1.3. Revue de littérature
L'éthique dans la fonction publique, le service public
ou dans les administrations publiques est une question largement
débattue dans la littérature scientifique, même si les
données scientifiques y afférentes sont moins prolifiques en
Afrique de l'Ouest et particulièrement au Bénin, où on
note davantage de rapports de travail que de recherches scientifiques dument
effectuées. Se fondant sur ces écrits, la présente section
a pour but de faire un bref état de la question pour mieux
l'apprécier afin de bien situer la problématique de cette
recherche.
Pour Raimbault (2010), la sociologie des organisations et les
théories du management font le constat classique selon lequel tout
changement dans l'organisation ou le fonctionnement d'une institution est
anxiogène et génère de ce fait des résistances qui
peuvent être illustrées par la différence entre le travail
prescrit et le travail réel. Pour lui, en tant qu'institution, la
fonction publique n'échappe pas à cette logique, ce qui justifie
la pertinence de s'interroger sur l'éthique qui fonde l'action du
service public et les valeurs auxquelles se réfèrent les
fonctionnaires qui la servent.
Traitant de la question dans la fonction publique en Afrique,
Ayee (1998) estime que les fonctionnaires sont supposés consacrer leur
attention à la promotion du bien être public et non pas à
leur prestige personnel ; leurs activités officielles sont
supposées « bonnes », « justes » et «
positives ». Ils sont tenus d'éviter l'abus du pouvoir
discrétionnaire administratif et les conduites immorales telles que les
pratiques de corruption, le népotisme ou la conformité dans le
but d'améliorer leurs situations. Pour l'auteur, ils ne doivent pas pour
ce fait, substituer l'éthique de leur profession à des choix de
valeurs personnels, ce qui pourtant orne le quotidien du fonctionnement du
service public en Afrique. Or, les fonctionnaires devraient s'inscrire dans une
dynamique de reddition de compte en ce qui concerne leurs services au public,
voire même, leurs relations personnelles avec les politiciens
élus, leurs rapports avec les groupes de pression, leurs
activités politiques et les suppléments de leurs revenus.
Toutefois, l'auteur invite à nuancer le sens du contenu
de ce qui est correcte, juste, droit, faux, moral et équitable, vu qu'il
est variable en fonction des contextes, voire des pays. Ceci implique de ce
fait plusieurs façons de considérer les questions
administratives. Sur ces notes, il en déduit que l'éthique
individuelle est une condition nécessaire mais pas tellement importante
pour assurer une action digne de confiance dans l'administration du secteur
public. Il préconise plutôt une éthique de l'action
positive, un processus qui oblige les fonctionnaires à
consciencieusement confronter leurs valeurs, prendre connaissance de ce qui est
acceptable et de ce qui ne l'est pas, puisqu'il est improbable comme l'a
indiqué Bailey (1964), qu'une personne puisse remplir une fonction de
manière appropriée sans disposer d'une base d'éthique
appropriée.
Dans cette logique, il a avancé que les codes
d'éthique doivent s'élaborer autour de la vie organisationnelle
des institutions publiques et se concrétiser sous forme de documents
écrits qui doivent être respectés et appliqués.
Cependant, il a noté la nécessité de communiquer sur les
codes élaborés, pour que les fonctionnaires, à tous les
niveaux, en prennent connaissance, en connaissent les limites pour refouler
toutes requêtes contraires à l'éthique. Aussi, l'auteur
souligne-t-il que la simple présence des codes de conduites peut
être trompeuse, si ceux-ci ne sont pas appliqués et ne font pas
partie intégrante de la gestion quotidienne.
