CHAPITRE 2 : VERS UNE PROTECTION EFFECTIVE DU PARC
NATIONAL DE LA
KIBIRA
L'analyse effectuée sur les mécanismes
légaux et institutionnels vient de nous révéler que leur
faible effectivité sur la protection du PNK n'est pas sans
conséquence sur l'état actuel de sa biodiversité. En
effet, malgré la prolifération des règles et l'existence
de pas mal d'institutions de protection du PNK, la dégradation des
ressources forestières est une réalité.
La préoccupation majeure à cet égard est
de savoir comment rendre effectives les normes de protection de ces aires
protégées dont l'utilité paraît évidente.
Ainsi, la nécessité s'impose d'adopter des stratégies tant
légales qu'institutionnelles idoines susceptibles de permettre une
protection effective des richesses écologiques de ce massif
forestier.
Section 1 : Stratégies légales
adéquates pour la protection du PNK §1. Le renforcement du
dispositif légal existant
La gestion des ressources du PNK se réalise
essentiellement par les textes législatifs et réglementaires
d'une part, les conventions internationales ratifiées par le Burundi et
qui font partie intégrante de la législation interne, d'autre
part. Or, comme nous l'avons mentionné, on constate que dans la plupart
des cas, ces lois de caractère trop général ne sont pas
suivies de textes d'application qui pourtant, sont indispensables pour apporter
beaucoup plus de lumière sur les dispositions de loi insuffisamment
détaillées.
De même, lorsqu'elles sont ratifiées par l'Etat,
les conventions internationales sont souvent inadaptées si bien qu'elles
requièrent généralement d'être relayées par
un texte légal d'adaptation au droit interne.
D'où l'extrême nécessité de
procéder à l'élaboration des textes d'application et au
renforcement de l'effectivité de ces textes de loi au risque qu'ils ne
demeurent lettre morte87.
A. Elaboration des textes d'application
Dans cette démarche d'élaboration des textes
d'application, l'étape primordiale consiste à identifier
correctement les aspects de la législation en place qui
nécessitent des mesures légales d'application et s'atteler
à élaborer progressivement ces textes.
En effet, quels que puissent être les mérites des
orientations et solutions de base déjà posées par les
différents textes organiques qui comportent des aspects de protection du
PNK, que le législateur s'est attelé à mettre en place au
cours de ces dernières années, ces solutions se sont
87 Granier, L., Aspects contemporains du droit de
l'environnement en Afrique de l'ouest et centrale, UICN, Gland, Suisse,
2008, p.29.
révélées insuffisantes puisque leur
efficacité dépendent en grande partie des mesures d'application
auxquelles ces textes de base renvoyaient.
Ainsi, une simple lecture du Code de l'environnement du
Burundi du 30 juin 2000 qui organise la gestion des espaces naturels
protégés et la diversité biologique laisse
apparaître plusieurs dispositions (articles 75 à 94 du Code de
l'environnement du Burundi) en la matière. Cette loi renvoie à
des mesures réglementaires d'application à élaborer. Or,
à ce jour, un seul texte a été mis en place pour le
secteur des aires protégées et ce texte renvoie lui-même
à d'autres mesures qui doivent le relayer mais qui sont encore en
attente. Il prévoit notamment en son article 83 l'institution d'une zone
tampon qui doit être délimitée autour du parc ou d'une
réserve naturelle. Ce décret n'a pas encore vu le jour.
De même, sous la rubrique qu'il consacre au droit
d'usage dans les forêts de l'Etat, le Code forestier du Burundi du 25
mars 1985 renvoie lui-même à des textes d'application qui doivent
compléter et permettre l'application des dispositions qu'il pose
(Articles 38,39, 40, 44, et 45 du Code forestier du Burundi). Il fait de
même lorsqu'il réglemente l'aménagement et l'assiette des
coupes de bois88. Aucun de ces textes réglementaires n'a
encore été élaboré.
