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De l'image de la France dans les trois dernières fictions romanesques de Mongo Beti

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par Jean Baptiste NTUENDEM
Université de Dschang - Master II 2013
  

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INTRODUCTION

Les rapports séculaires et actuels entre la France et ses anciennes colonies ont toujours été diversement perçus, car si les liens officiels qui existent entre cette ancienne métropole et l'Afrique noire francophone post coloniale sont présentés par les appareillages idéologiques officiels de tout bord comme amicaux et fraternels, du côté de cette région du continent noir, ils sont régulièrement évalués par des écrivains africanistes et africains comme relevant de la pure supercherie entre dominant et dominés. L'objet de cette modeste réflexion que nous nous proposons de mener dans l'espace de cet article est d'apprécier l'autre regard textualisé par la plume d'un écrivain francophone dont la double appartenance spatiale et culturelle à la France et au Cameroun fait de lui un observateur privilégié de ces deux sociétés qui entretiennent des rapports de domination très voilés et sournois dans la réalité , mais que notre corpus dévoile dans un contexte de porosité des frontières et de mondialisation.

Notre problématique est de savoir s'il peut y avoir des raisons de croire qu'il existe des éventuelles possibilités entre deux pays, deux nations, deux races et deux peuples dits souverains, amis et frères ,de garder des liens historiques porteurs de l'estampille de la civilisation, du dialogue, de la compréhension mutuelle, d'intégration, d'aide, d'échanges, de brassage des populations et de coopération dans un contexte réel de domination systématique effective et de confiscation des souverainetés d'une partie par l'autre.

Notre hypothèse est simple : notre corpus nous offre à lire des rapports apparemment sains, mais réellement infectés. L'exploitation d'une pléthore d'indices pertinents et irréfutables milite en faveur de cette hypothèse, au regard du foisonnement et de la diversité des thèmes développés par Mongo Beti qui a toujours privilégié l'approche sociologique au détriment de l'ethnologisme. A la suite de Gustave Massiah, ami de Mongo Beti, nous constatons que la pensée politique de l'écrivain, étonnement moderne et actuelle, s'organise autour de la lutte contre le néocolonialisme en tant que système, et en particulier le néocolonialisme français en Afrique. Notre approche s'appuiera sur l'appareillage méthodologique de la sociocritique qui étudie comment les textes de culture formulent les codes, les foyers d'unités et de dispersion et les conflits d'une société.C'est une approche qui s'attarde sur l'univers social présent dans le texte. Il s'agira pour nous d'étudier les mécanismes de textualisation des conflits comme la confiscation des souverainetés, l'installation des serviteurs loyaux du système colonial, la militarisation de la vie sociopolitique comme reproduction du contrôle interne de la domination externe, le contrôle monopolistique de la monnaie et des richesses naturelles et la mise en place de l'arsenal insupportable des lois racistes sur l'immigration entre autres... Les trois derniers romans de Mongo Beti dévoilent à n'en point douter, la terrible politique France africaine et laissent apparaître le vrai visage de la France : une France barbare, prédatrice, honteuse et hypocrite. Ce corpus est un véritable réquisitoire des forfaitures de l'ancienne métropole en Afrique.

I-LES MANOEUIVRES POLITIQUES ET MILITAIRES NEOCOLONIALES DE LA FRANCE.

Comme tous les historiens et les politologues qui se sont penchés sur l'histoire des décolonisations en Afrique noire francophone, Mongo Beti pense avec force conviction que la France est à l'origine des désintégrations des souverainetés politiques dans cette partie du continent noir. Ses trois derniers romans écrits après son retour d`exil permettent de lire toute une gamme de manoeuvres politiques et militaires conçues pour maintenir sa présence et son hégémonie sur le continent noir. Pour lui, toutes les désintégrations sociopolitiques émanent de la décolonisation partielle ou manquée des colonies françaises. Par ailleurs, cette ancienne métropole installe des dictateurs complaisants, sanguinaires, totalitaires complètement manipulables à sa guise. La même manoeuvrière va instaurer des partis uniques et organiser une chasse aux opposants, des guerres civiles, des génocides et des coups d'Etat à répétition. L'intégrité des Etats ainsi partiellement décolonisés connaîtra davantage une réelle fracture du fait d'une coopération néocolonialiste qui conditionne l'aide au développement par la démocratisation, alors qu'elle propose des holdups électoraux à ses amis en cas de perte des élections. L'ancienne métropole, comme la désigne le narrateur tout le long de son récit, a non seulement développé des systèmes d'espionnage très sophistiqués, mais elle a aussi multiplié des actions de mercenariat qui lui ont permis de défaire à volonté tous ceux des chefs d'Etat africains qui se sont rebellés contre sa tutelle. Pour un contrôle systématique et permanent des politiques intérieures et extérieures de ses anciennes colonies, elle a garanti son ingérence et a mis un accent sur la francophonie politique au détriment de la francophonie linguistique. Le regard que porte l'auteur sur les rapports qui existent entre l'Ancienne métropole et ses anciennes colonies est d'autant plus inquiet qu'il fait ressortir l'image d'une France dont le racisme et la xénophobie se lisent sur l'arsenal des lois sur l'immigration, sur les charters qu'elle organise, et sur la lepénisation galopante en France.

