A. Les points forts des normes de protection du Parc
National de la Kibira
Comme nous l'avons déjà mentionné, la
conservation de la diversité biologique du PNK du Burundi date de
l'époque coloniale. Sur le plan national, des lois en la matière
ont été élaborées pour réglementer la coupe
et la vente de bois, la chasse et la capture des animaux sauvages de
49 BARARWANDIKA, A., Etude prospective du Secteur
forestier en Afrique, 2001 : cas du Burundi, p.8.
50 NZOJIBWAMI, C., Etude de cas
d'aménagement forestier exemplaire en Afrique centrale: le Parc National
de la Kibira, Burundi, 2002, FAO, p.13.
cette forêt naturelle51. En effet, en mettant
en défens cette forêt naturelle, l'autorité coloniale
visait à la fois la protection des sols contre l'érosion et la
conservation de la faune. La réglementation en rapport avec la
conservation de la biodiversité du PNK a été
renforcée dans les années 80 avec la création de
l'Institut National pour l'Environnement et la Conservation de la Nature
(INECN).
C'est dans la même logique de faire face aux
défis environnementaux qui menacent cette aire protégée
que la République du Burundi s'est dotée des outils juridiques de
gestion de ses ressources naturelles dont les plus importants sont : le Code de
l'Environnement de 2000, le Code Forestier de 1985, la Loi sur la
création et la gestion des aires protégées de 2011 en
révision du Décret-loi n°1/6 du 3 mars 1980 portant
création des parcs nationaux et des réserves naturelles et le
Décret-Loi de 2000 portant délimitation d'un Parc National et de
4 Réserves Naturelles.
Ces textes de loi fixent les règles fondamentales
destinées à permettre la gestion de l'environnement et la
protection de celui-ci contre toute forme de dégradation, afin de
sauvegarder et de valoriser l'exploitation rationnelle des ressources
naturelles et d'améliorer les conditions de vie de la personne humaine,
dans le respect de l'équilibre des écosystèmes naturels.
Ils prévoient aussi des mesures visant à assurer la conservation
des ressources biologiques de ces écosystèmes naturels.
En plus de ces textes légaux et réglementaires
qui relèvent du droit interne, le Burundi est partie à plusieurs
conventions internationales ayant des rapports avec la conservation des
ressources naturelles du PNK. On citera notamment la Convention sur la
Diversité Biologique (CDB), la Convention CITES, la Convention
Phytosanitaire, etc. Par ce dernier engagement, le Burundi a manifesté
sa volonté de collaborer avec la communauté internationale dans
le domaine de la conservation des ressources forestières de cet
écosystème naturel.
De ce qui précède, force est de constater que le
Burundi dispose d'un cadre légal très riche et cela devrait
faciliter la connaissance des droits et des obligations et l'orientation des
interventions à mener en matière de conservation de cette aire
protégée. Cet ensemble de textes de loi servent de
référence à la conservation et à l'utilisation
durable de ses ressources naturelles.
Il est à noter que le cadre légal de protection
des ressources forestières en général et du PNK ne cesse
de s'améliorer en vue d'être efficace. En effet, la politique
forestière et le Code forestier du Burundi sont entrain d'être
révisés afin d'être adaptés aux circonstances du
moment en matière de protection de l'environnement.
Ainsi, en ce qui concerne les formations naturelles, la
politique forestière du Burundi, qui est encore au stade de projet, vise
comme objectifs : la réduction totale des pertes en espèces et en
espaces, la restauration des espaces dégradés, la gestion
participative des formations naturelles et le développement de
l'écotourisme. Les efforts de protection et de conservation de ces
ressources désormais canalisés par cette politique doivent
être marqués par le souci permanent d'orienter les ressources vers
la population qui en est le bénéficiaire actuel et futur.
51 INECN, Rapport d'étude sur les modes de
gouvernance et les catégories d'aires protégées au
Burundi, Bujumbura, 2008, p.12.
B. Les faiblesses des normes de protection du Parc
National de la Kibira
Nous venons de voir que le Burundi dispose d'un important
arsenal juridique de nature à lui permettre d'assurer de façon
cohérente et efficace la protection de la biodiversité du PNK,
une fois ces mécanismes légaux respectés et mis en oeuvre.