Pour ce qui est des conventions ratifiées par le
Burundi en rapport avec la protection de la biodiversité du PNK
(Convention sur la diversité biologique, convention CITES, Convention
phytosanitaire et la Convention sur la protection des végétaux
entre les Etats membres de la CEPGL), il importe de prendre des mesures pour
leur application et de leur adaptation ainsi que les mesures d'adoption de
protocoles à ces Conventions. Ainsi, la prise des mesures pouvant
contenir une loi nationale sur l'accès et le partage juste et
équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources
génétiques au Burundi serait d'une grande opportunité
étant donné qu'elles contribueraient à rendre effective la
conservation de la biodiversité du PNK.
Enfin, tous ces textes d'application fixant des
modalités pratiques d'application revêtent
généralement la forme de lois ou d'ordonnances
ministérielles et doivent être élaborés par chacun
des Ministères concernés, en tenant compte des données
concrètes de base auxquelles son secteur est confronté. Notons
que le Ministère de l'Environnement est chaque fois concerné,
soit à titre conjoint, soit même à titre principal.
Dès lors, il importe de s'interroger sur les moyens adéquats de
renforcement de l'effectivité de ces textes de loi.
B. Renforcement de l'effectivité des textes de
lois en vigueur
Les bonnes dispositions inscrites dans la loi ne sont pas
forcement assurées d'être reçues et appliquées dans
la société du seul fait qu'elles ont été mises en
vigueur. En matière législative, l'expérience a souvent
montré que lorsque les autorités étatiques croient avoir
identifié les solutions appropriées à mettre en place,
elles s'imaginent souvent que la nécessité d'informer
correctement et efficacement tous les partenaires concernés, de les
convaincre à la faveur d'une sensibilisation appuyée, impose un
détour inutile occasionnant un retard dans la mise en application de la
législation. Pourtant, l'expérience montre aussi que les
démarches autoritaires et
88 Article 11 et 12 du Code forestier du Burundi.
hâtives aboutissent à des déceptions en
matière législative. C'est tout le problème de
l'effectivité de la loi.
Pour ce faire, il est indispensable de mettre en oeuvre les
mécanismes de contrôle prévus à cet effet et
d'impliquer étroitement tout bénéficiaire des ressources
naturelles du PNK, dans la mise en oeuvre des règles de sa conservation,
notamment par l'éducation et la sensibilisation.
1. Le renforcement des mécanismes de
contrôle
De tout temps, la nécessité d'assurer le respect
des règles de protection de l'environnement découle avant tout de
contraintes générales liées à la capacité de
l'autorité publique d'imposer le respect de la norme
environnementale89. Cela suppose que les pouvoirs publics jouent
pleinement leur rôle, notamment en organisant des contrôles
préventifs et, le cas échéant, en rendant effectives les
sanctions dont sont assorties ces règles environnementales.
En effet, les différents textes consacrés
à la conservation et à la gestion des aires
protégées au Burundi prévoient pour leur mise en oeuvre
des mécanismes institutionnels chargés du contrôle
préventif de la mise en oeuvre de leurs dispositions. Ainsi, le suivi de
la mise en oeuvre des dispositions de la Loi n°1/10 du 30 mai 2011 portant
création et gestion des aires protégées au Burundi
relève des services techniques du ministère chargé de la
conservation de la nature à savoir les « agents assermentés
», qui reçoivent à cet effet, des compétences dans
les ressorts territoriaux d'exercice de leurs fonctions (article 34).
