I-5- Les dérives de la Francophonie, le racisme
et la Xénophobie de la France
S'il est vrai que la Francophonie fait l'objet de deux
mentions seulement dans notre corpus, nous avons noté toutefois qu'elle
ne bénéficie pas d'une appréciation favorable. Bien au
contraire, non seulement on lit un rejet des Français, mais aussi celui
de leur Francophonie : « Les français, nous n'en
voulons plus ici, mais alors plus du tout. Mais est-ce que c'est leur
problème ? D'abord ce fut leur foutu franc CFA, une vraie
calamité. Et voilà qu'ils viennent en plus nous casser les pieds
avec leur francophonie. » (Mongo Beti 1999 : 27)
Mongo Beti pense que la Francophonie linguistique est
irréelle, ou plutôt un mensonge :
...Comment prétendre coopérer avec un peule sans
parler la langue où il bègue depuis des
millénaires ? Voyez-vous, messieurs, la francophonie est un concept
mensonges, au moins sur le plan linguistique, et sans doute sur tous les
autres. Mais il faut faire avec, que voulez vous ? Au demeurant, qu'est-ce
que le mensonge, sinon un synonyme de la politique parmi d'autres ? (Mongo
Beti 2000 : 128)
Que ce soit dans ses fictions ou hors fiction,
l'écrivain contestataire garde une position très critique face
à la francophonie. Dans le rebelle II, il la
dénonce avec véhémence lorsqu'il dit :
Non, je ne le crois pas du tout, je l'ai dit très
souvent. D'ailleurs, je suis contre la francophonie des Français, c'est
un instrument d'oppression. C'est un échafaudage d'idées, qui
d'ailleurs n'ont rien à voire avec la langue française,
conçue pour maintenir les Africains sans autel. Ça n'est pas du
tout un instrument de développement, ni de libération, puisque
tut ce qui concerne la francophonie, institution, argent, vient de la France.
L'initiative est absolument aux Africains et d'ailleurs, en Afrique, on
préfère les chefs d'Etat aux écrivains, qui sont pourtant
les dépositaires de cette langue française. ( Djifack 2007 :
163)
Si la Francophonie des Français est perçue par
Mongo Beti comme un instrument d'oppression au service du
néocolonialisme, il apparaît également très clair
que cette ancienne métropole est dépeinte comme raciste et
xénophobe, au regard de l'arsenal des lois Pasqua sur l'immigration qui
rendent l'entrée et le séjour en France très
compliqués, et compte tenu de l'idéologie
développée et étendue par la lepénisation.
Théorie fondée sur l'idée de la supériorité
de certaines races sur les autres, le racisme est un ensemble de comportements
fondés, consciemment ou non, sur cette théorie, sur cette
doctrine. Dans notre corpus, deux noms français sont rattachés au
racisme et à la xénophobie des Français. Le narrateur fait
allusion à Jean Marie le Pen et à son idéologie politique
en ces termes : « ... à l'époque de cette
chronique, polluée par une lepénisation galopante, Eddie,
accusé de trafic de stupéfiants, a été
expulsé de Franc par charter. » (Mongo Beti
1999 :43) En effet, la lepénisation est un néologisme
politique qui désigne l'appropriation progressive par le public de tout
ou partie des thèmes développés par Jean marie le Pen, le
leader du Front National à cette époque. La lepénisation
est une idéologie d'autant plus dangereuse qu'elle est très
redoutée, même dans les Lycées français des
anciennes colonies, comme le remarque si bien, le jeune journaliste :
En tout cas, le proviseur n'en voulait pas, de ce groupuscule.
