La mise en oeuvre des normes internationales de protection des défenseurs des droits de l'homme au Cameroun( Télécharger le fichier original )par François Denis SAME TOY Université Catholique d'Afrique Centrale - Master en Droits d el'Homme et Action Humanitaire 2012 |
XIX. SECTION 2 : LES MESURES CORRECTIVES SUR LE PLAN INTERNATIONALLes stratégies adoptées à l'échelle interne camerounaise, doivent intervenir dans le cadre de dynamiques beaucoup plus larges, actionnées à au niveau international. De l'avis d'un observateur, « bien que la Déclaration de l'ONU sur les défenseurs ait été approuvée en 1998, les expériences relatives à l'institution de normes et d'instances nationales de protection des défenseurs sont rares, et la majorité d'entre elles ont lieu en Amérique latine. Si nous devions proposer des pistes d'explication, nous citerions probablement la pression d'une société civile forte et revendicative en matière de droits humains, ainsi que l'existence d'un système régional de défense des droits humains structuré. Ces deux éléments ont peut-être pu générer la volonté politique nécessaire des gouvernements nationaux. »351(*) Au-delà de la prudence qui l'anime, cette pensée met bien en lumière le fait que les grands changements intervenant dans les politiques nationales, trouvent bien souvent leur origine et sont favorisés, par les mouvements impulsés par les décideurs internationaux. L'ordre national n'a-t-il pas par ailleurs, finalement plus vocation à être influencé par le système international et à recevoir de lui, qu'à l'influencer ? Toutefois sans vouloir entrer dans un large débat extérieur aux fins de l'analyse, il s'agit juste d'introduire que pour une meilleure mise en oeuvre des normes internationales de protection des défenseurs des droits de l'Homme au Cameroun, il importe nécessairement d'impulser des politiques destinées à renforcer et à réviser les systèmes onusien (paragraphe 1) et africain (paragraphe 2) de protection des droits de l'Homme. A. Paragraphe 1 : Au niveau universelLes décideurs onusiens, dans l'objectif d'assurer une meilleure protection des défenseurs des droits de l'Homme, gagneraient tout d'abord à renforcer les mécanismes règlementant la réalisation par l'Etat de ses engagements internationaux en matière de droits de l'Homme (A). Toutefois, c'est un investissement dans la production d'un instrument conventionnel organisant spécifiquement la protection de l'activité de défense des droits de l'Homme, qui marquera une avancée significative vers l'idéal poursuivi (B). A/ Un encadrement plus coercitif de l'exécution par l'Etat de son obligation de protéger les droits fondamentaux de ses nationaux Le droit international des droits de l'Homme, dans la large part des instruments fondamentaux positifs le constituant, consacre l'obligation pour l'Etat de mettre en oeuvre la promotion et la protection, des prérogatives fondamentales reconnues aux personnes relevant de sa juridiction.352(*) De l'avis d'une part de la doctrine, ces dispositions placent essentiellement sous la responsabilité de l'Etat, trois obligations : celles de « respecter, réaliser et protéger les droits de l'Homme »353(*). C'est dire qu'en fait, l'Etat est tenu de recourir aux mesures législatives, administratives, judiciaires et toutes autre nécessaires que lui confère sa puissance régalienne, pour garantir effectivement à tout individu et sans discrimination, les droits et libertés fondamentales qu'ils possède, en vertu de sa dignité intrinsèque. Toutefois, dans le cadre de cette étude, l'on a bien pu remarquer à loisir, que ces dispositions constituaient le cadre juridique encadrant la protection des droits de l'Homme au Cameroun. Pourtant, malgré la forcé législative -constitutionnelle même pour certaines- reconnues à ces normes, force à été encore de constater la prégnance dans la réalité, des limitations et des violations commises impunément, à l'attention de leurs bénéficiaires. Forfaits et travers qui pour la plupart par ailleurs, étaient allégués à des autorités ou à des agents étatiques. Dès lors, quelle lecture faire de cet état des choses ? L'on peut très bien rationnellement envisager, que les mesures prises à l'international pour assurer le monitoring de ces dispositions, ne sont pas assez efficaces pour contraindre l'Etat à mettre en oeuvre les obligations auxquelles il consent à être lié. Une telle conclusion est loin d'être hasardeuse et de provenir ex nihilo. Ceci d'autant plus que lors de l'analyse du contexte camerounais, l'on a bien mis en exergue le fait que le pays ait rejeté sans inquiétude, toutes les recommandations qui lui ont été adressées au sujet de la mise en oeuvre d'actions concrètes spécifiques, destinées à protéger effectivement les défenseurs des droits de l'Homme, dans le cadre du second cycle de l'examen périodique universel (EPU). Quand on sait que l'EPU est un mécanisme mis en oeuvre pour assurer le suivi de l'exécution des obligations internationales contractées par l'Etat, on est en droit de se questionner à l'exemple de ce cas patent, sur sa portée réelle. Quelle en est la consistance ? Dispose t-il de moyens réels efficaces pour obliger l'Etat même contre son gré, à réaliser ses engagements internationaux en matière de droits de l'Homme ? Dans le cas concret envisagé ici, il semble apparent que ce ne soit pas le cas. A côté de ce mécanisme, il faut également convoquer les autres