec aisance.

L'accès aux documents a été possible grâce aux bibliothèques et centres de documentation que nous avons parcourus. Ils sont présentés dans le tableau ci-dessous.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld