B. L'approche participative comme fondement
d'intégration des populations locales
La plupart des menaces qui pèsent sur la
biodiversité du PNK ont pour origine les pressions anthropiques. C'est
pourquoi les règles de protection de cette aire protégée
visent le plus souvent la réglementation des activités humaines
pour éviter qu'elles ne portent atteinte à cet
écosystème naturel. Cependant, une fois non comprises et
acceptées par les populations concernées, ces normes auront peu
de chances d'être respectées et partant seraient, ineffectives.
Autrement dit, les normes de protection du PNK ne peuvent être efficaces
que si elles sont fondées sur une approche participative.
Pour le Professeur Michel Prieur, « la protection de
l'environnement, si elle est devenue une obligation de l'Etat, est avant tout
un devoir du citoyen »102. En effet, la conservation de la
nature est loin d'être l'affaire de l'Etat seul : les populations
riveraines, acteurs incontournables de la gestion de ces aires
protégées, y ont une part importante. Comme le dit Laurent
Granier, « l'approche participative consiste à la fois à
tenir compte des intérêts et modes de vie des populations dans
l'élaboration des normes de protection de l'environnement et à
les associer étroitement à leur mise en oeuvre
»103.
C'est ainsi que pour emboîter le pas au décret
n°1/007 du 25 janvier 2000 portant délimitation d'un parc national
et de quatre réserves naturelles qui prévoit et organise
déjà une gestion communautaire du PNK en son article 5, et ce
malgré les insuffisances légales signalées supra,
des efforts de production normative intégrant les populations
locales dans la conservation de cette aire protégée se font
déjà remarquer. Il s'agit notamment de l'élaboration de la
loi n°1/10 du 30 mai 2011 portant création et gestion des aires
protégées au Burundi qui est venue en révision du
décret-loi n°1/6 du 3 mars 1980 portant création de parcs
nationaux et des réserves naturelle. Cette loi complète
également le décret n°1/007 du 25 janvier 2000 portant
délimitation d'un parc national et de quatre réserves
naturelles.
Il s'agit d'une loi qui a été
élaborée pour mettre fin à certaines lacunes
constatées dans le système de gestion des aires
protégées du Burundi dont l'existence d'une gouvernance où
l'Etat est le seul gestionnaire des aires protégées. Ainsi, pour
atteindre les objectifs de conservation, cette loi reconnaît le
rôle combien important que peuvent jouer les populations environnantes
dans la gestion des aires protégées. En effet, les populations
environnantes doivent être associées dans la gestion des aires
protégées par la reconnaissance de certains droits traditionnels
(ramassage du bois mort, extraction de plantes médicinales, etc..) et de
leur implication dans les activités autour des aires
protégées, génératrices de revenus104.
Ceci constitue évidemment des mesures incitatives pour la conservation
de la biodiversité des aires protégées.
Dans cette nouvelle approche, il devient essentiel de
rechercher à impliquer davantage les populations locales et les autres
parties prenantes des aires protégées dans l'identification,
la
102 Prieur, M., Droit de l'environnement, Paris, Dalloz,
2004, p .112.
103 GRANIER, L. (Coord.), op.cit., p.32.
104 Articles 12 à 18 de la Loi n°1/10 du 3O mai 2011
portant création et gestion des aires protégées au
Burundi.
gestion et le suivi des aires protégées afin
d'en assurer l'efficacité et l'effectivité pour la conservation
de la biodiversité. C'est dans ce cadre que le projet Parcs Pour la Paix
« PPP » qui appuie l'INECN dans la gestion du PNK, est entrain de
mettre en place un nouvel organe, « les comités locaux de
surveillance », dans toutes les communes avoisinantes du PNK. Ces
comités locaux sont déjà fonctionnels dans deux communes
riveraines du PNK à savoir Muramvya et Muruta105.
En effet, pour lutter contre certaines pratiques de
destruction du PNK, ces « comités de surveillance participent
à la dénonciation et la saisie des produits volés dans le
parc106.
Leur mise en place passe d'abord par un diagnostic
participatif où ces animateurs rencontrent la population au niveau de la
colline. Par ailleurs, l'INECN et le PPP sensibilisent les différents
services travaillant autour du PNK pour qu'ils attachent une attention
particulière aux populations car la préservation du parc
dépend de l'amélioration de leur condition de vie.
En définitive, la mise en place de ces comités
locaux semble alors être la meilleure solution d'implication des
populations dans la gestion du parc. En effet, la promotion de
l'effectivité de la protection du PNK doit passer par une meilleure
adaptation des règles et des mécanismes de la biodiversité
de cette aire protégée. Pour ce faire, il convient d'associer
étroitement les populations locales à leur élaboration et
à leur mise en oeuvre.