I-1- La France promotrice et protectrice des dictateurs

A lire minutieusement Mongo Beti, nous comprenons que cet écrivain engagé situe la malédiction que subit l'Afrique noire francophone aux indépendances manquées, car pour lui, la décolonisation française est un processus jamais achevé et, c'est d'ailleurs un fait théorique qui porte gravement atteinte à la souveraineté réelle de ces Etats :

L'attitude et les arrières pensées de l'ancienne métropole inspiraient d'ailleurs des conjectures aussi extravagantes que contradictoires. Visant tantôt d'un savoir-faire débonnaire, de rouerie ou de cynisme, cette puissance occidentale, forte de son honorabilité, et surtout d'une modernité, avait réussi la gageure de maintenir dans la posture humiliante du protectorat colonial des Républiques africaines dont le statut juridique équivalait théoriquement à la pleine souveraineté. (Mongo Beti 1994 : 133)

Parlant de cette décolonisation française irréelle, l'auteur affirmait déjà un an plus tôt dans son ouvrage intitulé : La France contre l'Afrique : retour au Cameroun : «   Il aurait fallu en somme que le Cameroun jouisse d'une réelle indépendance, et qu'il soit à même de se procurer tout seul les voies et les moyens d'une démocratisation et d'un développement sans doute douloureux et même aléatoires, mais libres, adultes et authentiques. » (Mongo Beti 1993 : 176) Kroubo Dagnini explicite d'ailleurs les manoeuvres politiques françaises en ces termes :

Ainsi en 1958, le général de gaulle mit en place une stratégie oeuvrant pour une décolonisation partielle des colonies françaises, dont le but officiel fut leur émancipation progressive mais dont l'objectif officieux était leur maintien sous la tutelle politique, économique et militaire de la France. Pour ce faire, il lueur proposa l'appartenance à une structure nommée la «  communauté », prévoyant leur autonomie au niveau interne, mais leur dépendance vis-à-vis de la France dans les domaines de la défense, de la diplomatie, de la monnaie et du commerce extérieur.  ( kroubo Dagnini 2008 : 114)

Notre corpus montre bien que, après avoir réussi à désintégrer cette souveraineté par l'octroi d'une indépendance fictive, l'ancienne métropole a opté pour des dictateurs sanguinaires, véritables serviteurs de ses intérêts :«  Trop heureuse de saisir enfin l'occasion d'une revanche facile sur ses déboires asiatiques, l'ancienne métropole jeta dans la balance son expérience de manoeuvrière à la fois politique et militaire : elle installa un dictateur complaisant et lui fit endosser une guerre civile larvée. »  (Mongo Beti 1994 :13)

La dépendance des anciennes colonies vis-à-vis de la France dans les domaines de la défense et de la diplomatie lui permettent de développer des déploiements des manoeuvres militaires qui violent les droits de l'Homme :

Ses interventions militaires sur le continent noir ne se comptaient plus, elles étaient même entrées dans la tradition de la diplomatie internationale, au point de ne soulever aucune reproduction. Elites et dirigeants africains impuissants devaient compter avec sa férule de la même façon qu'avec les changements de saison, les secousses telluriques ou tous les cataclysmes qu'on dit naturels.   (Mongo Beti : 133)

Il s'agit, en fait, d'une ancienne métropole calculatrice, douée d'esprit de convoitise et pétrie de duplicité qui protège et cajole ses marionnettes dans le seul but d'exploiter le pétrole national dont elle s'assure la main mise :

Pour les uns, elle avait fait son chouchou du chef de l'Etat, et pour rien au monde elle ne l'abandonnerait. Elle encourageait en sous-main le ministre d'Etat qui s'était engagé, s'il devenait le maître, à lui abandonner la maîtrise totale de l'exploitation du pétrole national. (Mongo Beti : 133)

En effet, beaucoup d'observateurs de la vie politique camerounaise sont d'avis que la France protège ses amis dictateurs dans le seul but de piller les ressources naturelles. C'est ce qu'affirme Jean Fochivé dans ses révélations faites à Fenkam Frédéric :

La France accusera un sérieux retard dans le rang des grandes nations. Comme une mère d'enfants qui veut rattraper un bus entraînant derrière elle sa bande de marmots, la France qui se veut être la nourrice de l'Afrique se verra débordée et envahie par des Africains fuyant la misère d'une oppression sauvage à laquelle elle a involontairement contribué. Ces petits dictateurs d'Afrique qu'elle a toujours protégés n'ont jamais raté une seule occasion de croire aux peuples paupérisés qu'ils sont victimes des pillages systématiques d'une France insatiable. (Fenkam 2003 : 217)

Sous la plume de Mongo Beti, cette marionnette de l'ancienne métropole est une sorte de monstre qui est à la tête d'un régime despotique :

Voilà donc à l'agonie l'ogre qui, pendant trente ans, avait craché sur nous tant de souffrance ! Car personne ne doutait que ce fût l'agonie si longtemps guettée du régime despotique installé ici par l'ancienne métropole en 1960, tenu à bout de bras par elle, aujourd'hui vaincu moins par la vaillance de ses ennemis que par la logique enfin dévoilée de sa nature d'enfant non viable, pareil aux bébés hydrocéphales. (Mongo Beti : 192)

Malgré le soutien à la dictature, l'auteur, dans un ton oraculaire, prédit la chute du monstre en proie à l'adversité et victime de sa tyrannie.

On ne voyait que trop au contraire quels désastres l'avenir poussait vers lui comme une meute de chiens hurleurs galopant encore au loin, certes, mais ventre à terre. Lui-même excepté, sans doute aussi ses protecteurs de l'ancienne métropole, chacun présentait maintenant que le destin du dictateur, instrument d'un monde présomptueux, dont il incarnait si bien l'aveugle entêtement et la déshumanisation, était de se fracasser un jour contre le mur. (Mongo Beti : 188)

Les fictions post retour d'exil de Mongo Beti cernent davantage les forfaitures de la France en Afrique noire francophone et montrent à suffisance cette ancienne métropole au centre d'une cruelle organisation des guerres civiles, des génocides et des coups d'Etat.

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