Il menaçait de chasser le jeune homme, qui le traitait de raciste, de
lepéniste et même de nazi. Ca agaçait le proviseur, mais
ça le paralysait aussi, c'est quand même fâcheux de se faire
traiter publiquement de lepéniste ici, c'est très mauvais pour la
carrière, d'autant qu'il n' a effectivement des problèmes de
racisme au Lycée français. (Mongo Beti 2000 : 74)
Quant à Charles Pasqua, le narrateur affirme :
« C'était au début des années 80, bien
avant que cela ne devienne une mode avouée avec le Ministre Charles
Pasqua lors de la première cohabitation. » (Mongo
Beti : 43) Bébète qui maîtrise l'actualité en
France avoue à Georges qu'elle ne se ferra pas ridiculiser par les lois
Pasqua : « pas question de quitter mon pays (...) est-ce que
tu dois même si on me laissera sortir de l'avion une fois dans ton
pays ? Et les lois Pasqua, tu en fais quoi ? Une crème de
goyave ? » (Mongo Beti : 94) En effet, nommé
ministre de l'intérieur dans le premier gouvernement de cohabitation
lorsque Jacques Chirac était premier ministre de François
Mitterrand, de 1986 à 1989, Charles Pasqua, à cette fonction, est
l'auteur de la loi portant son nom, rendant plus difficile le séjour des
étrangers en France. De 1993 à 1995, il est à nouveau
ministre de l'intérieur du gouvernement Balladur, alors premier ministre
de François Mitterrand, la réforme du code de la
nationalité française dite « réforme Pasqua» est
votée par le parlement. Parlant de l'immigration africaine en Europe,
Georges fait cette réflexion :
En réalité, l'Afrique demeure le plus grand
commun diviseur de la classe politique française, pas tellement dans
l'expression des bonnes intentions, là tout le monde est d'accord, mais
dans les attitudes concrètes, c'est tout à fait autre chose. Au
moins à propos de l'immigration, tous les observateurs en retrait de la
scène politique sont unanimes : au sahel, par exemple, c'est le
sauve- qui peut des jeunes vers l'abondance et la liberté, c'est
-à - dire vers l'Europe... » (Mongo Beti : 2000 :
129)
Cette abondance et cette liberté paraissent illusoires
d'autant plus que nous notons des vagues d'expulsions par charters
décriées par l'auteur. Le porte-parole de Mongo Beti sur cette
question épineuse est Georges qui affirme :
« Rappelez-vous l'église saint-bernard et Jugez si la
situation est grave. Bien fait. Nous avons détruit l'Afrique, l'Afrique
va nous détruire à sa manière, celle de
miséreux... » (Mongo Beti : 129) Les allusions aux
expulsions par charters sont récurrentes dans Trop de soleil tue
l'amour qui est le récit des retours des exilés au pays
natal. Mais, pour beaucoup, c'est un retour forcé et
déshumanisant qui traduit la xénophobie des
Français : « ...les Français nous sortent par
les yeux avec leur francophonie et leur franc CFA, et voilà qu'ils se
mettent à expulser nos frères de chez eux, et encore par charters
entiers... » (Mongo Beti : 47)
Le rapatriement par charters est d'ailleurs très mal
perçu, car les expulsés en sortent violentés, comme
Eddie : « N'empêche qu'Eddie sans conteste un des plus
beaux spécimens d'homme aigri et amer, sans doute parce qu'il avait
été rapatrié par charter, il faut reconnaître
à sa décharge que c'est là une épreuve à
laquelle on survit généralement très mal. »
(Mongo Beti : 98) Le narrateur trouve inhumains ces expulsions par
charters qu'il compare à une sorte de mort :
Tiens, il y'aurait peut-être un roman ou une
pièce de théâtre à écrire un jour sur ce
thème, qui s'intitulerait : y'a-t-il une vie après les
charters ? Pas bête du tout comme idée. Pas bête du
tout. Les jeux ne se figurent pas combien c'est terrible d'être
ramené chez soi par un vol charter. Il faudrait expliquer, le public
réaliserait peut-être ce qu'il y a d'inhumain dans cette
procédure. (Mongo Beti : 98)
L'image d'une manoeuvrière politique et militaire
collée à l'ancienne métropole n'est pas une illusion, au
regard de l'argumentation sus-menée qui a pris appui sur les trois
derniers romans post retour d'exil de Mongo Beti. S'il est vrai que les
dictateurs d'Afrique francophones sont de dignes serviteurs très loyaux
du système colonial, si ces pays se trouvent submergés par les
vagues de guerres civiles, de génocides et de coups d'Etat
récurrents, il faut tout simplement reconnaître que la
décolonisation gaulliste consacre le retour à l'âge d'or de
l'exploitation coloniale. Comme la deuxième partie de cette
réflexion va le démontrer, l'image de la France est davantage
celle d'une manoeuvrière économique véritable
prédatrice qui désintègre les souverainetés
économiques de ses anciennes colonies.
II- LES MANOEUVRES NEOCOLONIALES D'EXPLOITATION
ECONOMIQUE
La France manoeuvrière est d'une présence
envahissante en Afrique noire francophone où elle est très
puissante, grâce aux multiples tentacules de ses multinationales qui
contrôlent l'essentiel de l'économie. C'est ce que les critiques
appellent le néocolonialisme .En effet, le néocolonialisme
est défini comme suit : « Le
Néocolonialisme désigne, à partir des années 1960,
les diverses tentatives d'une ex-puissance coloniale de maintenir par les
moyens détournés ou cachés la domination économique
ou culturelle sur les anciennes colonies après leur
indépendance »1La mainmise française sur les
matières premières africaines a fait l'objet de la
préoccupation de beaucoup de critiques. Mongo Beti, cité par
Jooned Khan, affirme :
La France est encore très présente en
Afrique'', dit-il, sur un le ton du simple constat.' Le pétrole ,le gaz
,les richesses minières, les banques, les forets, les déchets
toxiques, depuis le Congo-Brazzaville jusqu'en Cote d'Ivoire ,en passant
par le Gabon, le Cameroun, la République Centrafricaine ,le Tchad ,le
Niger, le Bénin, le Togo et le Burkina Faso .Cette vaste
région est aux mains de toutes sortes ,plus ou moins reliées des
intérêts français. (Khan 2010 :2_3)
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