Section 2 : Initiative en faveur des Pays Pauvres
Très Endettés (IPPTE)
MERCKAERT(2006) indique qu'en 1996, les chefs d'Etat des sept
pays les plus riches de la planète promettaient aux « pays
pauvres lourdement endettés (...) de régler définitivement
les situations d'endettement non soutenable ». En 1999 à
Cologne, ils renforçaient l'IPPTE en s'engageant à « un
allègement de la dette plus rapide, plus large et plus radical (...)
pour rendre la dette supportable » et pour financer la lutte contre
la pauvreté.
En ce qui concerne le contexte de l'IPPTE, la question du
poids de la dette est fondamentale car le surendettement d'un pays compromet sa
croissance à long terme et sa capacité à se
développer et à lutter contre la pauvreté. L'endettement
excessif réduit les ressources disponibles pour l'investissement et les
dépenses sociales. Il diminue également la
crédibilité du pays concerné auprès des bailleurs
et investisseurs potentiels.
2.1. Les critères d'éligibilité
et le processus de mise en oeuvre de l'IPPTE
Dans le cadre de l'IPPTE, les conseils d'administration du FMI
et de la BM décident de l'éligibilité d'un pays au point
de décision; la communauté internationale s'engage alors à
fournir une aide suffisante au point d'achèvement pour permettre au pays
d'atteindre un niveau d'endettement soutenable calculé au point de
décision. Pour qu'un pays soit éligible à l'Initiative, il
devrait répondre à une série de conditions.
2.1.1. Eligibilité
L'objectif de l'Initiative est de venir en aide à des
pays pauvres qui ont le plus grand mal à assurer le service d'une dette
insoutenable afin d'éviter que cette charge insupportable n'entrave leur
développement économique. Le point de départ de
l'initiative est en fait l'idée qu'un endettement trop lourd est nocif
pour la croissance économique.
Tous les pays lourdement endettés n'étaient pas
éligibles à l'Initiative, encore moins à la
première initiative de 1996 suite aux rigidités qu'elle
présentait. Pour qu'un pays fortement endetté soit
éligible à l'IPPTE, il devrait répondre à une
série de critères :
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? Etre éligible aux prêts de l'Association
Internationale pour le Développement (IDA, filiale du groupe Banque
Mondiale qui octroie des prêts concessionnels aux pays ayant un PNB par
habitant inférieur à 885 dollars en 1999) ;
? Avoir parfaitement mis en oeuvre des réformes et les
politiques économiques dans cadre de programmes soutenus par les IBW;
? Toujours faire face à un niveau d'endettement
insoutenable, c'est-à-dire après la mise en place des programmes
desdites institutions et même après mise en oeuvre des
mécanismes traditionnels d'allègement de dette ;
? Elaboration d'un document de stratégie pour la
réduction de la pauvreté.
L'IPPTE innove en ce qui concerne la place donnée aux
pays bénéficiaires. Dans la pratique, les bailleurs
multilatéraux (FMI et BM) travaillent en partenariat avec les parties
prenantes au niveau local à l'élaboration de politiques de
redressement économique (réformes économiques et
sociales). Contrairement aux pratiques antérieures, les IBW effectuent
une évaluation commune du document (Joint Staff Assessment),
dans lequel elles consignent leurs réticences éventuelles
(BOUGOUIN et RAFFINOT, 2002).
2.1.2. Processus de mise en oeuvre
L'IPPTE, destinée à alléger le fardeau de
la dette extérieure de certains des pays les plus pauvres de la
planète, a été lancée en 1996 par les IBW, puis
renforcée et élargie en 1999. Celle-ci est fondée sur une
approche plus globale de l'allègement de la dette, incluant pour la
première fois les créances multilatérales et
représente, pour cela, une innovation majeure en termes de financement
du développement.
2.1.2.1. Allègement initial
Dans son cadre initial, l'objectif de l'Initiative
était de réduire la dette extérieure des pays remplissant
les conditions voulues au moyen d'une stratégie visant à
établir un niveau d'endettement tolérable et à
éliminer ainsi l'excédent de la dette et le frein que ce facteur
exerçait sur la croissance et la réduction de la
pauvreté.
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Remarquant qu'au terme de cette première Initiative les
résultats escomptés en matière d'endettement soutenable et
surtout la réduction de la pauvreté n'étaient pas encore
à l'heure, les bailleurs ont dû, en 1999, recourir à son
renforcement pour la rendre plus opérationnelle et efficace.