La loi prévoit également des mesures de
contrôle telles que la recherche et la saisie de tous les objets,
matériels vendus ou achetés en fraude ou qui circulent en
violation de certaines de ses dispositions90. En effet, la condition
du respect effectif de la législation en rapport avec la conservation du
PNK est la mise en oeuvre effective de ces différentes mesures de
contrôle. A cet effet, il importe de renforcer les capacités
opérationnelles des structures en leur dotant des ressources humaines,
matérielles et financières pour s'acquitter pleinement des
tâches qui leur sont dévolues. Or, la principale lacune qui est
à l'origine de la dégradation de la biodiversité du PNK
est la faiblesse des sanctions à l'endroit des contrevenants aux
dispositions de la législation régissant la conservation et la
gestion des aires protégées au Burundi91. Cette
situation a été aggravée par la crise sociopolitique de
1993 à 2005, où le PNK a été le refuge des groupes
rebelles faisant que ces groupes armés et les forces de l'ordre soient
les seuls maîtres de la forêt en perpétrant d'innombrables
infractions au PNK durant cette période , entraînant ainsi une
89 Granier, L., op.cit, p.28.
90 Article 35 de la Loi n°1/10 du 30 mai 2011
portant création et gestion des aires protégées au
Burundi.
91NINDORERA, D., Etude sur le cadre
légal, politique et institutionnel en matière de
biodiversité, Bujumbura, 2013, p.30.
perte énorme de la biodiversité tant animale que
végétale ainsi que la diminution de la superficie du
parc92.
De toute évidence, toute règle de droit est
toujours assortie d'une sanction émanant de l'autorité
étatique, garant du respect de la loi environnementale. Ce qui implique
qu'en cas de laxisme de l'Etat dans l'application des textes de lois de
protection du PNK ou lorsque les principaux acteurs chargés de ces lois
comme les magistrats ignorent ces textes de lois ayant des aspects en rapport
avec le PNK ou lorsqu'il y a un faible niveau de poursuites judiciaires
d'infractions au PNK, il va sans dire que les textes en la matière vont
rester inopérants et par voie de conséquence, sa
biodiversité va en pâtir suite à l'impunité dont
feront objet leurs contrevenants.
En matière de conservation des aires
protégées, bien que la sanction ne soit pas forcément la
meilleure panacée à l'irrespect de la loi, il n'en demeure pas
moins que dans certains cas, cette sanction soit indispensable pour assurer
l'effectivité de la loi. Cette dernière doit résulter
nécessairement d'une adéquate stratégie d'éducation
environnementale au bénéfice de tous les
bénéficiaires de la richesse écologique du PNK.
2. La nécessaire éducation environnementale
des citoyens
Tant au Burundi que dans le monde entier, la
nécessité de l'éducation environnementale n'est plus
à prouver, maintenant plus qu'hier et certainement davantage demain.
L'éducation environnementale doit permettre de prendre conscience de
«l'environnement global et des problèmes connexes
»93.
En effet, dans la déclaration issue de cette
conférence de Tbilissi, l'éducation relative à
l'environnement a été définie comme« un processus
dans lequel les individus et la collectivité prennent conscience de leur
environnement et acquièrent les connaissances, les valeurs, les
compétences, l'expérience et aussi la volonté qui leur
permettent d'agir, individuellement et collectivement, pour résoudre les
problèmes actuels et futurs de l'environnement». En effet, il
est indispensable non seulement d'informer, de former et de sensibiliser le
citoyen mais également de promouvoir auprès d'eux un civisme en
matière d'environnement pour permettre aux citoyens surtout les plus
jeunes de connaître le contenu de la loi environnementale. Cette
tâche exige une mise au point d'une véritable stratégie de
communication.
Au Burundi, l'importance accordée à
l'éducation environnementale transparaît à travers les
différents instruments juridiques qui lui permettent de s'acquitter de
ses obligations en mettant en oeuvre toutes les dispositions en rapport avec la
conservation et la gestion des aires protégées dont le PNK,
notamment celles liées à l'éducation environnementale. En
effet, l'éducation environnementale étant un domaine transversal,
elle exige l'intervention de plusieurs partenaires tant nationaux
qu'internationaux agissant à des titres divers. Au niveau du parc de la
Kibira, ce
92 NZIGIDAHERA B., NZOJIBWAMI C., BIRUKE Maneno,
MISIGARO A., Plan communautaire de conservation du Parc National de la
Kibira en zones NKONGE et RWEGURA, Bujumbura, 2002 p.24.
