1.4. Conditions socioéconomiques des fonctionnaires
et comportements non éthiques
Lorsque l'on questionne les fonctionnaires
du MTFPRAI-DS sur le rapport des salaires qu'ils perçoivent et la
persistance des comportements non éthiques dans l'administration, il
ressort que pour 42,11% d'entre eux, les bas salaires des fonctionnaires et les
mauvaises politiques de rétribution déterminent les comportements
non éthiques dans leur rang. Pour 28,95%, il est plutôt mis en
cause la formation insuffisante sur les valeurs et l'éthique dans la
fonction publique alors que 23,68% mettent en exergue la faible adhésion
aux valeurs éthique dans la fonction publique. Finalement, 5,26% d'entre
eux évoquent la faible sécurité de l'emploi. Le tableau IV
fait mention de ses statistiques.
Tableau IV : Causes de la persistance
des comportements non éthiques dans l'administration
Causes des comportements non
éthiques
|
Effectif
|
Fréquence (%)
|
Bas salaires ou mauvaises politiques de rétribution
|
16
|
42,11
|
Formation insuffisante sur les valeurs et l'éthique dans
la fonction publique
|
11
|
28,95
|
Faible adhésion aux valeurs éthique dans la
fonction publique
|
9
|
23,68
|
Faible sécurité de l'emploi
|
2
|
5,26
|
Total
|
38
|
100
|
Source : données de
terrain_2013
La variable explicative la plus déterminante est donc
relative aux bas salaires ou mauvaises politiques de rétribution des
agents. C'est dire que l'existence de fonctionnaires de l'Etat
sous-payés et qui en plus ne jouissent pas nécessairement des
avantages connexes afférentes à leur poste comme, les diverses
primes, encourage le développement de pratiques corruptives visant
à « arrondir la fin du mois ».
L'amplification d'une telle pratique pourrait aussi provenir de la
« surmonétarisation », c'est-à-dire cette
pression constante sur le dos des fonctionnaires, obligeant à la
quête permanente de l'argent liquide pour l'« investissement en
sociabilité » qui est à la fois une ressource et une
contrainte permanente, dans un contexte où les salaires sont
plutôt très bas. Dans ces conditions, le refus d'adopter des
comportements non éthiques qui permettent d'assurer l'entretien et la
reproduction des réseaux relationnels par le biais de l'argent peut
être considéré comme une rupture d'avec « les
solidarités considérées comme
« normales » selon l'économie morale en
vigueur » auquel cas, le coût à payer serait
très élevé (Blundo, Olivier de Sardan, 2001). Ainsi, c'est
sous le coup des pressions sociales et familiales que se déploient en
permanence les comportements non éthiques qui s'observent
quotidiennement dans l'administration publique. Jelloun (1994), dans son roman
sur la corruption « L'homme rompu », fait
sensiblement la même remarque en relatant de façon réaliste
les pressions de l'environnement familial et professionnel sur le futur
corrompu. Comme le dit son Directeur à Mourad, fonctionnaire vertueux
jusque-là :
« La vie augmente. Elle ne nous demande pas
notre avis. Il faut donc s'adapter. Tout le monde sait que la plupart des
salaires sont plus que symboliques.... Les citoyens participent selon leurs
possibilités à colmater les trous. C'est normal ? C'est un
consensus national, une course à l'équilibre. Le tout est de le
faire avec discrétion et si on peut avec élégance. C'est
cela que j'appelle la souplesse. » « Ce que vous placez sur
un plan moral et que vous appelez corruption, moi je l'appelle économie
parallèle, elle n'est même pas souterraine, elle est même
nécessaire. Je ne dis pas qu'elle est bonne, je dis qu'il faut faire
avec et cesser de confondre compensation et vol » (Jeloun,
1994).
Toutefois, les causes des comportements non éthiques
qui, pour la plupart, sont des ramifications des pratiques corruptives, ne sont
pas limitatives aux variables financières ou économiques. Elles
relèvent également de la banalisation de la corruption largement
cautionnée dans l'imaginaire social et perçue comme une forme de
débrouillardise. L'examen des propos de Georgette illustrent cette
analyse.
« Nous sommes dans un service qui est le garant
des valeurs et des comportements éthiques dans toute l'administration
béninoise. Mais, soufflez ! C'est un service où personne ne
respecte les règles morales de l'administration. Les responsables et nos
chefs cautionnent ces choses-là. C'est la banalisation dont
elles bénéficient qui font qu'elles s'amplifient au jour le jour.
D'ailleurs, comment voulez-vous que les chefs inspirent les subalternes si
eux-mêmes ne donnent pas l'exemple ? Alors, tout le monde semble
s'en accommoder d'autant qu'on y trouve sont intérêt »
[Georgette, Femme de 35 ans].
Au regard de ce discours, les valeurs de l'administration ne
sont pas respectées ni mises en pratique, ce qui semblent donner raison
aux fonctionnaires qui pensent que lesdites valeurs ne sont jamais mises en
application. Cependant, si Georgette lie leur non mise en application à
la banalisation dont elles sont l'objet, il existe un autre son de cloche qui
lie ce fait à la « politisation à outrance de
l'administration ». C'est ce qui transparaît dans le
discours de Saliou comme l'énonce le verbatim suivant.
« Ici, on ne respecte pratiquement rien. Les uns
et les autres cherchent à mettre en application les textes seulement
quand ça les arrange. Et, je ne vais pas vous mentir ; c'est la
politisation à outrance de l'administration qui est à la base de
tout ça. Certains sont protégés par des politiciens
puissants et on ne peut rien leur faire de peur des représailles
politiques. Ça fonctionne comme ça et chacun se méfie pour
ne pas ramasser les pots cassés » [Saliou, Homme de 28
ans].
Voilà qui permet d'élargir l'envergure des
causes des comportements non éthiques enregistrées au sein du
MTFPRAI-DS. La liste n'est pas pour autant exhaustive car, l'absence
d'information de l'opinion publique quant aux résultats des
opérations de contrôle et d'audit et des investigations
menées par les structures de l'Etat, la faiblesse du civisme et de
l'esprit de citoyenneté chez certaines catégories de
fonctionnaires qui deviennent, ainsi, vulnérables devant l'attrait du
gain illicite, etc. sont d'autres causes. Autant qu'elles sont, elle impactent
négativement le fonctionnement de l'administration et ses
conséquences débordent même le champ purement
administratif.
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