La politique monétaire non conventionnelle fait
l`objet d`un réel débat théorique et empirique tant sur
son efficacité que sur ses canaux de transmission sur le reste de
l`économie. Nous avons présenté jusque-là dans ce
chapitre une revue de la littérature théorique. Voyons maintenant
les discussions empiriques y afférentes.
La BoJ a notamment lancé de véritables
innovations monétaires dites « non conventionnelles » pour
restaurer un moyen d`action aux autorités monétaires afin de
modifier le niveau des taux d`intérêt dans l`économie.
Ainsi, de 2001 à 2006, la BoJ a installé la première
politique d`assouplissement quantitatif et a communiqué ses intensions
futures quant à la fixation de son taux directeur pour ancrer les
anticipations sur les taux d`intérêt futurs à un niveau
plus faible. Par ailleurs, suite à l`inefficacité de la
politique monétaire traditionnelle pendant la crise de
2008 et sans doute inspirées par les politiques monétaires
nippones au début des années 2000, la BCE, la FED, la BoE ont
également instauré ces nouveaux outils. Si leurs applications
diffèrent entre les BC, elles ont toute mis en oeuvre une politique
d`assouplissement et se sont engagées dans le maintien de leur taux
directeur à un faible niveau.
Les politiques monétaires non conventionnelles (PMNC)
comprennent 2 types : les politiques visant à restaurer le
fonctionnement du marché et l`intermédiation, et les politiques
sensées fournir un support aux activités économiques
à la borne du zéro6. Les PMNC ont
particulièrement réussi dans la restauration du fonctionnement du
marché et l`intermédiation très tôt pendant la crise
financière globale, en réponse aux chocs graves. Les effets
furent sans équivoque positifs à l`intérieur du pays et
dans d`autres pays (IMF, 2013, p. 1).
Le QE a atteint des résultats visibles bien que pas
nécessairement suffisants. Aux USA, trois versions
des QE ont été mises en oeuvre à partir
de 2008 et l`économie a tellement repris que la Fed a
arrêté avec le QE en 2014 et a, en 2015, finalement levé sa
politique de taux d`intérêt. Au japon, le quantitative and
qualitative easing (QQE) - une combinaison du QE et la prolongation de la
maturité des bons - semble avoir eu un effet positif sur les
marchés du travail, bien que le taux d`inflation n`a pas encore atteint
la cible de la BoJ. Pendant ce temps, en Europe, le taux d`inflation a
continué à décliner progressivement. Notre
expérience, quoique tout à fait petite, montre qu`il faut des
années pour que le QE ait des effets visibles. Par conséquent,
les banques centrales qui ont introduit les QE plutôt pendant la crise
financière globale semblent avoir obtenu des bénéfices de
la politique, pendant que ceux qui ont
6 La borne du zéro (ZLB, Zero Lower Bound) est
la borne inférieure qui limite à zéro les taux
d'intérêt.
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attendu pour adopter le QE n`ont récolté qu`un
faible gain jusqu`ici (Kaihatsu S., Kamada K., et al. 2016,
p. 1).
Baumeister et Benati (2013)7 montrent, à
l`aide d`un modèle VAR, que les programmes d`achats aux Etats-Unis et au
Royaume-Uni ont réussi à atténuer les risques de
déflation et d`effondrement de la demande agrégée. En
utilisant la même approche, Weale et Wieladek (2015) confirment que les
achats d`actifs peuvent être efficaces pour stabiliser la production et
les prix. Ils indiquent que, pour le Royaume-Uni, les annonces d`achat d`actifs
ont eu un impact sur les anticipations de taux futurs et sur les indicateurs
d`incertitude sur les marchés financiers, ce qui suggère que le
canal du signal est un mécanisme de transmission important. Pour les
Etats-Unis, seuls les rendements à long terme et le taux de change
réel réagissent aux chocs d`achat d`actifs ce qui a donné
un rôle relativement plus important au canal de a réallocation du
portefeuille, à la différence de de Krishnamurthy et
Vissing-Jorgensen (2011).