La mise en oeuvre de cette législation
élaborée d'une manière participative doit s'accompagner de
la définition des stratégies institutionnelles qui se veulent
adéquates afin de garantir la conservation et l'utilisation durable des
ressources du PNK.
Section 2 : Stratégies institutionnelles
adéquates pour la protection du Parc National de Kibira
Comme nous l'avons mentionné, la coordination des
actions de gestion et de conservation de la biodiversité du PNK est du
ressort de l'INECN. Toutefois, pour être efficace, cet Institut doit
collaborer avec d'autres partenaires que sont notamment l'administration
locale, les populations locales, les ONGs et les autres institutions oeuvrant
autour des aires protégées. A cet effet, la
nécessité s'impose de mettre en place des mécanismes de
coordination et de collaboration de ces divers intervenants (§1). En vue
d'être à la hauteur de leurs missions, ces institutions
requièrent inévitablement le renforcement de leurs
capacités tant individuelles qu'institutionnelles (§2).
105 Les deux communes relèvent respectivement des
provinces Muramvya et Kayanza. 106NZOJIMWAMI, C., Le parc
national de la Kibira, Burundi, PPP/INECN, 2OO3, p.54.
§1. Les mécanismes de coordination et de
concertation des intervenants dans la protection du Parc National de la
Kibira
A. Mise sur pied d'un cadre de coordination et de
concertation entre différents partenaires intervenant dans la protection
du Parc National de la Kibira
Sur le plan national, il a été relevé que
la responsabilité de conserver et gérer les ressources
forestières du PNK est partagée entre diverses institutions avec
des missions respectives en rapport avec sa biodiversité. Toutefois, le
manque de cadre de coordination et collaboration effectives entre ces
différents partenaires à la conservation du PNK constitue un
obstacle qui ne peut qu'empêcher la bonne gestion de ce patrimoine
naturel.
A cet effet, étant donné que les questions
relatives à la conservation de la biodiversité du PNK sont
interdisciplinaires, il devrait y avoir un organe national de coordination et
de concertation de tous les intervenants dans la protection de ce parc,
chargé de la planification et de la mise en oeuvre des programmes
nationaux. Un tel comité aurait également comme rôle
d'inciter la prise en compte de sa biodiversité dans les politiques, les
programmes, les stratégies et les plans d'actions nationaux des
différents ministères, d'inciter les ONGs tant locales
qu'internationales et le public à participer dans la mise en oeuvre des
plans de gestion et d'aménagement des aires protégées et
particulièrement ceux du PNK.
Cet organe de coordination aurait entre autres missions de
:
- veiller au strict respect des accords d'accès aux
ressources biologiques du PNK ;
- étudier et analyser les lois sur l'utilisation des
ressources biologiques du PNK, y compris la reconnaissance des droits de
propriété aux collectivités locales et autochtones ;
- informer et sensibiliser les communautés autochtones
et locales de l'importance et des intérêts réels et
potentiels de la biodiversité du PNK;
- faire des inventaires et établir une base de
données sur la biodiversité du PNK.
Aussi, en vue d'être efficace dans la protection du PNK,
ce cadre de concertation mis en place doit-il répondre à une
série de conditions107. Ce sont notamment :
- l'implication des principaux acteurs concernés par la
gestion du parc et les plus présents sur le terrain, donc les plus
actifs ;
- la garantie d'assurer son fonctionnement régulier en
motivant ses membres à participer durablement à travers une
programmation commune qui intègre les activités de chacun des
partenaires dans ou autour du parc et la mobilisation des moyens des
différents membres. Le cadre doit être l'affaire de tous et non
plus celui d'un quelconque des partenaires ;
107 Seybatou Alpha, D., NINDORERA, D., op.cit, p.49.
- le rattachement du cadre de concertation à une
autorité administrative pérenne, reconnue et respectée qui
en assure la coordination pour garantir la participation effective des
différents membres ;
- la dotation d'un secrétariat technique chargé
notamment d'assurer le suivi des activités et de rendre compte entre les
réunions du cadre.
Ainsi, la mise en place d'une telle structure de coordination
et d'harmonisation de toutes les interventions autour du Parc permettra de
conserver efficacement et de gérer durablement la biodiversité de
cette aire protégée.
