INTRODUCTION
Les rapports séculaires et actuels entre la France et
ses anciennes colonies ont toujours été diversement
perçus, car si les liens officiels qui existent entre cette ancienne
métropole et l'Afrique noire francophone post coloniale sont
présentés par les appareillages idéologiques officiels de
tout bord comme amicaux et fraternels, du côté de cette
région du continent noir, ils sont régulièrement
évalués par des écrivains africanistes et africains comme
relevant de la pure supercherie entre dominant et dominés. L'objet de
cette modeste réflexion que nous nous proposons de mener dans l'espace
de cet article est d'apprécier l'autre regard textualisé par la
plume d'un écrivain francophone dont la double appartenance spatiale et
culturelle à la France et au Cameroun fait de lui un observateur
privilégié de ces deux sociétés qui entretiennent
des rapports de domination très voilés et sournois dans la
réalité , mais que notre corpus dévoile dans un
contexte de porosité des frontières et de mondialisation.
Notre problématique est de savoir s'il peut y avoir des
raisons de croire qu'il existe des éventuelles possibilités entre
deux pays, deux nations, deux races et deux peuples dits souverains, amis et
frères ,de garder des liens historiques porteurs de l'estampille
de la civilisation, du dialogue, de la compréhension mutuelle,
d'intégration, d'aide, d'échanges, de brassage des populations et
de coopération dans un contexte réel de domination
systématique effective et de confiscation des souverainetés d'une
partie par l'autre.
Notre hypothèse est simple : notre corpus nous
offre à lire des rapports apparemment sains, mais réellement
infectés. L'exploitation d'une pléthore d'indices pertinents et
irréfutables milite en faveur de cette hypothèse, au regard du
foisonnement et de la diversité des thèmes
développés par Mongo Beti qui a toujours privilégié
l'approche sociologique au détriment de l'ethnologisme. A la suite de
Gustave Massiah, ami de Mongo Beti, nous constatons que la pensée
politique de l'écrivain, étonnement moderne et actuelle,
s'organise autour de la lutte contre le néocolonialisme en tant que
système, et en particulier le néocolonialisme français en
Afrique. Notre approche s'appuiera sur l'appareillage méthodologique de
la sociocritique qui étudie comment les textes de culture formulent les
codes, les foyers d'unités et de dispersion et les conflits d'une
société.C'est une approche qui s'attarde sur l'univers social
présent dans le texte. Il s'agira pour nous d'étudier les
mécanismes de textualisation des conflits comme la confiscation des
souverainetés, l'installation des serviteurs loyaux du système
colonial, la militarisation de la vie sociopolitique comme reproduction du
contrôle interne de la domination externe, le contrôle
monopolistique de la monnaie et des richesses naturelles et la mise en place de
l'arsenal insupportable des lois racistes sur l'immigration entre autres... Les
trois derniers romans de Mongo Beti dévoilent à n'en point
douter, la terrible politique France africaine et laissent apparaître le
vrai visage de la France : une France barbare, prédatrice, honteuse
et hypocrite. Ce corpus est un véritable réquisitoire des
forfaitures de l'ancienne métropole en Afrique.
I-LES MANOEUIVRES POLITIQUES ET MILITAIRES
NEOCOLONIALES DE LA FRANCE.
Comme tous les historiens et les politologues qui se sont
penchés sur l'histoire des décolonisations en Afrique noire
francophone, Mongo Beti pense avec force conviction que la France est à
l'origine des désintégrations des souverainetés politiques
dans cette partie du continent noir. Ses trois derniers romans écrits
après son retour d`exil permettent de lire toute une gamme de
manoeuvres politiques et militaires conçues pour maintenir sa
présence et son hégémonie sur le continent noir. Pour lui,
toutes les désintégrations sociopolitiques émanent de la
décolonisation partielle ou manquée des colonies
françaises. Par ailleurs, cette ancienne métropole installe des
dictateurs complaisants, sanguinaires, totalitaires complètement
manipulables à sa guise. La même manoeuvrière va instaurer
des partis uniques et organiser une chasse aux opposants, des guerres civiles,
des génocides et des coups d'Etat à répétition.