dispositifs, à savoir les quasi-juridictions ainsi que les rapporteurs spéciaux, intervenant dans le domaine spécifique de la protection des défenseurs des droits de l'Homme. Une quasi-juridiction peut-elle véritablement contraindre l'Etat, quand on sait qu'elle n'a pas la possibilité de rendre des décisions ayant autorité de la chose jugée et force de coercition ? En d'autres termes, est-on logiquement en droit d'escompter que le Comité des droits de l'Homme ait plus de chance auprès des Etats, que l'EPU quand il repose sur les même ressorts ? Pareil pour le rapporteur ; en dépit de toutes les missions et pouvoirs qu'il puisse avoir en sa possession, de quels moyens dispose t-il pour obliger l'Etat à agir ? Rien et moins que la conscience de l'Etat, comme c'est le cas pour la totalité des dispositifs évoqués ici. En effet, une observation froide des mécanismes employés par le système de monitoring de l'application du droit international des droits de l'Homme, permet d'appréhender le fait que, ces derniers reposent en fait, sur la bonne conscience des Etats. Le principe de la sacro-sainte souveraineté de l'Etat s'érige encore avec force contre l'avancée pourtant fulgurante de la diplomatie des droits de l'Homme, ne laissant comme garantie de leur implémentation à ces derniers, que la gestion en paterfamilias de l'Etat. Dès lors, peut-on véritablement attendre de l'Etat qu'il puisse au nom de la cause des droits de l'Homme, prendre des mesures qui ne l'arrangent pas ? Il est difficile d'imaginer une telle hypothèse, encore plus quand l'on se remémore le dicton suivant lequel « les Etats n'ont pas d'amis, mais uniquement des intérêts. » Toutefois, les multiples questionnements soulevés ici, ont pour but d'amener à appréhender que la garantie d'une réalisation systématique pas les Etats de leurs engagements en matière de droits de l'Homme, passe par la mise en oeuvre d'un système international de monitoring, plus offensif. L'idée est pour la communauté des acteurs internationaux, d'oeuvrer à diminuer ce trop grand pouvoir discrétionnaire laissé à l'Etat dans la mise en oeuvre de ses engagements internationaux. Ceci étant donné de ce que les exemples comme le cas à l'honneur dans cette étude, attestent de la thèse suivant laquelle, cette importante marge de manoeuvre en vient à hypothéquer la réalisation même des droits fondamentaux des individus. Et si l'idée réside là, l'idéal pour sa part, s'articule autour de l'élaboration de mesures de contrôle coercitives, encadrant l'exécution par l'Etat de son obligation de protéger les droits fondamentaux de ses nationaux, capables de sanctionner les manquements commis par celui-ci en ce sens. Le lobbying est le mot d'ordre devant guider l'ensemble des mesures destinées à renforcer et à réformer le système international de protection des défenseurs des droits de l'Homme. C'est ce qui ressort de l'analyse faite par le membre de l'unité de protection de la CNDHL-Centre que l'on a rencontré au cours de l'enquête réalisée. Selon lui, « à l'échelle internationale, les institutions internationales doivent mettre la pression pour les cas dont elle est informée, sur les Etats afin qu'ils assurent et mettent en oeuvre les mesures nécessaires pour une protection efficace et meilleure des défenseurs des droits de l'Homme. Il faut une implication forte de la communauté internationale notamment parce que les gouvernements aiment qu'on les frappe par le haut. J'en veux pour preuve, que les appels urgents émanant des ONG internationales amènent plus les autorités à réagir, que les plaintes des défenseurs elles-mêmes. »354(*) Il importe de mettre sur pied une politique de lobbying efficace et performante, rompue à faire passer le devoir de l'Etat de réaliser les droits et libertés des personnes relevant de sa compétence, du régime juridique international d'une obligation de moyens, à celui d'une obligation de résultat. Ce n'est qu'à ce moment que l'on pourra véritablement envisager une mise en oeuvre complète par l'Etat camerounais au même titre que tous les autres, des normes internationales de protection des défenseurs des droits de l'Homme. Et encore, c'est dans cette dynamique qu'il faut se situer, pour renforcer le cadre défini par ces textes. B/ La conception d'un cadre juridique conventionnel traitant spécifiquement de la protection des défenseurs des droits de l'Homme Le second axe sur lequel le lobby exercé pour la réformation du système juridique international en vue d'une amélioration significative de la protection des défenseurs des droits de l'Homme, devrait porter sur l'amélioration des textes existant en la matière. Il s'agit concrètement de militer pour l'adoption d'une loi conventionnelle édictant les principes qui règlementeront l'activité à l'échelle universelle, et formulant les standards qui coordonneront la sécurisation des travailleurs des droits de l'Homme à travers le monde. Il est question en quelque sorte d'élaborer une norme de portée contraignante avant-gardiste en la matière, qui aura la charge de stimuler et d'harmoniser les efforts législatifs nationaux émis dans l'intention de protéger les professionnels des droits fondamentaux. Cette mesure est à l'image de l'initiative proposée par un activiste de la place : « au niveau international, il est nécessaire d'intensifier les pressions diplomatiques. Il faut qu'il y ait une dynamique d'ensemble pour faire pression sur les