Le travail économétrique réalisé
par Oda et Ueda (2005)8 permet de décomposer
l`efficacité du QE et de l`engagement sur la conduite des taux
directeurs par la BoJ sur les taux longs. Ils évaluent ainsi l`effet
induit des différents canaux de transmission de politiques
monétaires non conventionnelles. Leurs estimations démontrent que
la baisse de la prime de risque liée au canal de la réallocation
du portefeuille des agents économiques n`est pas statistiquement
significative. En revanche, leur conclusion est différente concernant
l`engagement explicite de la BoJ à maintenir un taux directeur faible.
En effet, ils concluent que la « revised version of the zero interest rate
policy » (RZIRP) a bien eu des conséquences favorables, mais
celles-ci seraient en partie dues à l`anticipation de baisse de taux
directeurs futurs.
Une étude réalisée pour les Etats-Unis
par Meaning J. et Zhu F. (2012, p. 23) suggère que les programmes
d`achat de titres de la Réserve fédérale auraient
contribué à faire baisser les taux publics américains
à 10 ans de 60 points pour le premier programme (LSAP1) et de 156 points
pour le second (LSAP2). Pour la zone euro, Peersman (2011), montre que les
effets des mesures non conventionnelles sur l`activité sont globalement
assez proches de ceux d`une baisse du taux directeur et Gianone, Lenza, Pill et
Reichlin (2012), suggèrent que les différentes mesures prises par
la BCE depuis le début de la crise ont permis d`amortir la hausse du
taux de chômage, même si l`effet est limité à 0,6
point.
7 Cité par Drumetz F., Pfister C. et al.
(2015, p. 314)
8 Cité par Gaillard A. (2014).
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Selon l`évaluation du FMI, l`impact des politiques
monétaires non conventionnelles a été positif
jusqu`à
présent, a noté Mme Lagarde.9
D`autres, par contre, soulignent que la politique
monétaire ne s`est pas transmise à l`économie car,
affirme-t-il, l`encours de crédit ne s`est pas accru autant que les
liquidités injectées et la dynamique économique
espérée ne s`est pas enclenché. En effet, alors que tous
ces programmes ambitionnaient
de pouvoir stimuler rapidement la croissance
économique des pays concernés, les effets escomptés sont
en-deçà des attentes. La Zone euro connait une croissance
économique atone quand celle du Japon est à peine
supérieure à 0%. Seuls les Etats-Unis et le Royaume-Uni
connaissent des taux de croissance significatifs d'environ +2,5% en 2014.
Toutefois, ces performances sont étroitement liées aux politiques
monétaires accommodantes, ce qui souligne le caractère artificiel
de cette reprise fondée avant tout sur un afflux massif de
liquidités et non sur un accroissement de la production. Ces auteurs
soulignent, par contre, que cette politique a permis un regain de performance
des marchés financiers, ont-ils ajouté (L`Economiste, 2015, p.
4).
Les PMNC et les taux d`intérêt extrêmement
bas ont aussi créé des risques financiers majeurs qui peuvent
toucher les économies européenne et américaine dans les
années à venir. Ces politiques ont entraîné la
hausse des prix des titres, des obligations de faible qualité, et du
secteur immobilier commercial, conduisant potentiellement à un autre
effondrement de prix d`actifs - le grand phénomène qui a conduit
à la Grande Récession dans un premier temps. Une PMNC
représente une puissante
arme dans l`arsenal d`une banque centrale. Mais c`est une
stratégie dangereuse, que les décideurs devraient essayer
d`éviter quand la prochaine récession frappera (Feldstein M.,
2016).
Alors qu`il est largement admis que le vigoureux
assouplissement de la politique monétaire dans les grandes
économies avancées a été essentiel pour
empêcher une débâcle financière, les bienfaits
d`une
détente monétaire prolongée sont
davantage controversés. Le débat porte en particulier sur ses
implications pour l`assainissement des bilans (condition
préalable à une croissance soutenue), sur les risques
d`instabilité financière et des prix au niveau planétaire,
ainsi que sur les conséquences à plus long terme pour la
crédibilité et l`autonomie opérationnelle des banques
centrales (BRI, 2012, p. 47).
Cependant, de nombreux écueils d`ordre conceptuel et
empirique rendent difficile l`évaluation de l`efficacité des
diverses mesures appliquées par les banques centrales (Kozicki S. et
Suchanek L., 2011, p. 16). En effet, il est toujours difficile d`estimer
précisément l`efficacité des politiques
monétaires
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mises en place car les effets peuvent être multiples,
via les taux d`intérêt, le taux de change, les marchés
d`actions mais aussi l`impact sur la confiance des agents.