L'intégrité des Etats ainsi partiellement
décolonisés connaîtra davantage une réelle fracture
du fait d'une coopération néocolonialiste qui conditionne l'aide
au développement par la démocratisation, alors qu'elle propose
des holdups électoraux à ses amis en cas de perte des
élections. L'ancienne métropole, comme la désigne le
narrateur tout le long de son récit, a non seulement
développé des systèmes d'espionnage très
sophistiqués, mais elle a aussi multiplié des actions de
mercenariat qui lui ont permis de défaire à volonté tous
ceux des chefs d'Etat africains qui se sont rebellés contre sa tutelle.
Pour un contrôle systématique et permanent des politiques
intérieures et extérieures de ses anciennes colonies, elle a
garanti son ingérence et a mis un accent sur la francophonie politique
au détriment de la francophonie linguistique. Le regard que porte
l'auteur sur les rapports qui existent entre l'Ancienne métropole et ses
anciennes colonies est d'autant plus inquiet qu'il fait ressortir l'image d'une
France dont le racisme et la xénophobie se lisent sur l'arsenal des lois
sur l'immigration, sur les charters qu'elle organise, et sur la
lepénisation galopante en France.
I-1- La France promotrice et protectrice des dictateurs
A lire minutieusement Mongo Beti, nous comprenons que cet
écrivain engagé situe la malédiction que subit l'Afrique
noire francophone aux indépendances manquées, car pour lui, la
décolonisation française est un processus jamais achevé
et, c'est d'ailleurs un fait théorique qui porte gravement atteinte
à la souveraineté réelle de ces Etats :
L'attitude et les arrières pensées de l'ancienne
métropole inspiraient d'ailleurs des conjectures aussi extravagantes que
contradictoires. Visant tantôt d'un savoir-faire débonnaire, de
rouerie ou de cynisme, cette puissance occidentale, forte de son
honorabilité, et surtout d'une modernité, avait réussi la
gageure de maintenir dans la posture humiliante du protectorat colonial des
Républiques africaines dont le statut juridique équivalait
théoriquement à la pleine souveraineté. (Mongo Beti
1994 : 133)
Parlant de cette décolonisation française
irréelle, l'auteur affirmait déjà un an plus tôt
dans son ouvrage intitulé : La France contre l'Afrique :
retour au Cameroun : « Il aurait fallu en
somme que le Cameroun jouisse d'une réelle indépendance, et qu'il
soit à même de se procurer tout seul les voies et les moyens d'une
démocratisation et d'un développement sans doute douloureux et
même aléatoires, mais libres, adultes et
authentiques. » (Mongo Beti 1993 : 176) Kroubo Dagnini
explicite d'ailleurs les manoeuvres politiques françaises en ces
termes :
Ainsi en 1958, le général de gaulle mit en place
une stratégie oeuvrant pour une décolonisation partielle des
colonies françaises, dont le but officiel fut leur émancipation
progressive mais dont l'objectif officieux était leur maintien sous la
tutelle politique, économique et militaire de la France. Pour ce faire,
il lueur proposa l'appartenance à une structure nommée la
« communauté », prévoyant leur autonomie au
niveau interne, mais leur dépendance vis-à-vis de la France dans
les domaines de la défense, de la diplomatie, de la monnaie et du
commerce extérieur. ( kroubo Dagnini 2008 : 114)
Notre corpus montre bien que, après avoir réussi
à désintégrer cette souveraineté par l'octroi d'une
indépendance fictive, l'ancienne métropole a opté pour des
dictateurs sanguinaires, véritables serviteurs de ses
intérêts :« Trop heureuse de saisir enfin
l'occasion d'une revanche facile sur ses déboires asiatiques, l'ancienne
métropole jeta dans la balance son expérience de
manoeuvrière à la fois politique et militaire : elle
installa un dictateur complaisant et lui fit endosser une guerre civile
larvée. » (Mongo Beti 1994 :13)
La dépendance des anciennes colonies vis-à-vis
de la France dans les domaines de la défense et de la diplomatie lui
permettent de développer des déploiements des manoeuvres
militaires qui violent les droits de l'Homme :
Ses interventions militaires sur le continent noir ne se
comptaient plus, elles étaient même entrées dans la
tradition de la diplomatie internationale, au point de ne soulever aucune
reproduction. Elites et dirigeants africains impuissants devaient compter avec
sa férule de la même façon qu'avec les changements de
saison, les secousses telluriques ou tous les cataclysmes qu'on dit naturels.