2.1.2.2. Renforcement de l'IPPTE
Face à la faiblesse des premiers résultats et
aux critiques (la campagne Jubilé 2000 a apporté une
pétition de 17 millions de signatures au sommet du G7 de Cologne de juin
1999), le G7 et les IFI ont lancé une initiative renforcée. Les
critères de sélection sont assouplis) afin d'inclure un plus
grand nombre de pays bénéficiaires. La volonté
d'accélérer la mise en oeuvre de l'initiative et de la lier
davantage aux efforts de réduction de la pauvreté est
affirmée. Ainsi, la deuxième phase de réformes devient
« flottante » (un bon élève peut
accélérer les réformes et accéder à un
allégement plus rapidement) et une « aide intérimaire »
peut être octroyée au pays après le point de
décision.
L'Initiative renforcée se voulait plus substantielle,
plus large et plus rapide pour atteindre la mission assignée, à
savoir rendre l'endettement des PPTE soutenable et réduire leur
extrême pauvreté. C'est ainsi que la première a
été modifiée en 1999 de manière à offrir
trois améliorations essentielles, à savoir :
Allègement de dette plus substantiel et
plus large : Les seuils d'endettement extérieur ont
été abaissés par rapport au cadre initial. De ce fait,
davantage de pays pouvaient bénéficier d'un allègement de
leur dette et certains pays pouvaient bénéficier d'un
allègement plus important ;
Allègement plus rapide :
Un certain nombre de créanciers ont commencé à
accorder un allègement de dette provisoire dès le « point de
décision ». De même, le nouveau cadre permet aux pays de
parvenir plus rapidement à leur « point d'achèvement »
;
Lien plus étroit entre l'allègement
de dette et la réduction de la pauvreté : Les
ressources libérées doivent être consacrées aux
stratégies de réduction de la pauvreté
élaborées par les autorités nationales, à l'issue
d'un vaste processus de consultation.
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Jusqu'en 2009, 35 PPTE sont parvenus à leur point de
décision, et 24 d'entre eux (dont le Burundi) ont atteint le point
d'achèvement.
De plus, certains pays créanciers ont
décidé d'aller au-delà et d'annuler, dans un cadre
bilatéral, les 10% restant des créances commerciales à
garantie publique et les créances d'aide publique au
développement (APD), non prises en compte par l'IPPTE. La France en
particulier, deuxième créancier des PPTE après le Japon,
prévoyait, au point d'achèvement, le refinancement par don des
créances APD qu'elle détenait sur les pays PPTE.
L'initiative PPTE se déroule en deux temps majeurs : le
point de décision et le point d'achèvement. Entre les deux, le
pays est dit en phase intérimaire.
2.1.2.3. Etapes de mise en oeuvre
Pour passer le « point de décision », qui
marque la première étape du processus PPTE, le pays doit non
seulement avoir une dette non soutenable selon les critères
d'éligibilité présentés ci-dessus (après
traitement traditionnel dans le cadre du Club de Paris), mais également
avoir suivi un programme d'ajustement structurel de trois ans (conclu avec le
FMI), et rédigé une stratégie de lutte contre la
pauvreté établie en concertation avec la société
civile, présentée dans le DSRP.
Au point de décision, lorsque le pays est
officiellement admis à l'IPPTE, est calculé le montant des
allègements à accorder. L'essentiel de ceux-ci prend effet
lorsque le pays aura achevé l'ensemble du processus, c'est-à-dire
lorsqu'il aura atteint le point d'achèvement. Mais une part minime
d'allègements lui est quand même concédée durant sa
phase intérimaire.
Après une période de 3 ans durant laquelle le
pays met en place une politique d'ajustement structurel, s'il est toujours
éligible à l'IPPTE (dette encore insoutenable), les cadres des
IBW réalisent une analyse de viabilité de la dette pour
déterminer les besoins d'allègement et évaluent les
progrès suffisants nécessaires à la satisfaction des
critères retenus.
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Cette première étape se dénomme le point
de décision, qui consiste à établir un contrat entre la BM
et le FMI, dans lequel les bailleurs de fonds s'engagent à ramener la
dette au seuil de viabilité si les politiques de redressement ne
suffisent pas. Le pays aboutit à un point intermédiaire, qui
consiste en un allègement intérimaire.
Cependant, pour obtenir la totalité de
l'allègement, il doit continuer à prouver qu'il exécute
comme il se doit les programmes soutenus par les IBW pendant une période
qui dépend non seulement du maintien de la stabilité
macroéconomique mais aussi de l'exécution pendant un an au moins
du CSLP. Cette étape correspond au Point d'achèvement et se
traduit par une réduction des montants convenus au point de
décision.