B. Favoriser l'implication de toutes les couches de la
population sur une base concertée
Afin de mettre en oeuvre effectivement les règles de
protection du PNK, il importe d'associer et de faire participer toutes les
catégories d'intervenants dans et au tour de cette forêt
naturelle. Pour Kamto, « la réalisation d'un
développement soutenable sur le plan économique et
équitable sur le plan social requiert une participation effective des
populations et des divers groupes intéressés aux prises de
décisions relatives à l'utilisation des ressources de la
nature. »108. En effet, tout le monde s'accorde sur le
fait que la démocratie écologique se construit activement et ce
à tous les niveaux où s'élaborent les normes et
décisions en matière de protection des aires
protégées. Elle constitue un des principes nouveaux posés
par la Déclaration de Rio. Elle a été soulignée
dans le principe 10 de la Déclaration de Rio qui stipule que
«la meilleure façon de traiter les questions d'environnement
est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau
qui convient". A ce titre, il convient notamment d'impliquer dans cette
oeuvre de protection du PNK, les femmes109, les jeunes110
, les collectivités locales et communautés
autochtones111 et les autres partenaires du développement
oeuvrant sur terrain.
La place de ces catégories de populations dans la
sauvegarde de la biodiversité est, sans conteste, importante si leur
coordination s'opère sur une base concertée. Ici, il est question
de prendre des mesures visant à favoriser l'intégration
complète et effective des femmes, à la gestion et à la
lutte contre la dégradation du PNK dans la mesure où les femmes
jouent un rôle actif en milieu rural. Ainsi, dans le cas
déjà évoqué de la réalisation du Projet
Parcs pour la Paix « PPP » qui appuie l'INECN dans la
préservation du PNK, l'élection des « comités locaux
de surveillance », doit tenir compte de la parité hommes-femmes au
niveau de chaque colline riveraine du PNK concernée112.
Il s'agit également des jeunes qui, par leur
enthousiasme pour la protection du parc, peuvent être des artisans
particulièrement efficaces dans la promotion de la conservation de la
biodiversité du
108 Kamto, M., Droit de l`environnement en Afrique,
EDICEF-AUPELF, Paris, 1996, p.27.
109 Principe 20 de la Déclaration de Rio de Janeiro de
juin 1992 sur l'environnement et le développement.
110 Principe 21, idem.
111 Principe 22, idem.
112NZOJIBWAMI, C., Le Parc national de la Kibira,
Burundi, PPP/INECN, 2003, p.55.
113 NINDORERA, D., RUZIMA, S., Renforcement des
capacités pour la mise en oeuvre de la stratégie nationale et
plan d'action en matière de diversité biologique, Bujumbura,
2003, p.25.
Parc. Quant aux collectivités locales et populations
autochtones, elles ont un rôle important à jouer dans la gestion
et la conservation de cette aire protégée, compte tenu de leur
connaissance du milieu et des pratiques traditionnelles.
Ainsi donc, toutes ces structures doivent être largement
et prioritairement associées dans la conservation et l'utilisation
durables de la biodiversité du PNK. Cependant, pour que leurs
interventions puissent être efficaces, ces différents partenaires
doivent collaborer dans une perspective de concertation afin d'éviter
que leurs efforts ne puissent s'éparpiller.
§2.Le renforcement des capacités
individuelles et institutionnelles de protection du Parc National de la
Kibira
En général, la gestion des ressources naturelles
du PNK après les périodes de conflit s'est
caractérisée par une faible capacité des institutions en
charge de la conservation de la nature. L'INECN et les autres institutions
partenaires n'ont pas fait exception à cet état de choses et
présentent aujourd'hui une faible capacité due au fait que la
disponibilité des ressources humaines en quantité et en
qualité pour la gestion du PNK fait défaut. Face à cette
lacune, le renforcement des capacités humaines au niveau des
institutions et des communautés de base ayant trait à la
conservation et à l'utilisation durable la diversité biologique
du PNK se veut être le seul remède envisageable.
1. Renforcement des capacités
institutionnelles
Nous venons de voir que la structure institutionnelle de la
protection des ressources naturelles du PNK connaît d'énormes
difficultés liées à l'absence de capacités requises
pour s'acquitter convenablement de ses obligations. Pour pallier ces
contraintes, un certain nombre de dispositions doivent être
envisagées notamment par la dotation des moyens matériels,
financiers et humains aux institutions chargées de la gestion de la
biodiversité de cette aire protégée.
Les infrastructures de base de l'INECN et du parc seront
réhabilitées notamment certains bâtiments, les pistes et
autres voies de pénétration. Par ailleurs, les équipements
nécessaires au bon fonctionnement de l'INECN et du parc seront pourvus
en termes de moyens de déplacement, matériels informatiques,
matériels scientifiques, etc. En plus, il devrait y avoir mise en place
d'un cadre de coopération scientifique et technique entre l'INECN et les
autres partenaires. En effet, un cadre de collaboration entre les institutions
impliquées dans la protection et la conservation du PNK permettrait de
mettre en commun les efforts et de partager l'expérience pour identifier
toutes les données nécessaires afin d'élaborer des plans
de gestion et d'aménagement du parc, ainsi que les textes juridiques y
afférents113. La mise en oeuvre d'un plan de gestion
nécessiterait la mise en place, pour cette aire protégée,
d'un personnel bien formé correspondant aux différents
niveaux de responsabilité dans la gestion. Par
ailleurs, l'INECN doit mettre en place des mécanismes qui permettraient
d'associer et de responsabiliser les communautés de base.