(Mongo Beti : 133)
Il s'agit, en fait, d'une ancienne métropole
calculatrice, douée d'esprit de convoitise et pétrie de
duplicité qui protège et cajole ses marionnettes dans le seul but
d'exploiter le pétrole national dont elle s'assure la main mise :
Pour les uns, elle avait fait son chouchou du chef de l'Etat,
et pour rien au monde elle ne l'abandonnerait. Elle encourageait en sous-main
le ministre d'Etat qui s'était engagé, s'il devenait le
maître, à lui abandonner la maîtrise totale de
l'exploitation du pétrole national. (Mongo Beti : 133)
En effet, beaucoup d'observateurs de la vie politique
camerounaise sont d'avis que la France protège ses amis dictateurs dans
le seul but de piller les ressources naturelles. C'est ce qu'affirme Jean
Fochivé dans ses révélations faites à Fenkam
Frédéric :
La France accusera un sérieux retard dans le rang des
grandes nations. Comme une mère d'enfants qui veut rattraper un bus
entraînant derrière elle sa bande de marmots, la France qui se
veut être la nourrice de l'Afrique se verra débordée et
envahie par des Africains fuyant la misère d'une oppression sauvage
à laquelle elle a involontairement contribué. Ces petits
dictateurs d'Afrique qu'elle a toujours protégés n'ont jamais
raté une seule occasion de croire aux peuples paupérisés
qu'ils sont victimes des pillages systématiques d'une France insatiable.
(Fenkam 2003 : 217)
Sous la plume de Mongo Beti, cette marionnette de l'ancienne
métropole est une sorte de monstre qui est à la tête d'un
régime despotique :
Voilà donc à l'agonie l'ogre qui, pendant trente
ans, avait craché sur nous tant de souffrance ! Car personne ne
doutait que ce fût l'agonie si longtemps guettée du régime
despotique installé ici par l'ancienne métropole en 1960, tenu
à bout de bras par elle, aujourd'hui vaincu moins par la vaillance de
ses ennemis que par la logique enfin dévoilée de sa nature
d'enfant non viable, pareil aux bébés hydrocéphales.
(Mongo Beti : 192)
Malgré le soutien à la dictature, l'auteur, dans
un ton oraculaire, prédit la chute du monstre en proie à
l'adversité et victime de sa tyrannie.
On ne voyait que trop au contraire quels désastres
l'avenir poussait vers lui comme une meute de chiens hurleurs galopant encore
au loin, certes, mais ventre à terre. Lui-même excepté,
sans doute aussi ses protecteurs de l'ancienne métropole, chacun
présentait maintenant que le destin du dictateur, instrument d'un monde
présomptueux, dont il incarnait si bien l'aveugle entêtement et la
déshumanisation, était de se fracasser un jour contre le mur.
(Mongo Beti : 188)
Les fictions post retour d'exil de Mongo Beti cernent
davantage les forfaitures de la France en Afrique noire francophone et montrent
à suffisance cette ancienne métropole au centre d'une cruelle
organisation des guerres civiles, des génocides et des coups d'Etat.
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