2-4 : Un Président vacancier
Le Chef de l'Etat trône à la tête d'un pays
morbide et d'une instabilité sociopolitique qui mérite
réflexions. Cependant, ce dernier semble trouver dans des
séjours prolongés et répétés
à l'étranger une thérapeutique personnelle : «
D'abord, ici, rien ne rime jamais à rien. Est-ce que l'imagine un
pays, constamment en proie aux convulsions sociales, ethniques et politiques,
sous-développé de surcroît, où le Chef de l'Etat
peut s'octroyer six grandes semaines de villégiature à
l'étranger ?» (Mongo Beti 1999 :11)
A cette interrogation du narrateur de Trop de soleil tue
l'amour fait écho cette autre du commissaire dans Branle-bas
: « -Laissons ça Norbert. Prends même six mois pour
enterrer chacune de tes mamans, je m'en fous. Quand le rand chef
disparaît de chez nous là tu vas même lui dire que quoi ? Je
te demande Norbert, qui va même lui dire quoi ? » (Mongo Beti
2000 :119-110)
Dans les analyses de Fandio, le critique trouve en ces
séjours répétés et prolongés à
l'étranger la recherche d'un remède à l'impéritie
du dictateur migrateur : « Il n'est sans doute pas
exagéré de penser que les séjours
répétés à l'étranger du personnage
constituent une sorte de quête du dictateur pour une
solution à cette véritable impotence dont-il souffre. » (
Fandio 2001 :4)
Le Chef de l'Etat n'est pas seulement insensible aux
convulsions sociopolitiques que vit son pays en permanence. Faute d'y trouver
des remèdes, il en ajoute plutôt, à
cause de la paralysie que provoquent ses sorties et ses
entrées dans la capitale :
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Eddie lui exposa alors gentiment que la ville était
divisée en deux, comme une pastèque, par un axe qui, parti du Sud
et filant au Nord, reliait l'aéroport au palais du Président, et
que, quand le Président se rendait à l'aéroport ou en
revenait, comme il arrivait souvent, car c'était un grand voyageur, une
espèce d'oiseau migrateur, le passage de l'une à l'autre de ces
zones était interdit aux véhicules automobiles durant des heures
entières sinon pour la journée. (Mongo Beti 2000 :12)
En effet, Eddie et Georges s'apprêtent à
traverser la ville pour se rendre au siège du Journal
Aujourd'hui la démocratie où la rédaction
fête la prise du pouvoir par Kabila à
Kinshasa. Ce qui est davantage intéressant dans cette
séquence, ce sont des figures de style très expressives que le
personnage d'Eddie emploie. Il compare la ville à une
«pastèque». Plus loin, il utilise la
périphrase «palais du Président», en lieu et
place de
«palais présidentiel». Par ailleurs,
nous avons cette autre périphrase : «un grand
voyageur» et la métaphore animale «une espèce
d'oiseau migrateur». Que dire de toutes
ces images fortes ? Elles ont une connotation
péjorative et montrent non seulement que ce Président est
possessif et égoïste, mais qu'il est d'une errance
déconcertante pour une
autorité qui a le gouvernail de l'Etat en main. La
société du texte nuance cette image traditionnellement
gravée dans l'imaginaire populaire et qui fait du Président un
Dieu vivant comme l'appelle sa concubine éphémère. Ici, le
petit peuple, représenté par le
chauffeur de taxi, a du Président, l'image d'un homme
sans coeur, très insensible et irresponsable, dont les voyages
récurrents bloquent tout, paralysent la vie socio-
économique et fait de nombreuses victimes
résignées :
-Patron, c'est vrai ça, fit en se tournant de trois
quarts vers le toubab le taximan qui s'était hardiment mêlé
au débat, pas le problème du Président, ça, c'est
vrai, hein. Même les gens, ils meurent, hein. Tu veux emmener à la
maternité la femme qui doit accoucher vite, vite, tout est
bloqué, tu fais comment ? Un vieux papa tombe là par terre, il
met la main son coeur, il fait ah, ah, ah, il va mourir, mais tout est
bloqué, tu fais comment ? Quand le Président sort, c'est comme
ça. J'ai vu ça toujours. (Mongo Beti : 13)
Au sujet de ces dysfonctionnements, tandis Mouafou fait cette
réflexion :« -Du point de vue politique, c'est également
l'identique et le répétitif qui prévalent. Le politique
phagocyte l'économique, à preuve, chacune des sorties du
Président a pour corollaire la
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paralysie de la capitale, orchestrant ainsi un manque
à gagner terrible aux opérateurs économiques. » (
Tandia Mouafou 2009 :7)
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