L`idée que la politique monétaire est
complètement inefficace car elle ne permet pas de faire repartir le
crédit néglige le fait que les objectifs
recherchés par les banques centrales peuvent être beaucoup plus
vastes dans une période de crise que la seule recherche de relancer le
crédit. Si les politiques menées ont échoué
à faire repartir le crédit, elles ont eu cependant plusieurs
impacts positifs (Ripert M., 2012, p. 9) :
? Les politiques monétaires menées depuis la
faillite de Lehman ont atténué les crises de liquidité et
ont évité une déstabilisation du système financier
;
? La politique de la BCE a tenté de limiter les
tensions sur certaines dettes souveraines avec un succès très
relatif pour le moment et a sensiblement atténué le risque
bancaire ;
? La politique de la Fed a permis de faire baisser les taux
longs à des niveaux très faibles permettant en corollaire une
baisse des taux hypothécaires. Par ailleurs, cela a également
soutenu les marchés actions et donc la richesse et la confiance des
agents privés.
Mishra, Montiel et Spilimbergo (2010) ont montré que
les mécanismes de transmission dans les pays à faible revenu sont
fondamentalement différents de ceux des pays ayant des secteurs
financiers sophistiqués. Selon ces auteurs, les mécanismes
traditionnels de transmission de la politique monétaire seraient faibles
et parfois inopérant dans les pays à faible revenu en raison de
la faiblesse du cadre institutionnel, de la concurrence imparfaite dans le
secteur bancaire, des marchés financiers embryonnaires et du coût
élevé des crédits bancaires.
A l`instar des travaux de Romer et Romer (1989), d`autres
études se sont focalisées sur une approche narrative pour montrer
que les mécanismes de transmission ne sont pas toujours faibles dans les
pays en développement et particulièrement ceux d`Afrique
sub-saharienne. Berg et al. (2013) démontrent à ce titre que
l`usage des modèles très sophistiqués peut sous-estimer le
poids de certains canaux dans la transmission de la politique monétaire.
Ces auteurs illustrent par l`approche narrative que les canaux traditionnels
sont opérants dans certains pays de l`Afrique de l`Est comme le Kenya,
l`Ouganda, la
Tanzanie et le Rwanda.
Davoodi et al. (2013) prennent à contre-pied cette
analyse et montrent que ces canaux sont faibles
lorsqu`on utilise les inférences statistiques
standards. Ainsi, en utilisant les VAR bayésiens et les FAVAR, ils ont
mis en évidence le canal du taux d`intérêt, du
crédit et du taux de change dans les pays
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d`Afrique de l`Est, en précisant que le canal du taux
semble plus pertinent dans les pays ayant une importante profondeur des
marchés financiers.
Avec une approche DSGE, Tsasa J. (2014, p. 30) montre que le
taux d`intérêt directeur ne cause pas l`activité
réelle en RDC. Ainsi, il n`existe pas de canal de transmission
répondant au schéma classique Instrument - Objectif
intermédiaire - Cible. Le test de causalité révèle
une désarticulation de l`économie nationale pendant la
période de janvier 2007 et juin 2011. Par exemple, il y a absence de
causalité entre crédit à l`économie et
activité réelle. Et cette transmission se fait à travers
un mécanisme de marché.
La politique monétaire, à travers la masse
monétaire et le taux d`intérêt directeur de la BCC, impacte
directement et faiblement le prix à la consommation et le taux de
change. Cependant, le manque de jointure entre les différents secteurs
rend quasi - neutres les actions de politique monétaire sur le niveau de
consommation de l`individu, tel qu`illustré précédemment
par la fonction d`utilité intertemporelle du ménage
représentatif (Tsasa J., 2014, p. 35).
La BCC faisant face à un dysfonctionnement du
mécanisme de transmission de la politique monétaire du fait
notamment de l`inefficacité du taux directeur (BCC, 2015, p. 44), nous
menons nos investigations sur la capacité d`une PMNC à
améliorer cette transmission.
Notons que quelques analyses sur la possibilité de
mettre en oeuvre une PMNC en RDC ont été menées, mais
aucune d`entre elles n`a mesuré leurs effets sur le mécanisme de
transmission, du moins, pas de manière rigoureuse.