Pour le maintien des normes d'éthiques dans la fonction
publique, il insiste sur la nécessité de promouvoir un
système d'intégrité national englobant les tendances
politiques et adapté au citoyen dans la mesure du possible. Ceci
implique un leadership politique engagé qui fait montre de son
engagement en soumettant volontairement un état général de
ses avoirs, revenus, obligations et niveaux de vie, la participation des
syndicats de la fonction publique et d'autres groupes d'employés, la
participation des groupes professionnels, ainsi que les chefs des
communautés et chefs religieux et, la participation du public dans le
processus de réforme agrémenté des changements
proposés
Allant dans la même logique que l'auteur
précédent, le Gouvernement du Québec (2003) estime que les
normes d'éthique régissant la conduite des fonctionnaires doivent
être adaptées aux circonstances et aux nombreuses situations
où des questions d'éthique peuvent être soulevées,
à la lumière de la mission d'intérêt public
poursuivie par l'État et des valeurs partagées par l'ensemble des
fonctionnaires. Plutôt que de vouloir régir de façon
précise les moindres gestes des fonctionnaires, l'éthique vise
donc à définir un cadre général à
l'intérieur duquel chacun des membres de la fonction publique doit se
situer. En définitive, elle fait appel au jugement du fonctionnaire et
à son sens de responsabilité, et implique qu'il puisse aller
au-delà du simple respect à la lettre des règles
applicables, lorsque la situation l'exige.
L'organisation insiste sur le fait qu'adopter un comportement
éthique doit être une préoccupation constante de tout
fonctionnaire. A cette fin, le fonctionnaire devra s'assurer de posséder
une bonne connaissance des règles d'éthique en vigueur, ainsi que
des autres textes qui peuvent préciser la portée de ces
règles d'éthique. Il devra également
réfléchir à la mission d'intérêt public
à laquelle il contribue en tant qu'employé de l'Etat et accepter
de partager les valeurs qui en découlent. Enfin, en cas de doute dans
une situation donnée, il est mentionné qu'il devrait pouvoir
consulter ses supérieurs ou le répondant en éthique de son
ministère ou organisme sur la conduite à adopter.
En ce qui concerne Monier et Golden (2009) sur la même
problématique, ils font le constat d'une place démesurée
accordée à l'argent dans les apports sociaux et d'une
érosion des valeurs éthiques dans le monde du travail, à
considérer la création des valeurs par rapport à l'homme
et son environnement qui ont été en grande partie oubliés.
Pour eux, dans les entreprises, un certain nombre de facteurs ont
contribué au développement de l'éthique : il s'agit de la
réglementation des activités, des initiatives responsables et des
efforts de communication. Toutefois, ils soulignent que ces pratiques ont des
limites qui risquent de faire de l'éthique un simple argument «
marketing » à la mode ne reflétant pas une vraie prise de
conscience. Dans cette logique, il est souligné l'importance de
démontrer la nécessité de repenser les valeurs collectives
et la place de l'éthique professionnelle dans le système actuel,
pour redonner aux hommes le sens des « vraies » valeurs, les inciter
à la solidarité et au développement durable de leurs
activités, et créer collectivement une économie plus
humaine qui mette l'homme et son épanouissement au coeur des
préoccupations, sans remettre en cause la nécessité de la
croissance économique.
Quant à l'Organisation de Coopération et de
Développement Economiques l'OCDE (2000), elle soutient, relativement
à l'éthique dans la fonction publique, que les citoyens
attendent des fonctionnaires, qu'ils servent l'intérêt
général en faisant preuve d'impartialité et en
gérant quotidiennement les ressources publiques de manière
appropriée car, un service public équitable et fiable inspire
confiance au public. C'est dire que l'éthique dans le service public est
nécessaire à la confiance du public et la renforce ; d'ailleurs,
elle constitue la clé de voûte d'une bonne gouvernance. A ce
sujet, l'organisation cite un certain nombre de valeurs prônées
par 29 pays Membres de l'OCDE, comme essentielles au bon fonctionnement du
service public. Il s'agit de la justice, de la responsabilité, de
l'égalité, de l'efficience, de la transparence, de
l'intégrité, de la légalité et de
l'impartialité. Pour renforcer ces valeurs, l'organisation estime qu'il
faut mettre l'accent sur la communication, assurer l'intégrité
dans la gestion quotidienne, contrôler le respect des normes applicables
et, agir contre les comportements contraires à l'éthique.
Faisant la liaison entre l'éthique et la gestion
publique, le PUMA (1997), en ce qui le concerne, se demande comment les pays
s'assurent-ils que les règles sont respectées dans la fonction
publique, surtout quand ils sont confrontés au changement ? Pour y
répondre, il constate qu'en pratique, ils ont recours à toute une
gamme d'instruments et de processus qui réglementent les comportements
indésirables et incitent à une bonne conduite. A cet effet,
l'organisation, afin d'illustrer le fonctionnement et l'interaction de ces
instruments, a défini le concept
d'une « infrastructure de l'éthique ».