Etats qui ne protègent pas les défenseurs. Mais surtout, vu qu'il s'agit d'un droit spécifique, il faut un texte contraignant, une convention de portée spécifique pour protéger les défenseurs des droits de l'Homme, parce qu'une déclaration à elle seule, ne suffit pas. Il faut des normes au sens puriste du terme et pas seulement des déclarations, une convention comme celles qui existent relativement à d'autres matières de droits de l'Homme, qui organisera spécifiquement la protection de ceux qui exploitent la défense des droits de l'Homme, dans un cadre strictement professionnel. »355(*) C'est justement la voie qu'il faut suivre, à notre humble sens. Les décideurs internationaux de même que la totalité de la communauté internationale, tireraient énormément de profit, de l'encadrement par une norme de force conventionnelle, de l'activité et de la protection des militants des droits de l'Homme. Pour quelle raison, simplement à cause du rôle important joué par ceux-ci pour la promotion et la protection des prérogatives reconnues à l'humanité toute entière. En effet, les défenseurs symbolisent une catégorie d'individus356(*), dont le rôle est crucial pour la réalisation des droits déjà consacrés et protégés à l'attention de la totalité et de l'intégralité des autres catégories sociales d'individus (femmes, enfants, handicapés,...) C'est leur action courageuse de dénonciation et de formation, qui permet aux bénéficiaires de ces droits de les connaître, d'en jouir et de s'en prévaloir. C'est grâce à eux que l'essentiel des instruments de droit international des droits de l'Homme s'implantent de la société et mieux même, prennent vie. C'est dire en fait, que les défenseurs sont le maillon fort, l'âme du mouvement international de promotion et de défense des droits de l'Homme. C'est en ce sens, que la communauté internationale gagnerait à investir dans la mise en oeuvre d'un cadre juridique conventionnel spécifique relatif à leur protection. Ceci en raison de ce que, la protection efficace et effective des professionnels des droits de l'Homme constitue en fait, un choix ciblé et une action significative pour l'amélioration et la protection des droits de l'Homme. M. Margaret SEKAGGYA, rapporteure spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l'Homme, n'affirmait-elle pas fort à propos que : « la protection des défenseurs a un effet multiplicateur sur la protection des droits de l'Homme »357(*) ? Il est donc vital pour l'amélioration des systèmes de protection internationaux et internes de protection des défenseurs des droits de l'Homme, d'élaborer une norme conventionnelle règlementant spécifiquement la question. Cette convention devra être assortie par ailleurs, d'un mécanisme juridictionnel destiné à assurer le monitoring de l'implémentation du texte et, compétent pour connaître du contentieux lié à l'application de ce dernier. Il s'agit là d'une mesure hautement nécessaire due à l'importance de la protection du défenseur pour la préservation des droits reconnus à la totalité des hommes. Loin de constituer une fantaisie, c'est compte de cet enjeu crucial et majeur que la convention sur la protection des défenseurs des droits de l'Homme, à la différence des autres assorties de quasi-juridictions, devra être appuyée par un mécanisme juridictionnel à part entière, destiné à veiller méticuleusement au respect et à la réalisation de ses dispositions. * 351 EGUREN L. E. et QUINTANA M. M., Protection des défenseurs des droits humains : bonnes pratiques et leçons tirées de l'expérience, Bruxelles : Protection International, 2011, p. 65. * 352 Cette obligation est consacrée dans la plupart des textes de droit international de droits de l'Homme. A titre indicatif, Cf. entre bien d'autres les art. 2 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, art. 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 2(2) du Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels, art. 2 de la Déclaration sur les défenseurs, art. 1 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples. * 353 NYALUMA MULAGANO A., « Les obligations de l'Etat dans la mise en oeuvre des droits de l'Homme » (pp 99-106) in Manuel de formation à l'intention des défenseurs des droits de l'Homme en Afrique (collectif), Dimension sociale Bénin, Calavi, Juillet 2009, p. 99. * 354 Propos recueillis lors de l'entretien avec le membre de l'unité de protection de la CNDHL-Centre. * 355 Intervention d'un surveillant local des droits de l'Homme. * 356 L'expression est employée ici avec mesure à un sens figurée et par extension. L'on ne cherche en aucune façon à revendiquer le fait qu'il y ait un critère naturel et objectif fédérant la totalité des défenseurs des droits de l'Homme. Mais l'accent a voulu simplement être mis ici, sur le partage par ces individus, du même combat et de leur égale part du fait de leur retentissement social, à la législation conventionnelle au même titre que les autres catégories d'individus sociales existantes, internationalement protégées par des normes contraignantes. * 357 SEKAGGYA M. A., Message sur les défenseurs des droits de l'homme : dix ans après la déclaration sur les droits de l'homme, dix points pour mieux les connaitre, en annexe de son rapport sur la situation des défenseurs des droits de l'homme présenté à l'Assemblée générale des nations unies le 12 août 2008, A/63/288 |
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