Cependant, ces derniers comportent de nombreuses insuffisances et contraintes
liées à leur application et à leur effectivité.
D'une manière générale, ces contraintes sont
les suivantes :
1. Beaucoup de lois et conventions manquent de textes
d'application sans lesquels ces lois et conventions demeureront largement
inapplicables.
Dans la plupart des cas, ces lois de caractère trop
général ne sont pas suivies de textes d'application qui pourtant,
sont nécessaires pour apporter des précisions sur les
dispositions de la loi insuffisamment détaillée. De même,
lorsqu'elles sont ratifiées par l'Etat, les conventions internationales
sont souvent inadaptées. En effet, elles énoncent des normes
écologiques et des objectifs globaux qui nécessitent une certaine
adaptation à la situation et aux données environnementales de
chaque pays en tenant compte du degré de développement et de ses
moyens. Or, dans l'état actuel des choses, toutes ces conventions
ratifiées par le Burundi ne sont généralement
relayées par aucun texte légal d'adaptation, si bien que les
objectifs qu'elles énoncent demeurent lettre morte.
A titre illustratif, la convention sur la diversité
biologique que le Burundi a déjà ratifiée, prévoit
dans ses dispositions de nombreuses obligations à charge des Etats
parties en matière de réglementation d'accès aux
ressources génétiques, le partage juste et équitable des
avantages découlant de l'exploitation des ressources
génétiques, le contrôle, etc.
Mais, le droit interne est muet sur ces aspects alors que
toutes ces conventions posent des principes et laissent à chaque Etat
Partie la charge d'organiser sur le plan national les modalités
politiques, juridiques et institutionnelles de leur mise en oeuvre.
Il importe donc pour le Burundi de fournir beaucoup plus
d'efforts d'adaptation de sa législation nationale afin de s'acquitter
de cette importante mission.
2. D'autres lois ne prennent pas suffisamment en compte
la nécessité d'une approche participative pourtant indispensable
pour l'aménagement d'une législation environnementale
efficace52.
Ainsi, en vertu du principe 10 de la Déclaration de
Rio, « la meilleure façon de traiter les questions d'environnement
est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au
niveau
52 L'approche participative est un outil
privilégié permettant l'association active et responsable des
ONGs, des collectivités locales et populations (FAO, 2000).
qui convient ». Cette participation concerne les
femmes53, les jeunes54 aussi bien que les populations et
communautés autochtones et autres collectivités locales qui ont
un rôle vital à jouer dans la gestion de l'environnement et le
développement du fait de leurs connaissances du milieu et de leurs
pratiques traditionnelles55.
Selon Marc DUFUMIER, la protection des espèces
végétales et de la faune sauvage suppose que soient
délimités et entretenus dans un pays un certain nombre de parcs
naturels et de forêts classées dont la gestion conservatoire ne
peut être assurée qu'avec la participation des populations
riveraines56. Donc, la meilleure façon d'avoir une
législation environnementale est d'assurer la participation des
différents intervenants dès sa conception. En effet, les
communautés locales sont en mesure, si elles sont associées
à la procédure, de déterminer la meilleur façon de
protéger l'environnement. Dans ce même ordre d'idée, il
importe de relever que la loi forestière du 25 mars 1985 est non
seulement incohérente sous plusieurs aspects, mais aussi très
restrictive en matière de droits d'usage des populations.
A ce titre, cette participation active de la population est
donc garante d'une meilleure adaptation des règlements aux
réalités et d'un meilleur respect des textes susceptibles
d'assurer la préservation des ressources naturelles. Par ailleurs, la
gestion durable des ressources de l'environnement au XXIème
siècle ne peut pas se faire selon les principes du
XIXème siècle avec une administration centralisatrice,
secrète et autoritaire57.
Ainsi, la gestion du Parc National de la Kibira (PNK) fait
participer les communautés villageoises grâce à un plan
communautaire de conservation, gage de partenariat entre la population,
l'administration et les conservateurs. De plus, la mise en place d'un nouvel
organe consultatif, les «comités locaux de surveillance du
parc» dans toutes les communes autour de la Kibira, semble être une
solution d'implication des populations dans la gestion du parc58.