En effet, cette notion renferme huit composantes à savoir :
l'engagement politique (1), un cadre juridique efficace (2), des
mécanismes de responsabilisation efficaces (3), des codes de conduite
(4), des mécanismes de socialisation professionnelle (5), de bonnes
conditions d'emploi dans la fonction publique (6), un organisme de coordination
pour les questions d'éthique (7) et, une société civile
active qui surveille les activités gouvernementales (8). Cependant, il
est avancé que le régime de gestion de l'éthique d'un pays
doit être compatible avec sa conception de la gestion publique en
général. Dans ce sens elle ne doit plus être
envisagée à part et de façon distincte, mais comme faisant
partie intégrante de tous les systèmes de gestion.
Réfléchissant sur la question, Hébette
(2010) démontre que le cadre éthique comprend un certain nombre
de principes de base qui le structure. Il s'agit de l'intégrité,
de la justice, du respect des personnes, de l'exercice de droits individuels,
de la légalité et de la bienfaisance, de la reddition de compte,
de la transparence, sans compter l'efficacité, l'efficience et
l'économie. L'éthique est décrite comme une donnée
complexe qui concerne les valeurs, les intérêts, les
loyautés contradictoires ; c'est pour ainsi dire qu'elle s'apprend.
Elle a évolué, selon l'auteur, avec la réforme du
management public et doit, pour une bonne analyse, être située
dans le contexte de Contrôle Interne couplé à un cadre
articulé de normes et d'actions. Son efficacité devrait
requérir une politique globale d'intégrité et une
coalition des différents acteurs de la société.
Dans la même lancée, l'auteur propose un cadre
théorique d'analyse de l'éthique du salarié au sein de
l'entreprise reliant l'individu (éthique), la direction
(déontologie) et l'organisation (contexte éthique) qui
fonctionnent en interaction permanente. S'inspirant de Skinner (2005),
Zey-Ferrell et Weaver (1979), il définit l'éthique comme un
processus individuel fondé sur des valeurs dogmatiques non falsifiables
représentant ce qui est bien ou mal. Quant à la
déontologie, elle est décrite comme l'ensemble des valeurs que
l'organisation souhaite voir appliquer dans le cadre de l'activité.
Elles représentent un système normatif contraignant. En ce qui
concerne le contexte, il représente le reste de la structure, y compris
les comportements et propos des autres salariés de l'organisation qui
peuvent produire une modification de comportement éthique chez
l'individu.
Suivant ce modèle, l'auteur pense que la
déontologie de l'organisation peut influencer l'éthique du
salarié et vice versa si l'organisation produit une déontologie
sur la base de réflexions communes et interactives ou si la
déontologie est freinée et que la direction l'adapte en fonction
des freins constatés. Pour lui, l'éthique de l'individu comme
l'ont souligné Sainseaulieu et Ségresin (1986) peut être le
produit de valeurs importées dans l'organisation ou le fruit d'un jeu
d'acteur, rationnel et intentionnel, dans lequel les valeurs personnelles sont
déguisées pour atteindre un but personnel comme l'ont
indiqué Crozier et Friedberg (1997). Toutefois, elle peut aussi
être à l'image des remarques de Herrbach (2000), le fruit d'une
divergence de valeurs de l'individu et de la déontologie formant une
rupture de contrat psychologique.
Par ailleurs, il est mentionné que la
déontologie influence les pairs dans l'organisation et que le contexte
peut l'influencer en retour lorsqu'il présente une culture
organisationnelle forte et prégnante que la déontologie ne peut
modifier volontairement. Finalement, l'auteur pense à l'instar de
Donnadieu (1999) que le contexte influence l'éthique du salarié
en raison de sa volonté de socialisation et donc d'adhésion
à un système de valeur du groupe auquel il se
réfère. Mais l'influence est liée au salarié
lui-même, à son interprétation des éléments
de contexte, à leur filtrage.
On pourra retenir, en somme, que l'éthique est
généralement considérée comme une donnée
cruciale pour le succès d'une organisation. Elle influence de
façon déterminante le comportement des membres d'une
organisation, puisqu'elle détermine la façon dont ils
perçoivent les problèmes et prennent leurs décisions. Dans
ce contexte, les valeurs annoncées peuvent être en
déphasage avec leur mise en pratique.
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