Dans l'IPPTE renforcée, la réduction de dette
définitive intervient au point d'achèvement. Afin d'éviter
une trop forte pression financière, la réduction de dette est en
fait accordée presque totalement dès le point de décision,
mais sur une base précaire (décidée année par
année). Dans la nouvelle initiative, l'évaluation de la
soutenabilité n'est pas faite une fois pour toute. En cas de
dégradation de la situation, il est possible de procéder à
une nouvelle évaluation et d'accroître la réduction de
dette. Cette procédure est baptisée topping up.
D'après N'GARESSEUM (2005), le point
d'achèvement est lié à la mise en oeuvre pendant une
année au moins d'une stratégie globale de la réduction de
la pauvreté, notamment d'une politique de stabilisation
macroéconomique et d'ajustement structurel, pour les pays qui
n'étaient pas admissibles au titre de l'initiative initiale, et à
l'adoption d'un document de stratégie de réduction de la
pauvreté (DSRP) complet pour ceux qui l'étaient au titre de
l'initiative initiale.
Certes l'Initiative a le mérite de
fédérer deux objectifs différents : le premier, financier
de court terme (allégement du poids de la dette) et le second, de
développement à moyen et long termes (réduction de la
pauvreté). Les montants du remboursement de la dette ainsi
libérés peuvent être employés pour financer des
interventions orientées vers la réduction de la pauvreté
mais présente toutefois des limites.
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2.2. Limites de l'Initiative PPTE
Une réduction ponctuelle de la dette ne suffit pas
à garantir qu'un pays ne connaîtra pas à l'avenir des
problèmes d'endettement. Les perspectives de soutenabilité de la
dette dépendent d'un certain nombre de facteurs qui affectent la
capacité de remboursement d'un pays, tels sont le montant et les
conditions de ses nouveaux emprunts. Le plus difficile est, en sus, de veiller
à ce que les fonds en question soient investis de façon
productive et rationnelle pour promouvoir sa capacité de
remboursement.
RAFFINOT (2009) estime qu'a priori le problème
est surprenant : Comment un pays ou plutôt un Etat (puisque la dette
traitée par l'IPPTE est essentiellement publique) peut-il avoir des
difficultés à rembourser une dette contractée à des
taux d'intérêt si faibles [0,75 % dans le cas des prêts de
l'IDA de la BM] et à des conditions si favorables (durée de 40
ans, dont 10 ans de différé pour ces mêmes prêts) ?
La situation est encore plus curieuse si l'on tient compte du fait que la part
des dons dans le financement total est également très
élevée.
Les PPTE ont le plus souvent une assise budgétaire
étroite, et des exportations qui s'articulent autour de quelques
produits de base soumis à des marchés très fluctuants. Il
leur faut éliminer ces contraintes budgétaires et autres facteurs
de politique économique faisant obstacle à une croissance plus
soutenue et diversifiée.
La focalisation accrue sur les secteurs sociaux sous la
pression des ONG et des donateurs n'arrangent pas beaucoup les choses pour les
pays bénéficiaires. En effet, les directives
énoncées au titre de l'IPPTE renforcée pour un
accroissement des dépenses publiques allant dans le sens d'une
réduction de la pauvreté mettent l'accent sur ces secteurs au
détriment d'autres pouvant potentiellement aider à faire reculer
la pauvreté en stimulant la croissance. Les critères de
performance mettent l'accent sur les dépenses plutôt que sur les
résultats ou les impacts, bien qu'un surcroît de dépenses
puisse toujours se heurter à la loi des rendements décroissants
à court ou moyen terme (OED, 2003).
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Dans bien de pays, les ministères à vocation
sociale (l'éducation, la santé, etc.) manquent de
capacités pour gérer comme il faut des ressources
budgétaires accrues. De plus, une part substantielle des ressources
affectées à l'aide est déjà consacrée aux
dépenses sociales, et les examens des dépenses publiques
effectués par la BM montrent que le financement n'est pas toujours la
principale contrainte pour parvenir aux résultats visés. Les
représentants des pays débiteurs se sont dits donc
préoccupés par le manque de souplesse que présente l'IPPTE
dans la répartition des ressources, faisant valoir que les restrictions
imposées de l'extérieur sur leur affectation de ressources
peuvent éroder les principes de discipline budgétaire et de prise
en charge du processus par les pays.
Le plan d'allègement de l'IPPTE est basé sur une
logique de «soutenabilité» financière. À partir
de ratios prenant en compte les ressources extérieures, elle se focalise
sur le niveau de dette censé permettre aux pays débiteurs
d'honorer leurs remboursements. Il apparaît clairement qu'on est dans une
logique de créanciers qui cherchent à rendre les débiteurs
solvables plutôt que dans une logique d'aide au développement.
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