3. L'ineffectivité de la loi ou de la convention
est due souvent à sa méconnaissance, non seulement par les
citoyens, mais aussi ceux qui sont chargés de veiller à son
application.
A l'état actuel des choses, lorsqu'une loi est
promulguée, elle n'est pas suivie de mesures d'accompagnement qui
consistent en la vulgarisation, l'information et la sensibilisation des
institutions étatiques, de l'administration territoriale et des
populations rurales pour que chacun sache en ce qui le concerne, ses droits et
obligations. Ainsi, l'information, la sensibilisation et
53 Principe 20 de la Déclaration de Rio.
54 Principe 21 de la Déclaration de Rio.
55 Principe 22 de la Déclaration de Rio.
56 DIFUMIER, M., « Environnement et
Développement Rural », in Revue du Tiers Monde, Tome XXXIII,
p.303.
57 PRIEUR, M., « Démocratie et Droit
de l'Environnement et du Développement », in RJE, 1993,
p.29.
58 NZOJIBWAMI, C., Etude de cas
d'aménagement forestier exemplaire en Afrique centrale: le parc national
de la Kibira, Burundi, 2002, FAO, p.9.
59 Principe 19 de la Déclaration de Stockholm
de 1972.
60 MEETU, Stratégie Nationale et Plan
d'Action en matière d'Education Environnementale. Bujumbura, 2009,
p.7.
l'éducation relatives à l'environnement doivent
se réaliser au niveau de toute la population et de toutes les
catégories socio-professionnelles.
En effet, la Déclaration de Stockholm de 1972 est on
peut plus claire. Elle énonce qu'il est essentiel de dispenser un
enseignement sur les questions d'environnement aux jeunes
générations aussi bien qu'aux adultes, en tenant dûment
compte des moins favorisés afin de développer les bases
nécessaires pour éclairer l'opinion publique et donner aux
individus, aux entreprises et aux collectivités le sens de leurs
responsabilités en ce qui concerne la protection et
l'amélioration de l'environnement dans toute sa dimension
humaine59. La réussite de cette approche éducative
reste dans une large mesure subordonnée à la mise en place d'un
mécanisme de vulgarisation des textes, elle-même
conditionnée par la mise en place des mécanismes institutionnels
d'accompagnement permettant de relever le taux et le niveau
d'alphabétisation. Enfin, l'éducation environnementale doit
être un outil fondamental pour développer la formation et la
sensibilisation de notre population lui permettant d'avoir des connaissances
approfondies et des compétences nécessaires afin d'opérer
des choix raisonnés60.
4. L'ineffectivité de certains textes de lois est
liée aux difficultés financières et techniques
nécessaires à leur mise en application.
D'aucuns s'accordent sur le fait qu'au Burundi, on ne dispose
pas de moyens adéquats et suffisants pour combattre par exemple le
braconnage, les feux de brousse, la coupe de bois. En effet, entre des
braconniers et contrebandiers équipés d'armes à feu et des
gardes-forestiers allant à pied et non armés, il y a tout un
fossé. Sur un plan général, ces difficultés
financières et techniques soulignent le lien profond qui existe entre la
protection de l'environnement et le développement. L'idée de
conservation de la nature est vaine dans des régions où
sévit la misère, où les populations empruntent tout
à la nature pour survivre.
Il est difficile également de juguler la destruction
des forêts par des paysans qui ont besoin de lopins de terre pour
pratiquer une agriculture de subsistance et de bois de chauffage pour des
besoins domestiques si l'on n'est pas en mesure de leur proposer des solutions
alternatives. Ainsi, la loi n°1/10 du 30 mai 2011 portant création
et gestion des aires protégées au Burundi préconise
l'élaboration des plans de gestion et d'aménagement des aires
protégées en général et du PNK en particulier en
vue de promouvoir des droits d'usage qui ne dégradent pas l'aire
protégée, de promouvoir des alternatives aux ressources
biologiques vulnérables dans les villages riverains, etc.
Force est cependant de constater que l'élaboration de
tels plans requiert la disponibilité des moyens financiers et des
ressources humaines outillées pour cette fin afin de préserver ce
patrimoine naturel.