93 La Conférence internationale
intergouvernementale sur l'Education relative à l'Environnement tenue
à Tbilissi en Géorgie, du 14 au 26 octobre 1977, organisée
par l'UNESCO en collaboration avec le PNUE.
mandat est exécuté au sein de l'INECN à
travers le Département de la Recherche, de l'Environnement et de
l'Education Environnementale94.
Afin d'informer et de sensibiliser les populations riveraines
du PNK sur le contenu des textes de loi en rapport avec cette aire
protégée, l'INECN en collaboration avec d'autres partenaires a
initié des activités d'éducation et de sensibilisation au
profit des populations riveraines du PNK. En effet, depuis 2001, l'INECN a mis
en place un système d'intégration des communautés dans la
gestion des aires protégées autour des plans communautaires de
conservation des aires protégées. C'est ainsi qu'il existe
actuellement deux plans communautaires élaborés pour les
communautés riveraines du Parc National de la Kibira (à Bugarama
et à Rwegura) mis en place dans le cadre du Projet Parc pour la Paix
« PPP » de la Conférence des Forets Denses et Humides
d'Afrique Centrale (CEFDHAC)95.
De même, l'Association Burundaise pour la protection des
Oiseaux (ABO) en collaboration avec l'INECN avec l'appui de CARPE/IUCN, a
élaboré un recueil des dispositions pertinentes légales
relatives aux aires protégées du Burundi dont l'objet est de
pouvoir assurer un respect de textes de loi existants régissant les
aires protégées du Burundi en général et
applicables au Parc National de la Kibira en particulier. A travers ce recueil,
ses auteurs ont manifesté l'intention d'impliquer de manière
effective tous les administratifs locaux et la police nationale riverains du
Parc de la Kibira dans l'application des textes de loi actuellement disponibles
en matière de conservation des aires
protégées96. Ainsi, toutes ces actions qui sont
menées au niveau du PNK visent à inculquer aux populations
riveraines du PNK surtout à la jeunesse, les différentes
règles protectrices de cette aire protégée. C'est
précisément cette éducation environnementale qui permettra
l'émergence d'une culture citoyenne de respect de la loi
environnementale protégeant le PNK.
Au-delà du respect de la lettre de la loi, il s'agit
d'amener progressivement l'individu à avoir un comportement respectueux
de l'écologie du parc. Cette tâche essentielle peut être
assurée par ce que l'on pourrait appeler la promotion de l' «
éco-citoyenneté ».
Selon Laurent Granier, «
l'éco-citoyenneté suppose que le citoyen a connaissance de la
réglementation environnementale, a pleinement conscience de sa
portée et s'engager à s'y conformer »97. En
effet, l'éco-citoyenneté s'opposant à l'incivisme
écologique suppose donc en même temps une prise de conscience et
un engagement à agir conformément aux exigences de la protection
de l'environnement. Dans notre pays, face à la montée de
l'incivisme écologique par rapport au patrimoine naturel du PNK, seule
la promotion d'une éco-citoyenneté permettra de renverser la
tendance et de favoriser l'effectivité des normes de protection de cet
écosystème naturel.
94 MEEATUÀ Stratégie Nationale et
Plan d'Action en matière d'Education Environnementale, Bujumbura,
2009, p.34.
95 Idem, p.36.
96 MANIRAMBONA, A., NINDORERA, D., Quelques
dispositions légales essentielles relatives aux parcs et réserves
naturelles au Burundi, CARPE/UICN, Bujumbura, 2008, p.2.
97 Granier, L., op.cit., p.31.
On comprend donc qu'une telle efficacité du dispositif
légal existant de protection du PNK requiert à la fois une
éducation et une sensibilisation de tous les bénéficiaires
des ressources naturelles du PNK et qui permettra de jeter les bases pour une
mise en place d'une législation adéquate de préservation
de ce patrimoine naturel.
§2. Elaboration d'une législation
adéquate
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