La Commission Nationale de l'Environnement devrait être
redynamisée et dotée des moyens humains très
opérants et qui ont un temps suffisant pour s'occuper des
activités de la commission avec un cahier de charges adéquat.
Cette commission a aussi besoin d'un secrétariat permanent chargé
de la préparation des dossiers et l'établissement des rapports
sur la situation environnementale et si possible faire l'alerte.
Quant à la police environnementale, elle doit
être renforcée tant en nombre d'agents permanents et exclusivement
affectés à cette tâche que du point de vue de leur
formation à la surveillance et au suivi-contrôle de la gestion des
aires protégées notamment le PNK. Pour ce faire, un certain
nombre d'unités de la police nationale, sous les ordres d'un officier,
pourrait être détaché au niveau du PNK.
Concernant les ASBLs nationales oeuvrant en faveur de la
conservation du PNK, elles ont besoin d'un renforcement de capacités
dans le sens de la formation en matière d'élaboration et de
gestion des projets de développement au bénéfices des
populations avoisinantes du PNK, en gestion des aires protégées
ainsi qu'en techniques de mobilisation des fonds.
S'agissant des capacités des ONGS nationales
impliquées dans la gestion du PNK, elles seront renforcées
à travers les partenariats avec l'INECN et sur base des
mémorandums d'accord tout en répartissant les rôles et
responsabilités voire les moyens dans la gestion du PNK.
Enfin, les structures de recherche (ISA et Faculté des
Sciences de l'Université du Burundi, IRAZ) qui travaillent sur le PNK
seront renforcées afin d'être performantes en la matière.
En effet, la recherche sur la biodiversité du PNK est très
importante car elle représente la meilleure source d'information valide
et la base des connaissances et des technologies nécessaire à sa
conservation et son utilisation durable.
2. Renforcement des capacités
individuelles
En vue de rendre les agents des institutions oeuvrant autour
du parc beaucoup plus efficaces, certaines mesures pourraient être prises
dans le sens du renforcement de leurs capacités personnelles en
matière de gestion des aires protégées.
De prime abord, il ya lieu à remédier à
la pénurie du personnel compétent constaté
précédemment dans la gestion du PNK en élaborant des
plans, des programmes et des modules intégrés de formation des
agents des aires protégées dans les domaines techniques et
professionnels. Une telle formation permettra de doter les agents des
connaissances et des capacités requises dans la conservation et
l'utilisation durable de la biodiversité du PNK. Ces agents seront
également outillés en approches participatives pour faciliter les
actions de sensibilisation, d'animation, de mobilisation et d'organisation des
populations riveraines du PNK dont les Batwa. En effet, les Batwa
représentent une communauté particulière qui dépend
fortement des ressources du parc
pour leur subsistance114. Les conditions de vie des
Batwa ne peuvent donc s'améliorer et s'orienter sur d'autres nouveaux
modes de vie sans une attention particulière et engagée pour les
appuyer.
De plus, il faut penser à l'organisation d'une
formation continue des agents du PNK pour assurer tant la poursuite de la
formation académique pour certains agents que des recyclages
périodiques pour une mise à niveau dans des domaines
prioritaires. Ces derniers devraient comprendre notamment la
réorientation du système éducatif au Burundi, la formation
des éducateurs et des formateurs qui enseignent les différentes
disciplines relatives à la conservation des ressources
écologiques des aires protégées dont le PNK. Les
gardes-forestiers doivent aussi être formés dans le domaine de
l'utilisation des outils de travail quotidien de surveillance tels que les
cartes topographiques, pédologiques, etc. De même, des sessions de
formation de différents intervenants en matière de la
formulation, de gestion des projets, la gestion des aires
protégées ainsi que la mobilisation des financements dans le
domaine de la biodiversité du PNK pourraient être
organisées.
Enfin, les populations locales seraient formées aux
techniques de conservation des eaux et des sols, mais aussi aux méthodes
d'intensification des productions agro-sylvo-pastorales de manière
à réduire leur pression sur la diversité du PNK.
En définitive, une fois ces stratégies
légales et institutionnelles mises en oeuvre, elles permettront aux
responsables du PNK de lui garantir une protection efficace susceptible de
préserver la biodiversité de cette aire protégée
pour les besoins des générations présentes et futures.
114 INECN, Plan d'aménagement et de gestion, Parc
National de la Kibira, Gitega, 2OO9, p.74.
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