61 Article 12 du Protocole de Nagoya sur
l'Accès aux ressources génétiques et le Partage juste et
équitable des Avantages découlant de leur utilisation relatif
à la convention sur la diversité biologique.
Ainsi donc, au Burundi, les responsables du pays devraient
être sensibilisés sur l'intérêt combien important que
présentent les textes existants en une matière aussi vitale que
celle de la conservation des ressources naturelles pour les
générations présentes et futures.
5. Il existe des aspects entiers de la
biodiversité qui ne font l'objet d'aucun encadrement juridique
national.
C'est le cas des manipulations génétiques, de la
répartition des bénéfices découlant de
l'utilisation des ressources biologiques, de la réglementation des
expérimentations, de la protection juridique des connaissances
traditionnelles, de l'accès à la technologie ainsi que son
transfert, etc.
Au Burundi, le constat est que la plupart de ces aspects de la
biodiversité ne sont soumis à aucune réglementation alors
que leur encadrement juridique national serait d'une grande utilité pour
le pays et pour les populations riveraines des aires protégées en
général et du PNK en particulier. Ainsi, comme le pays n'est pas
partie au Protocole de Nagoya, les connaissances traditionnelles ne font objet
d'aucune protection juridique. Grâce à ses dispositions claires
sur l'accès aux connaissances traditionnelles associées aux
ressources génétiques, les communautés autochtones et
locales bénéficient de l'utilisation de leurs connaissances,
innovations et pratiques61.
En conclusion, comme nous venons de le constater, la question
de l'environnement est désormais devenue une préoccupation
planétaire. Sur le plan interne, en plus d'une politique claire de
protection des réserves forestières, le Burundi s'est doté
d'un droit positif de protection du PNK. Sur le plan international, le pays
étant partie à nombreux de traités internationaux, s'est
associé aux autres nations de la communauté internationale pour
faire face aux menaces dont fait l'objet cet écosystème naturel.
Evidemment, bien que le Burundi dispose d'un important arsenal juridique en
rapport avec la conservation de la biodiversité du PNK, les
problèmes liés à son application et son effectivité
subsistent.
En plus du cadre légal de protection du PNK, une
conservation et une utilisation durable de la biodiversité du PNK
suppose l'existence des mécanismes institutionnels appropriés
permettant de suivre de près les agissements qui seraient de nature
à porter atteinte aux ressources naturelles de cette réserve
forestière.
2ème Partie : LES MECANISMES INSTITUTIONNELS DE
PROTECTION DU PARC
NATIONAL DE LA KIBIRA
Les bases d'une politique de gestion des ressources naturelles
et de l'environnement doivent être conçues en termes de
préservation de potentiel de production et en termes de maintien de
l'équilibre du milieu. En effet, une bonne gestion des ressources
naturelles et de l'environnement exige une action concertée et
coordonnée de tous les acteurs du développement. La
responsabilité de conserver et gérer les ressources
forestières est partagée entre diverses institutions tant
nationales qu'internationales à titres divers.
Au Burundi, la coordination incombe à l'Institut
National pour l'Environnement et la Conservation de la Nature (INECN) sous la
tutelle du Ministère de l'Eau, de l'Environnement, de
l'Aménagement du Territoire et de l'Urbanisme (MEEATU) qui
réalise la politique du Gouvernement en la matière (Chapitre I).
C'est ainsi que pour assurer une protection effective du PNK, des
stratégies légales et institutionnelles adéquates doivent
être envisagées par les responsables du pays pour la conservation
et l'utilisation durable de ses ressources naturelles (Chapitre II).
CHAPITRE 1 : LES INSTITUTIONS INTERVENANT DANS LA
CONSERVATION DU PARC NATIONAL DE LA KIBIRA
L'Institut National pour l'Environnement et la Conservation de
la Nature (INECN) a la mission principale d'assurer la gestion des forêts
naturelles et les aires protégées. Cependant, pour arriver
à gérer cette aire protégée, il doit collaborer
avec les autres partenaires comprenant les institutions publiques (section 1)
et les Organisations Non Gouvernementales (ONGs) nationales, coopération
bilatérale et multilatérale (section 2).
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